Le retour de la famille DOUBLET à Saint-Julien pendant la guerre

Mai 1940.

Clément Hivert est mobilisé au fort de Charenton au sud de Paris depuis plus de 4 mois (Cf Dans les pas de Clément). En ce même mois de mai la famille Doublet, originaire de la commune de Suzanne dans les Ardennes fuit à nouveau l’invasion allemande. Ils reviennent à Saint Julien de Concelles où ils ont noué des liens d’amitié avec certains habitants dont la famille HIVERT lors de leur première venue de 1914 à 1918 pendant la première guerre comme nous l’avons évoqué lors d’un précédent article.

René DOUBLET, le fils de Lucien, que nous avons rencontré il y a quelques années à Carcassonne où il habite désormais, nous a fait le récit de leur épopée. Son récit a été complété par Jean-Clément PREAUDEAU de Saint-Julien dont les parents ont hébergé pendant presque une année la famille DOUBLET.


L’exploitation agricole de la famille DOUBLET à Suzanne

« Notre exploitation et maison d’habitation se trouvaient à côté du château de Suzanne. Lucien, notre père, avait une petite ferme de 20 hectares avec des bois. Nous faisions de la polyculture, blé, orge, avoine, betteraves avec une rotation des cultures et un système de jachère ».

L’exploitation est contiguë au château de Suzanne

Les Ardennes pendant la guerre 39-45

Après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne  le 1er septembre 1939, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939.

L’Allemagne nazie envahit la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas le 10 mai 1940, puis perce le front français dans les Ardennes. «  Dès le 9 mai 1940 nous avions des signes avant-coureurs de l’imminence de l’invasion allemande… En allant chez mes grands-parents avec ma sœur Paulette qui m’accompagnait, nous avons été mitraillés  par l’aviation et nous avons dû, dans la panique, courir et nous coucher rapidement…

Le 10 mai 40, nous étions tous rassemblés dans la maison de famille à Suzanne. En entendant les avions ennemis nous nous sommes réfugiés dans la cave voûtée souterraine à quelques encablures de la maison dans la pâture, près du ruisseau, pendant les bombardements allemands. Avec nous il y avait avec des réfugiés sedanais, un copain de régiment de mon père, bijoutier à Sedan, qui avait amené dans sa fuite des caisses de bijoux et de montres qu’il a dû laisser à Suzanne.

 Une bombe est tombée dans la chambre de Paulette, heureusement sans déclencher d’incendie. Le 10 mai, au soir,  alors que la commune de Suzanne était en feu,  mes parents prenaient la décision de partir »… comme les 520 000 français qui sont évacués des zones frontalières comprises entre la ligne Maginot et l’Allemagne du 10 au 15 mai.

Les Ardennais sont évacués principalement vers la Vendée et les Deux-Sèvres sur ordre des autorités militaires. Mais les Doublet déjà réfugiés en 1914 préfèrent revenir en Loire-inférieure à St Julien de Concelles où ils avaient pu nouer des liens d’amitié dès 1914.

Le département frontalier des Ardennes  subit donc de plein fouet l’invasion et une nouvelle occupation allemande. Le département est en grande partie classé « zone interdite ».

Le départ de la famille DOUBLET

En quittant le village, le 10 mai au soir il a fallu tout abandonner, maison, meubles et animaux. « Nous avons décidé d’éparpiller les vaches avant de partir. Nous avions un taureau dans l’étable et nous l’avons attaché en laissant un écriteau « Donnez-lui donc à manger et à boire ! »

« Même chose pour nous, grâce à un « crayon à encre » (aniline) dont il fallait mouiller la pointe à l’aide d’un peu d’eau, nos parents nous avait cousu à chacun un morceau de drap au revers de notre veste avec nos coordonnées et notre but : l’espérance de rejoindre Saint Julien de Concelles si nous devions être séparés brusquement ».

