Joseph Pétard, vicaire, poète et … châtelain

Il y a plus de deux années, en janvier 2020, j’évoquais la vie de Joseph Pétard, fils de nos aïeux Julien Pétard et Françoise Peigné. Il a quitté tôt Saint Julien pour s’installer comme boulanger à Nantes en 1804 et, fortune faite, devint rentier à l’âge de 43 ans… Il décédera en 1875 à l’âge de 90 ans en se faisant construire un imposant caveau de famille à Rezé.

Je n’ai pas évoqué la vie de ses enfants. Mais un message reçu le mois dernier va nous permettre de poursuivre cette saga familiale à travers le parcours pour le moins original du fils aîné de la famille, lui aussi prénommé Joseph.

Ainsi, Michel BACONNAIS, historien de Pornic, m’a fait  parvenir ce message suivant sur le blog le 2 février dernier:

« Vous avez fait un travail remarquable sur la vie de Joseph Pétard, boulanger à Nantes. Félicitations ! Pour ma part, j’ai longtemps recherché les origines financières du château de Monval au Clion (aujourd’hui Pornic), propriété construite par Joseph Pétard, vicaire, dès 1855. Eu égard au salaire de ce vicaire, je me suis longtemps interrogé sur cette acquisition. Mais aujourd’hui, quand je vois l’aisance financière des parents, tout semble mieux s’expliquer… »

Note complétée dès le lendemain même par le courriel suivant de l’historien pornicais : « J’ai réalisé une étude sur le vicaire Joseph Pétard, fils aîné du couple: Joseph Pétard et Perrine Duguy. Ce religieux fut vicaire du Clion entre 1845 et 1849, et fit construire en 1855 un « château », je dirai plutôt un manoir, celui de Monval. Ce religieux, adepte de littérature et de poésie, semblait sous-entendre avoir eu une jeunesse assez pauvre, et que c’est par le travail que lui est arrivé la fortune? Or, à la lecture de vos différentes recherches, je vois que ses parents étaient « aisés », le père vivant de ses rentes à 43 ans. Moi qui m’étais toujours interrogé sur le financement du manoir de Monval, j’imagine désormais plus facilement un paiement par ses parents. Si vous le souhaitez, je peux vous communiquer divers éléments sur la vie de ce curieux vicaire… »

J’ai reçu ensuite dans la foulée écrits et documents et une invitation à visiter le château dès la semaine suivante.

Joseph PETARD, un vicaire énigmatique au 19° siècle.

Récit de Michel BACONNAIS du 28 octobre 2021

Le château de Monval est situé en bordure du chemin douanier, à mi-distance entre les plages de la Fontaine-aux-Bretons et la Boutinardière (Pornic – 44210). Bien des gens s’interrogent aujourd’hui encore, sur l’histoire et l’origine de cette belle demeure nichée dans un écrin de verdure, face à la mer.

Extrait de l’ancien cadastre du Clion sur Mer – ADLA.

Ce manoir voit le jour en 1855, et il a été construit à l’initiative de Joseph Pétard, qui fut vicaire du Clion entre 1845 et 1849, paroisse conduite alors par le Curé Louis Robert Fiérabras. On sait aujourd’hui que l’entente entre ces deux prêtres n’a pas été simple, et ceci se comprend mieux à la lecture de ce qui suit : Joseph Pétard est né à Nantes en 1810. Il est le fils de Joseph, (exerçant la profession de boulanger), et de Françoise Perrine Duguy. Il est ordonné prêtre dès 1841. On le retrouve comme vicaire au Clion (1845-1849), à Montbert (1849), à Mésanger (1850-1855), à Ste Anne (1855) et St Nicolas de Nantes (1857) et il reviendra même au Clion en 1881.

C’est à l’occasion de son premier séjour au Clion qu’il découvre et achète à «bon prix» ce vallon dénudé. Ce n’est alors qu’une lande quasi désertique balayée par les vents, où seuls poussent quelques ajoncs et genêts. C’est là qu’il projette de faire construire sa future résidence, laquelle verra le jour dès 1855. C’est une élégante bâtisse aux tourelles élancées, orientée sud-ouest, face à l’océan.

Le Baron Gaétan de Wismes, dans son registre inédit de 1894, nous décrit ce « nouvel Eden » qu’il nomme « La Pétardière », du nom de son propriétaire : « Voici le manoir. On y entre sans difficulté, et sous la conduite d’un serviteur, on admire tout à son aise, tant au premier étage que dans le salon et la salle à manger du rez-de-chaussée, une collection de beaux meubles qui fait honneur au goût éclairé du châtelain : lit Henri II, buffet de chêne sculpté, tables et fauteuils de bois doré, pendule de style… Par cette description, on devine l’opulence et la richesse des intérieurs.

Nous sommes au stade de la première énigme. Avec quels moyens financiers, Joseph Pétard a-t’il pu soutenir pareil projet ?

