1906.
Le fromage du curé
Fort du succès de l’exposition nantaise de 1904, Pierre HIVERT crée ensuite le « fromage du curé ». Contrairement à la tomme fromagère appelée « Régal des gourmets », ce nouveau fromage se présente en forme de petits pains ce qui facilite la vente au détail.
Pierre signe alors des accords de vente avec plusieurs grossistes de Nantes, en particulier le fils Estampa, grossiste nantais qui siège rue des Chalâtres, boutique bien située à quelques encablures de la gare d’Anjou.
Ce même Pierre Estampa dépose même à coté de sa marque personnelle du « fromage de la Renommée » la marque « curé de Nantes » le 17 juillet 1906.
Le fromage se trouve désormais à coté d’autres fromages frais de type camembert, brie et autres munsters dans les étalages des plus grandes crèmeries nantaises et dans les artères commerçantes les plus fréquentées. Les magasins TAGU de la rue du Calvaire, face à la « belle jardinière» et le magasin d’habillement et de tissus « Jumel et Champigny », proposent désormais le “fromage du curé”.

A 52 ans, Pierre devient un notable concellois fier de sa réussite professionnelle.

Le travail de l’ensemble de la famille à la fromagerie
Avec cet essor commercial, il faut sans cesse que la fromagerie développe sa production. Toute la famille HIVERT s’attelle à la tache. Pierre et Marie étant occupés par la fonction commerciale, c’est l’aîné Eugène qui s’occupe désormais de la fabrication avec l’aide de ses frères et sœurs, Auguste, Pierre, Louise et même Adrien qui vient de terminer ses études primaires. Cette implication familiale forte de la famille HIVERT sonne le glas de la collaboration avec Louis Cesbron beau-frère et associé qui crée une seconde fromagerie au Château.

Le travail de la fromagerie requiert en effet beaucoup de personnel.
Il faut d’abord effectuer le ramassage du lait. Cette mission de roulier est confiée cette année-là à Pierre, l’un des fils du haut de ses 18 ans. Avec sa charrette à cheval, il fait le tour des fermes partenaires collectant ainsi le lait frais auprès d’une vingtaine d’éleveurs. Chaque matin, bien avant le lever du soleil pour éviter que le lait ne caille, il effectue sa tournée et conduit directement le fruit de sa collecte à la fromagerie, avec une identification du volume de lait fourni par chaque fermier pour permettre de le rétribuer.
Arrivé à la fromagerie le lait est versé dans une grande cuve. Ensuite sous l’action de présure d’origine animale on le fait cailler. Ce même caillé est ensuite rompu et fragmenté et par la suite transféré dans des moules pour favoriser son égouttage puis pressé manuellement avec une petite presse pour favoriser l’égouttage du petit-lait. Ce petit lait n’est pas perdu car il permet d’engraisser quatre à cinq cochons.
À la suite du démoulage, l’ensemble de la famille s’emploie à nettoyer le fromage avec une saumure. Puis on place celui-ci dans les caves du château du Gué au voyer sur des claies de bois pour qu’il entame sa phase de maturation.
Il faut s’équiper de bougies ou de lampes à pétrole pour s’y rendre car on travaille dans l’obscurité et dans une atmosphère humide où la température ambiante d’à peine 8 degrés varie peu quelques soient les saisons.
Pendant les trois semaines de maturation il faut retourner les fromages régulièrement, les brosser avec du sel. Celui-ci agit comme agent de conservation et permet également de former ainsi sa croûte.

La famille HIVERT-BIRY de 1906 à 1910
Après cette période familiale faste, des nuages sont font jour « au château ». Marie, la femme de Julien Rousseau revient à la maison en 1907 avec ses deux enfants Marie-Josèphe âgée de 3 ans et Julien d’à peine un an. Malade elle décédera l’année suivante à 23 ans chez ses parents à St Julien début 1908. Drôle de personnage que ce Rousseau murmure-t-on dans le bourg : « A-t-on idée d’enterrer sa femme en portant son costume de noce !» chuchotent les commères.
Ce même Julien Michel Rousseau se remarie un an plus tard le 8 septembre 1909, avec Marie Joséphine Bossé, la « domestique » de l’épicerie nantaise. Lors du mariage les parents Rousseau étaient absents. Sans doute déploraient ils que le temps de veuvage ait été très court et que Marie-Joséphine était également enceinte d’un second garçon, Auguste qui naitra 3 mois plus tard le 29 novembre 1909. En effet un garçon prénommé Roger était déjà né de cette union illégitime en fin d’année 1908… Le couple, toujours épicier, s’installera 5 quai de la maison rouge, à quelques encablures de la rue des Olivettes, face aux bains et lavoirs municipaux nantais.
En septembre 1910, Alexandre Royer, originaire de Plessé, charron à la Chebuette, épouse la troisième fille de la maison, Louise qui a seulement 20 ans.

Alexandre jouera un rôle important dans le développement de la fromagerie avant la guerre « ayant la confiance de Pierre son beau-père « pour ses capacités humaines et de gestion de la fromagerie » souligne Dany sa petite fille.
D’autant qu’en 1910 la concurrence est rude entre les deux fromageries. La « fromagerie nouvelle hollandaise du château » créée par Louis Cesbron et son fils tourne à plein avec ses 4 employés et vient prendre des marchés à Pierre HIVERT et ses enfants. La rupture entre les deux hommes sera consommée quand Louis déposera lui aussi la marque « fromage du curé » à son nom en 1912.


La guerre de 1914 va éparpiller la famille HIVERT- BIRY et les femmes vont jouer un rôle crucial dans la continuité économique de l’entreprise familiale.

Les caves du Gué au Voyer aujourd’hui
Seule subsiste aujourd’hui la cour du Gué au Voyer. Reste tout de même les caves de ce château détruit à la révolution, lieu de murissement du fromage pendant de longues années.

L’accès aux caves du château se fait par une série de marches glissantes.

Ensuite un long tunnel nous guide vers deux caves. Celles-ci sont séparées par une porte épaisse.
La plus grande cave possède encore les claies qui supportaient les planches sur lesquelles étaient posés les fromages en maturation.
Ces caves sont finalement restées presque intactes depuis l’arrêt de la production sur site dans les années 70.