Deuxième jour Jour Mardi 3 mars 2020
De Châlons sur Marne à Haudainville (près de Verdun)

Nous nous dirigeons vers Suippes à l’aide des carnets d’Auguste.
Dans les pas d’Auguste, du 12 juillet 1915 au 17 janvier 1916 (Suippes – Bois Raquette) et du 25 septembre 1916 au 22 octobre 1916 ( Massiges-Tahure) : les offensives de Champagne.
15 juillet 1915. Auguste débute l’écriture de son 3ème carnet. On s’apprête à moissonner au Portégaud où il vient de terminer sa convalescence à la suite de sa 2ème blessure sur le front de Belgique. Nous y reviendrons. Il a quitté St Julien le 12 pour rejoindre Angers Son moral n’est pas bon : « tous ces jours je suis en proie à une dépression physique et morale comme je n’en ai jamais ressentie. La vie n’est pas toujours gaie et rose. » C’est le moins qu’on puisse dire ! Heureusement il bénéficie d’une permission de moisson et retourne au pays pour 15 jours. La récolte n’est pas bonne : 25 sacs de blé. Il repart le 5 août à Angers pour des exercices à la Caserne Dujardin mais revient pour des permissions hebdomadaires de 24h. Le mois de septembre est très chaud.
Le 27, il regagne en train le front pour rejoindre le 44ème RI à Gray (Haute Saône) via Tours, Vierzon, Nevers, Le Creusot , Dijon, puis Fraimbois (Lorraine) via Vesoul, Epinal, Blainville, Lunéville et Baccarat. Il ne sait pas où il va, mais quelqu’un le sait-il vraiment ? Il est heureux d’être en compagnie d’Alphonse LUZET de St Julien mais de la classe 15 (qui aura plus de chance que lui car il terminera la guerre décoré d’une Croix de guerre avec médaille de bronze!)

Il repart le 6 octobre pour rejoindre St Hilaire au Temple au nord de Châlons-sur-Marne et participer à une énième attaque dans l’offensive de Champagne. Près de Suippes et de Bussy le Château, il stationne en lignes arrières dans un des bois de sapins (ou ce qu’il en reste) disséminés dans les plaines de Champagne. Il est équipé d’un masque à gaz et de lunettes pour se préserver des gaz asphyxiants.
On y aménage des tranchées pendant que les avions se livrent bataille au dessus. « Les journées sont calmes » écrit-il, jusqu’au 10 octobre où balles et marmites s’abattent brutalement autour de lui. Cinq de ses camarades meurent ensevelis…

« Toute la vie est concentrée sous la terre. Je suis dans l’avenue des Etats -Unis » !
Il ne sait pas encore que son conscrit Alexandre Jamin du bourg est le premier de la classe 12 « tué à l’ennemi ». Il disparaît le 10 septembre 1915 à Beauséjour à quelques kilomètres. Quelques jours plus tard, le 24 octobre 1915, c’est un autre conscrit Germain Placier, cultivateur à Sébastopol, qui sera blessé.
Le samedi 16, il note que sa tranchée reçoit la visite de Mme Marika Stiernstedt, femme de lettres suédoise (vraisemblablement mandatée par la Croix Rouge dont elle est membre et par ailleurs pacifiste NDLR).

Tous ces jours-là, il est occupé à diverses tâches de liaison entre les lignes et séjourne dans des « cagnas très bien aménagées reprises aux Allemands. Comment a-t-on pu les déloger ? » s’interroge t-il ?
Le 5 novembre, il monte en première ligne Au Bois-Raquette un peu au dessus de St Hilaire Le Grand. « Le secteur est relativement calme » même s’il reçoit « quelques obus mais surtout des bombes et des fléchettes ». Il s’agit surtout de tenir la ligne face à l’ennemi.
![[Front_français_Champagne_-_Environs_[...]France_État-Major_btv1b53067329g.JPEG](https://leslettresdeclementhome.files.wordpress.com/2020/02/front_franc3a7ais_champagne_-_environs_...france_c389tat-major_btv1b53067329g.jpeg?w=996)
Enfin après un retour en 3ème ligne, il revient à l’arrière et repart le 25 novembre pour une interminable marche de près de 100 Km qui aboutira à Nant Le Petit où il va rester jusqu’au 17 janvier 1916. « Nous sommes à l’exercice où nous sommes plus mal que je ne l’ai été dans l’active, le colonel nous a dit l’autre jour que nous n’étions au repos que pour nous accoutumer à la discipline qui n’existait pas dans les tranchées. Nous sommes de plus en plus mal nourris, c’est la purée ! » Il recherche des journaux pour s’informer et prend des nouvelles de ses proches et d’autres conscrits : « Je crois qu’il y a 45 morts à St Julien et 70 au Loroux ».