Au cours de mes recherches, j’avais eu l’occasion de relever dans les archives municipales du Clion, dans sa délibération du 09.09.1826 : «Le Conseil reconnaît l’absolue nécessité d’un vicaire, et qu’une somme de 300 francs lui fût allouée, et qui lui fût faite tous les ans au moyen d’une quête volontaire, qui se fera après la récolte, et que chacun sera libre de s’acquitter en nature ou en argent». Ceci sous-entend que si les récoltes ne sont pas bonnes, le vicaire n’est pas assuré de toucher ce salaire. Or, une année plus tard, le 12.05.1827, un garde-champêtre du Clion est recruté pour un salaire de 400 francs par an. Gagnant bien plus qu’un vicaire, aucun garde-champêtre Clionnais n’a pu, à ma connaissance,  se faire construire un château ? D’où vient donc cette manne financière ?

On peut aussi se demander s’il n’était pas issu d’une famille aisée. Son père, boulanger près de Nantes, lui aurait-il légué un héritage important ? Ceci semble guère envisageable, car son père est décédé près de 20 ans après la construction du manoir de Monval. Par ailleurs, notre vicaire, dans son recueil de poèmes «La Lanterne magique», semble faire état d’une certaine pauvreté matérielle au cours de sa jeunesse ? Aurait-il reçu un «leg» d’un de ses paroissiens ? Là encore, ceci semble impossible, tous les comptes de la paroisse étant soumis à l’époque au «Conseil de Fabrique», une structure composée de laïcs élus, ayant pour mission de contrôler la gestion financière et matérielle de la paroisse.

Financer pareil projet est une chose, mais en assurer la continuité en est une autre. Joseph Pétard eut donc l’idée de louer chaque été sa demeure à la riche aristocratie Nantaise, tandis que lui vivait dans son «ermitage» situé à proximité.  Dans le livre d’or mis à la disposition de cette clientèle aisée, nous relevons cette mention datée de 1888 : Nous avons tout visité, tout admiré, nous avons contemplé vos glaces, nous sommes restés ébahis devant vos bahuts, et nous nous serions reposés sur votre lit si nous avions été des princes ». Ceci est signé du Docteur Poisson et ses enfants. Une fois encore, on imagine le luxe dans lequel vivait ce vicaire, et ce n’est pas le modeste salaire octroyé par les paroissiens qui a pu lui permettre d’acquérir pareilles richesses ?

Dans son poème intitulé « Les deux ânes », Joseph Pétard écrit : Quand c’est par le travail qu’arrive la fortune, et qu’on ne l’a pas faite un soir au clair de lune, on peut en concevoir un légitime orgueil… » Mais quel est donc ce travail qui a pu lui rapporter autant d’argent ?

Dans son avant-propos, nous trouvons cet autre paradoxe : «Comme Melchisedech, je n’ai point de parents, je suis éclos tout seul au royaune des vents. Ne jugeant pas prudent d’annoncer ma naissance, de crainte de causer trop de réjouissance, comme un puissant seigneur, j’arrivai, mais si tard, que mon parrain fâché me surnomma Pétard». Notre vicaire semble sous-entendre qu’il n’a pas de parents (?) et que Pétard serait un surnom donné lors de sa naissance ? Pourtant, il est bien inscrit à l’état-civil comme étant le fils de Joseph Pétard et Perrine Duguy. Son frère Honoré, né à Nantes en 1816 porte comme lui, le nom de Pétard ?… Pourquoi donc faire état d’un éventuel surnom ?

Une autre curiosité : Dans ses livrets « Le hibou, l’hirondelle et la chouette » (1887), et « Gluaux du diable » (1888), l’Abbé Joseph Pétard se dit « Chapelain des châteaux de la Turmélière et de La Pétardière » ? Qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Il sous-entend peut-être qu’il est ou a été le desservant des chapelles de ces lieux ?

A la lecture de ces quelques lignes, on comprend mieux pourquoi l’entente entre le curé Louis Robert Fiérabras et son vicaire n’était pas la meilleure. Tandis que le curé s’évertuait à trouver les ressources nécessaires pour redresser et faire vivre la paroisse du Clion, son vicaire quant à lui, vivait dans l’opulence et manifestement sans soucis matériels et financiers.

Dans l’historique de Louis Robert Fiérabras retrouvé aux archives diocésaines de Nantes, on peut y lire un passage intéressant : « Le nombre des communions s’est accru, mais il est plus petit aujourd’hui qu’il n’a été durant plusieurs années. Les causes principales de ce ralentissement résultent : 1° – des assemblées d’Arthon, le jour de l’Ascension, et de la Bernerie, le jour de la mi-août, cette dernière nous enlève trois cents communions chaque année. 2° – du développement assez notable des mauvaises paroles et de blasphème. 3° – «de la faute de deux vicaires, qui n’ont été ni assez sages dans leur conduite, ni assez prudents dans leurs paroles et dans leurs actes».

Si les noms des vicaires ne sont pas mentionnés, on peut logiquement songer à Joseph Pétard, sans doute plus occupé par la fréquentation des salons littéraires et ses affaires immobilières, que par ses activités de vicaire ?