Dans le village, vêtements, objetprécieux, souvenirs et victuailles ont été entassés à la hâte dans des valises ou des sacs et déposés dans les landaus ou des brouettes, sur des vélos, des charrettes à bras ou à cheval, les automobiles étant réservées à une minorité de personnes.

C’est le cas des Doublet. « En abandonnant presque tout, nous sommes partis précipitamment le 10 au soir grâce à la voiture de mon père Lucien, une automobile Peugeot « à jante de roue en bois », vers Ponfaverger dans la Marne et avons dormi dans un bois sous une bâche. Puis le lendemain nous avons rejoint la commune de Mer, entre Orléans et Blois. Là, Il pleuvait et nous avons dormi dans la paille d’une grange. Puis le 12 mai nous avons rejoint Saint-Julien. Nous avons eu de la chance car nous sommes partis très vite et la route était libre, le jour d’après on ne pouvait plus circuler… avec l’armée en déroute et la fuite des habitants ».

En effet, pendant cette évacuation les avions allemands, maîtres du ciel, prenaient les routes et les gares en enfilade et mitraillaient en rase-mottes. Lors de ces multiples attaques, les risques étaient énormes, y laisser sa « peau » ou perdre le reste de son groupe disséminé dans ce troupeau humain.

« La famille VILVANDRE était nos voisins les plus proches avec laquelle on s’entendait très bien. Mme VILVANDRE tenait le seul téléphone du village entre les deux guerres. Les VILVANDRE  sont partis avec nos chevaux, Bijou et Gamin. Ils sont allés jusqu’à Orléans et là, ils ont dû les ferrer car leurs pieds saignaient. Mon père est remonté à Orléans les chercher puis les a ramenés à Saint-Julien, pour la deuxième fois, comme nous ».

Pour Aimé DOUBLET le grand-père, né en 1867, c’était le troisième exode, il avait déjà dû évacuer avec ses parents en 1870 devant les Prussiens. Mais cette fois-ci, c’est en voiture qu’il entreprend le voyage : « Mes quatre grands-parents Aimé et Léonie DOUBLET, Louis et Clotilde PEROTIN, sont partis avec André et Blanche DELETANG, sœur de Lucien, ainsi que leur fils Claude. Ils se sont entassés dans la voiture d’André, une Renault K2,  plus vaste que notre Peugeot».

L’installation à Saint Julien

Dans une ses lettres à Clément, Gabrielle signale l’arrivée des Doublet à Saint-Julien et  Clément s’en fait l’écho dans sa lettre du 21 mai 1940.

Lucien et Hélène 40 ans et leurs 4 enfants, Paulette 16 ans, Jean 12 ans, René 6 ans et Yvette 4 ans seront logés, rue de la poste, chez les grand parents Préaudeau.

Rue de la poste à Saint Julien

Suzanne tenait l’épicerie et Clément, son mari, était sabotier. Jean-Clément, le fils de Suzanne et de Clément Préaudeau se rappelle que « la famille Doublet était logée chez ma grand-mère et je me souviens qu’on jouait ensemble dans la cour entre les deux maisons ». René se souvient de la petite épicerie « j’y ai même acheté une petite vache pour la mettre dans notre crèche pour le Noël de 1940 ». 

Le commerce et la maison des Préaudeau, c’est l’avant dernière bâtisse sur la gauche
Hélène et 3 des enfants, Paulette, Jean et Yvette
Paulette, Jean, René et Yvette DOUBLET
avec Jean-Clément et Michel PREAUDEA
U

De leur côté, les grands parents, Aimé, âgé alors de 63 ans, sa femme Léonie ainsi que  Blanche et André PÉROTIN, étaient  logés, route du Loroux-Bottereau, chez Alexandre Cornet et sa femme Mélanie, le marchand de vaches de Saint-Julien, et par ailleurs, premier adjoint de la commune.