Mardi 3 mars 2020
De bon matin, après une nuit à Châlons, nous prenons la direction du Bois Raquette et circulons sur les petites routes de la plaine de Champagne. Des bois de sapins, nous n’en voyons plus guère et nous avons bien de la peine à retrouver le Bois Raquette.
Il n’y a pas grand monde dans le secteur. Nos recherches nous mènent à Souain, plus précisément au bar « Le Mandana ». L’aubergiste ne pouvant répondre à nos questions, il appelle l’historien local qui arrive… C’est Michel GODIN, l’ancien maire, qui connait tout de l’histoire des lieux évidemment !


Nous nous rendons sur place. Il ne reste que l’emplacement du bois. Nous allons ensuite au cimetière militaire de Crouée. Les croix allemandes de grès gris voisinent avec les croix blanches françaises.


La guerre et le temps ont effacé les paysages, mais pas notre mémoire.
Nous faisons un détour par le Lycée Agroéquipement de Somme-Suippes pour saluer son directeur puis nous visitons le centre d’interprétation de Suippes « Marne 14 18 ».


Ensuite nous n’allons pas jusqu’à Nant le Petit mais prenons plutôt la direction de Massiges et revenons donc à l’année 1916, mais cette fois à la fin septembre. Auguste a participé à la Bataille de Verdun à deux reprises au cours du 1er semestre 1916, puis à la Bataille de la Somme. Entre temps il n’aura bénéficié que d’une seule permission depuis le 25 septembre 1915 pour retourner au pays entre le 29 mai et le 7 juin 1916. Il est de retour sur le front de Champagne le 25 septembre 1916 en provenance directe de la Somme.
Auguste a commencé l’écriture de son 4ème carnet, le dernier dont nous sommes en possession.
Page 72, ce 27 septembre il revient de la Somme et est à Ecury-sur-Coole au sud de Châlons. Et s’attend à remonter en première ligne. Soldats et officiers, qui voulaient plus de repos, sont mécontents. Il est toujours affecté au 44ème RI- 5éme compagnie.
Il rejoint à pied la première ligne entre Tahure et l’Argonne près du village de Courtémont le jeudi 5 octobre au terme d’une marche de près de 80 km. Il fait beau, le secteur est calme et « mes journées se sont donc passées en dehors des courses et des repas, à dormir, à lire et à écrire ». Il en profite pour dessiner un plan de son secteur:

Il ne sait pas vraiment où situer sa compagnie mais le journal de son régiment, le 44ème, que nous avons consulté, indique qu’il s’agit de la Main de Massiges.
Puis il revient en ligne de réserve à la cagna de la Demi-lune le 12 octobre. Il en profite pour livrer ses réflexions sur la guerre et le sens de la vie, qui donnent bien une idée de sa personnalité.





Nous visitons les lieux de bataille de Massiges. A la « Main de Massiges », une association locale a reconstitué les tranchées de ce site stratégique qui domine la plaine et qui a fait l’objet d’âpres combats.




Puis nous repartons vers Haudainville au sud de Verdun.
Il part enfin en permission le dimanche 22 octobre et écrit les dernières lignes que nous lui connaissons le vendredi 3 novembre 1916 au Portégaud à quelques heures de son départ à nouveau pour le champ de bataille. Les autres carnets qu’il aura écrits, nous n’en n’aurons jamais connaissance.
Avant de partir de St Julien il envoie une lettre à son parrain, Alexandre Pétard, le frère de sa maman, alors au front.
