1928.
Le dimanche 13 mai en milieu d’après midi, Clément et Gabrielle se rendent à la cure de Saint Julien pour y rencontrer le nouveau curé Tisseau et d’obtenir un rendez-vous pour préparer leur messe de mariage prévue début août. Une nouvelle rencontre est donc fixée au samedi 9 juin.
A Saint-Julien la mort du curé ARROUET à la fin du mois de mars a créé une vive émotion. Mais les paroissiens ne sont pas restés longtemps sans pasteur comme le souligne Victor BOUYER dans son journal[1] du mercredi 18 avril : « Une nouvelle vient de se répandre rapidement, nous avons un nouveau curé. L’évêché jugeant, en raison de la construction de l’église, la présence nécessaire d’un chef nous en envoie un sans retard. C’est Monsieur l’abbé TISSEAU, curé de Remouillé. Il fait son apparition dans le bourg à 10h… On en dit le plus grand bien ! »

En cette année 1928, Victor BOUYER, tonnelier et Alexandre CORNET, marchand de bestiaux sont marguilliers, fonction qui les amène à soutenir le clergé local dans la gestion patrimoniale et financière de la paroisse de Saint-Julien-de-Concelles. Une mission prenante car il faut être disponible pour assister les prêtres, curé et abbés, dans l’organisation des cérémonies et fêtes religieuses.
A la demande du curé, Gabrielle et Clément se rendent alors chez Victor BOUYER et la boutique de rouennerie que tient Elise, son épouse, à proximité de l’église. Il s’agit de confirmer la date du 6 août afin de bien vérifier qu’elle est bien inscrite dans le registre tenu par les marguilliers pour l’occupation de l’église.
Après avoir pris un verre et avant de prendre congé de la famille, Victor demande un petit service « Demain c’est les Rogations, Clément accepterais-tu de porter la bannière entre deux messes de station, du Bas coteau du chêne à la Jousselinière avec Lucien Vivant ?
Difficile pour Clément de refuser ce service d’autant que le Port-Egaud se trouve à moins de 500 mètres du village précité.

« Aujourd’hui ce sont les Rogations. Grosse affaire pour les marguilliers ! Nous partons à 6h pour la Jousselinière. Le temps est beau, la brise légère ne souffle pas trop dans les plis de la bannière. Peu de monde au départ mais peu à peu nous récoltons des fidèles sur la route. A la station de la Vierge de la Bassetterie, l’assistance est convenable. Elle grossit encore à la croix d’Embreil.
Je n’avais jamais goûté comme ce jour à la politique religieuse de ces cérémonies. Au milieu de la nature si belle en cette saison, la procession s’avance au chant des cantiques et des litanies, demandant à Dieu de bénir toujours les biens de la terre et de nous en accorder les fruits.
Nos porteurs de bannière se tirent bien d’affaire malgré le vent qui s’est levé quelque peu. Quant à Alexandre et moi nous portons à tour de rôle et allègrement notre croix…» relate Victor dans son journal du mercredi 14 mai 1928.

Le samedi 9 juin, c’est la veille de Fête-Dieu. Gabrielle et Clément attendant que le curé Tisseau, les abbés Chenet et Mahé et l’équipe du bourg installent les dernières décorations du reposoir situé près de l’église. Gustave Pétard, photographe, immortalise cet instant.
Victor BOUYER, dans son journal du 9 juin 1928, raconte dans le détail les préparatifs de cette fête religieuse : « Demain, c’est la grande Fête-Dieu. Grave question pour les marguilliers. Nous sommes tout particulièrement chargés de la décoration d’un reposoir. Il s’agit de prouver que nous ferons aussi bien sinon mieux que nos devanciers.
Dès une heure, nous partons dans l’auto d’Alexandre avec Monsieur le Curé en direction du village de la Chebuette. Nous nous rendons dans l’île d’Harrouys. Le propriétaire, ancien marguillier lui-même, nous invite à aller couper des branches vertes. À notre appel, un bateau quitte l’île et vient vers la rive de la Loire. C’est le fils BADEAU qui le conduit. Quand nous sommes embarqués la motogodille qui actionne le canot remonte le courant avec aisance et nous filons à belle allure. Il fait beau sur le fleuve, le soleil brille et le vent qui souffle quelque peu soulève des vagues de façon à faire tanguer notre bateau de manière amusante. Nous coupons les branches, nous visitons l’île et tous les habitants qu’elle renferme….
Puis c’est la pêche, une grande pièce d’eau au milieu de l’île n’a rien à voir avec la fermeture et le temps prohibé… Deux coups de filet nous donnent avec quelque menu fretin deux belles tanches et un superbe brochet. Préparer ces poissons et les mettre au beurre blanc fut pour la maîtresse de maison l’affaire d’une demi-heure ».
Dépuis quatre mois, les travaux de rénovation de l’église vont bon train dans le bourg. En janvier, le Conseil municipal a voté un emprunt de 198 500 F. Les travaux ont été estimés par l’architecte Bougoüin de la rue du Calvaire à Nantes à 595 800 F pour une église rénovée avec 3 travées, la paroisse prenant les 400 000 F restants à sa charge. Cependant le nouveau curé Tisseau plaide pour depuis le mois dernier pour construire une 4ème travée afin d’accueillir aux offices des paroissiens de plus en plus nombreux !
Fin juin, après la démolition de la partie avant et de son clocher le mois précédent, les fondations sont désormais sorties de terre et « les soubassements des murs avec leurs contreforts de granit ont un mètre de haut » note Victor BOUYER dans ses mémoires. Il ajoute :« Hélas le beau rêve de Monsieur le curé ne va sans doute pas se réaliser. Il va être impossible de construire la quatrième travée. La souscription commencée dans la paroisse ne donne pas tous les résultats qu’en attendait notre nouveau pasteur.
Pourtant l’année n’est pas si mauvaise qu’on l’aurait cru tout d’abord. Les petits pois se sont vendus très chers. La vigne promet, il n’y a pas trop de maladie… Mais sans doute quand il s’agit de donner, même pour une œuvre qui nous touche de si près, on trouve toujours de bonnes raisons de s’y soustraire… ».
Descente de la cloche, démolition de la partie avant, l’équipe du chantier- Photos Gustave Pétard.
Pourtant, en temps que marguilliers mais aussi membres du conseil municipal, Victor BOUYER et Alexandre CORNET ne ménagent pas leurs efforts pour motiver les paroissiens car le maire Léon Binet est réticent à engager d’autres fonds communaux pour la rénovation de l’édifice religieux.
Lettre de Léon BINET, maire de St Julien de Concelles à son adjoint Victor BOUYER Collection Brigitte RACINE et Photo de Léon BINET- Collection Gustave Pétard
Devant le peu d’empressement de la population à répondre au suprême effort demandé par le maire, le conseil municipal du 23 septembre 1928 devra tout de même se résoudre à voter un emprunt complémentaire de 130 000 F pour terminer les travaux et la réalisation de la 4ème travée.
En mars 1931, l’église est achevée.
Mais revenons à l’année 1928…
Début juin Gabrielle s’emploie à envoyer les invitations au mariage… Plus tard, le 25 juillet, elle reçoit une lettre de la cousine Félicité VINET de Bellignat près d’Oyonnax (voir généalogie Vinet-Pétard ci après).