Extrait du recensement de Saint-Julien-de-Concelles de 1931 – ADLA
Chez les Cornet, première maison sur la gauche, route du Loroux-Bottereau
Mélanie et Alexandre CORNET

La vie à Saint-Julien

Très vite les DOUBLET se sont impliqués dans la vie locale. L’absence des hommes encore mobilisés  les a incités à prêter main forte dans certaines exploitations  de St Julien, comme celle des HIVERT de la Guilbaudière,  et donc à Gabrielle en l’absence de Clément.

Extrait de la lettre de Clément à Gabrielle le 23 juillet 1940

Puis progressivement Lucien entreprend une activité économique spécifique : « Avec la charrette trainée par  Bijou et Gamin, et apportée par les VILVANDRE, mon père convoyait du vin pour gagner un peu d’argent ».

C’est dans le cadre de cette activité que le journal « Ouest Eclair » du 30 novembre 1940 rapporte que Lucien et son fils Jean ont eu un accident avec une camionnette «  dans le vignoble entre le Loroux et Barbechat à proximité de Saint-Julien. L’homme au volant était semble-t-il très distrait par la compagnie de son amante » m’a rapporté René Doublet.

Ouest-Éclair  du 30 novembre 1940 … et du 8 janvier 1941 – Rétro-news

« Mes parents allaient aussi offrir leurs services dans les champs en cet été 1940 par exemple pour cueillir les fraises chez les maraichers. Mon père me racontait que lors de la pause du matin, il était invité à manger une soupe aux choux.

Ma petite sœur qui avait 4 ans en 1940, pendant que mes parents travaillaient et que nous étions à l’école, on la mettait chez une dame qui buvait légèrement. Une fois on l’a retrouvée dodelinant de la tête car la vieille femme lui avait donné du vin à boire… Autant dire que la garde lui fût interdite rapidement.

Je me souviens qu’on circulait à St Julien avec un vélo. On se mettait sur le cadre du vélo de mon père et on freinait avec le pied car le vélo n’avait pas de freins.

Pendant ce temps-là, j’allais à l’école primaire.  Jean, mon frère aîné né en 1928, a même passé à Saint-Julien son certificat d’études en 1940 et il l’a eu ! »

A suivre


A son arrivée en mai 1940, Jean Doublet, intègre bien la classe de Théophile BRETONNIÈRE. A 60 ans celui-ci est déjà en retraite mais il reprend du service début 1940 avec la mobilisation de Monsieur LOUBEYRE, le nouveau directeur de l’école.

Classe de M. Loubeyre en 1939

Jean MAUGET, élève âgé alors de 13 ans, a gardé en mémoire tous les noms de ses camarades de classe de l’époque qu’il a consigné dans un dossier.

En 1940, Auguste HIVERT, le fils de Clément, intègre la classe de Théophile BRETONNIÈRE « la grande classe, » comme le dit Jean MAUGET. « Dans cette classe terminale, il y avait des jeunes de 11 à 14 ans. Moi j’avais 13 ans en 1940, Auguste en avait à peine 11. On passait dans la classe terminale seulement quand on était prêt à passer le Certificat d’études».

Le 20 juillet 1940, Clément en attente de démobilisation à Videix en Haute Vienne fait allusion à l’instituteur public qu’il a eu lui aussi dans les années 20.

Clément loue malicieusement auprès de son fils le sens de l’ordre et de la discipline de l’ancien directeur de l’école des garçons, ce que confirme Jean MAUGET : « quand Théophile Bretonnière est revenu, ça a été une autre histoire ! Il était plus sévère ! ». 

Classe de Théophile Bretonnière en 1940
Auguste Hivert

Là encore Jean a pris soin de noter les noms et les villages de l’ensemble de ses camarades de classe.

Jean Doublet, le frère de René n’y figure pas, car la photo a été prise avant son arrivée à Saint-Julien.


Merci à la famille PREAUDEAU pour la transmission des photos.

Merci à Jean MAUGET aujourd’hui âgé de 96 ans de m’avoir accueilli à plusieurs reprises à son domicile il y a quelques mois.

Passionné d’histoire locale, son bureau est décoré de nombreux souvenirs, photos et recherches généalogiques.

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