Dernière énigme : En 1855, lorsque ce manoir est érigé, notre vicaire prit soin de faire construire une chapelle sur un promontoire rocheux situé sur le flanc nord-ouest du vallon. Ce petit édifice servira aux diverses célébrations religieuses du château, mais il abritera aussi sous l’autel, la future «demeure» de notre vicaire lorsqu’il quittera ce monde. Le 25 juillet 1901, Joseph Pétard meurt à l’âge de 90 ans, et il sera enterré comme prévu, sous l’autel de sa chapelle. Le 2 octobre 1902, Louis Amieux, le célèbre industriel Nantais, achète la propriété de Monval, et la légende lui attribue le fait d’avoir fait exhumer Joseph Pétard, pour le faire enterrer au cimetière du Clion «comme tout le monde». Or aujourd’hui, on ne retrouve nulle trace en mairie du Clion de cette inhumation, pas plus qu’on ne retrouve l’emplacement de la tombe dans le cimetière communal. Aujourd’hui le doute plane encore sur la destination de la dépouille de ce vicaire, dont la vie n’aura été qu’une succession d’énigmes.

Michel BACONNAIS


Joseph PETARD, un poète original

« Il y a un demi-siècle, un jeune prêtre était nommé vicaire au Clion. Doué d’une âme d’artiste, d’un cœur de poète, il admirait dans ses promenades les beautés répandues par Dieu dans cette pittoresque contrée »… écrivait le Baron Gaétan de Wismes à propos de « La Pétardière »…Comment donc pourrait-on s’étonner qu’il eût la très heureuse inspiration de se rendre acquéreur, à d’excellentes conditions d’un vallon sauvage qu’il allait transformer en paradis, et ce rêve s’est réalisé.

Michel BACONNAIS rappelle « qu’il avait ses entrées dans le milieu bourgeois et lettré de Nantes et même parisien ».

De fait, nous avons retrouvé le « discours élogieux voire un peu pompeux » à son endroit par un des ses pairs de la Société académique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure en 1861.

Lire pages 177 à 193

Joseph Pétard a publié trois recueils de poésie « La lanterne Magique » en 1877 « Le hibou, l’hirondelle et la chouette » en 1887 et « Gluaux du diable » en 1888. Michel BACONNAIS a pu se procurer le premier livret qui contient une vingtaine de poèmes.

Je vous laisse apprécier l’un de ces poèmes appelé « les héritiers ».

LES HERITIERS
 
Il n’est rien de si vite oublié qu’un mort gras !
Mais avant que la cloche ait sonné son trépas,
Sa famille à l’envi s’afflige et se désole.
De son lit on écarte une mouche qui vole ;
Et qui pourrait venir pour troubler son repos !
Chacun veut de sa main lui donner des sirops.
On mande le docteur, on le suit, l’interroge;
A ses prescriptions en rien l’on ne déroge ;
Partout l’on va, l’on vient, les larmes dans les yeux;
Faut-il pour le guérir violenter les cieux !
On arrive en courant à l’autel de la Vierge;
On se jette à genoux, on allume un beau cierge!
On quitte ses enfants, ses amis, ses repas;
Enfin, que ne fait-on et que ne fait-on pas,
Pour montrer au mourant l’intérêt qu’on lui porte?
Mais quand son dernier souffle arrive vers la porte,
Et qu’un miroir a dit qu’il était vraiment mort,
Vite on le plante là pour chercher son trésor !
Dans quel tiroir a-t-il déposé sa fortune?
Qui de moi, qui de vous, aura la grosse prune?
Suis-je ou ne suis-je pas mis en son testament?
C’est ce dont, on s’occupe alors uniquement.
Peut-être sur son corps se fera-t-on la guerre
En s’arrachant des mains le linceul de sa bière !
Car, si je vous le dis, croyez que je l’ai su :
Voilà des héritiers un petit aperçu.
Si chacun d’eux n’est pas à ce point là coupable,
Du moins le nom des morts, ou l’écrit sur le sable;
Et, qui plus est, Messieurs, sur un sable mouvant
Qu’efface et que détruit le moindre coup de vent.
 
Et signe…  Tire Le ficelle, Joseph !


Les différents propriétaires du Château de Monval

  • Construction en 1854-1855
  • Le 1er janvier 1856 – Propriétaire Joseph Pétard
  • Le 24 mai 1894 – Propriétaires : les héritiers Pétard en viager
  • Le 2 octobre 1902 – Propriétaire : Louis Amieux, industriel nantais (voir photo jointe)
  • Le 15 octobre 1918 : Propriétaire : Maurice, le fils de Louis Amieux
  • Le 19 mars 1933 : Propriétaires : M. et Mme Henri Musset
  • Le 19 mai 1937 : propriétaire : Association diocésaine de Nantes (encore propriétaire à ce jour).

Photos Michel BACONNAIS

Visite du château de Monval

Avec Catherine, une cousine clionnaise intéressée par l’histoire, nous avons pu visiter le château et sa chapelle le 9 février 2022 à l’invitation de Catherine LEROY, la responsable de la maison diocésaine et Michel BACONNAIS, l’historien local.

Un grand merci à Catherine et Michel pour leur accueil.