Chère cousine,
Excusez-moi je vous prie d’avoir attendu si longtemps à vous répondre à votre aimable invitation…
Nous regrettons énormément de ne pouvoir aller assister à votre mariage. J’aurais été très heureuse de vous revoir mais mes enfants ne sont pas d’avis que j’envisage un voyage si long et en même temps pénible pour mon âge. Si l’un de mes enfants avait pu venir ça aurait été tout seul !
Nous vous félicitons de votre décision au mariage d’autant plus que c’est pour rester auprès de votre maman et que vous ne manquerez pas d’être heureuse entre votre mari et votre mère surtout que pour vous ce n’est pas un inconnu.
Nous vous souhaitons donc bonheur et prospérité en attendant que le bon Dieu bénisse votre union. Merci des bonnes nouvelles de chez Jean-Marie, ils doivent être heureux avec leurs trois anges… Dites-lui et sa femme bien des choses de notre part.
Chère cousine, je vous quitte en vous embrassant bien affectueusement. Mille choses aimables avec nos félicitations à votre bonne mère.
Félicité Vinet
PS: Je vous enverrai un modeste petit souvenir.
Le mariage de Gabrielle et Clément se déroule comme prévu début août, religieux le vendredi 6 et civil le 7 août. Ce samedi, avec leur nouveau livret de famille, les deux mariés filent se faire prendre en photographie dans le petit studio de Gustave Pétard, derrière l’église.
Sept jours après, Gabrielle et Clément sont à nouveau de noces à Saint-Julien mais cette fois pour sceller l’union de leurs amis Marie ALLEAU et Henri GOUY.
Fin août, le frère de Gabrielle, Jean-Marie PÉTARD, envoie une carte postale à la cousine Félicité de Bellignat.

La Chapelle, le mardi 28 août
« Chère cousine,
Avec Gabrielle nous avons apprécié votre lettre du mois dernier. Le mariage de Gabrielle et de mon ami Clément s’est bien déroulé. Ils sont désormais installés à la Guilbaudière. De notre côté nous sommes bien occupés à la Saulzaie avec nos 3 garçons, Armand, Jean et Antoine.
Je viens à l’instant de refermer le journal de ce jour « L’Echo de la Loire ». Un pacte contre la guerre a été signé hier à Paris. Nous espérons que cet acte sera suivi d’effets et que cette folie des hommes que nous avons vécue, vos fils et nous, ne s’éloigne à jamais.
Nos amitiés à nos cousins, vos enfants Maurice et Georges, qui semblent eux aussi bien occupés dans leur vie professionnelle.
Germaine et moi nous vous embrassons.
Jean Marie
NB : Je vous envoie une photo de nos deux aînés, Armand et Jean, prise récemment »
A l’instant où nous écrivons ces lignes, Jean vient de nous quitter. Nous avons tenu à lui rendre hommage (voir récit complémentaire).
Généalogie VINET PÉTARD en 1928

Merci à Brigitte RACINE pour la transmission des écrits et documents de son grand-père : Victor BOUYER. Merci également à Alain CARDOU et Jean GUILLET pour les photos de Gustave PÉTARD.
[1] Extraits du journal de Victor BOUYER « Un an sous la bannière »