La famille DOUBLET, réfugiée à Saint-Julien-de-Concelles pendant la guerre 14-18

La famille Doublet, originaire du département des Ardennes, s’est réfugiée à Saint Julien de Concelles durant les deux guerres, de 1914 à 1919 puis en 1940-1941. 

En 1914, Aimé DOUBLET, traverse la France avec ses deux enfants Blanche et Lucien. Ils seront accueillis dans la commune de Saint-Julien et se lieront d’amitié avec la famille HIVERT.

Grâce à quelques lettres, aux archives départementales de Loire–Atlantique et des Ardennes et aux témoignages de la famille DOUBLET, en particulier René,  le fils de Lucien, j’ai pu reconstituer leur parcours et leur vie.

Les Ardennes pendant la guerre 14 18

L’armée allemande pénètre dans le département des Ardennes le 21 août 1914 après l’invasion de la Belgique. Les Ardennes, l’Allemagne et la guerre, c’est déjà une vieille histoire, si l’on ose dire : trente-quatre ans auparavant, presque jour pour jour, la bataille de Sedan a mis fin à la guerre de 1870.

Les Ardennes sont aussi le seul département à avoir été occupé durant toute la Grande Guerre, soit cinquante-deux mois passés sous le joug ennemi. L’armée allemande choisira d’ailleurs Charleville pour installer son état-major et son grand quartier général, tandis que l’empereur Guillaume II de Prusse établira sa résidence à Mézières. C’est de la préfecture ardennaise que seront notamment commandées les opérations sur Verdun et sur le Chemin des Dames.

La famille DOUBLET

Aimé-Désiré DOUBLET est né à Suzanne le 31 janvier 1867.

Acte de naissance d’Aimé DOUBLET– Archives départementales des Ardennes

Marié à Léonie Leroy, le couple a eu deux enfants : Blanche née en 1896 et Lucien en 1900.

Actes de naissance de Blanche et de Lucien Doublet – Archives départementales des Ardennes

Le couple habite Suzanne, commune du département des Ardennes qui compte avant la « guerre 1914 » 207 habitants. Les DOUBLET sont fermiers du château en contre bas du bourg.

Cadastre, recensement de 1911, château et exploitation liée – Archives départementales des Ardennes

Le départ de la famille DOUBLET en 1914

A Tourteron, commune proche de Suzanne, des combats intenses ont eu lieu le 30 Août 1914, date à laquelle les habitants s’enfuient en masse devant l’avancée des Allemands : « Blanche et Lucien, comme les VILVANDRE leurs voisins, sont partis de Suzanne en poussant une brouette à pied » précise René Doublet, le fils de Lucien.

Louisette PILLIERE, petite fille de Lucien, ajoute qu’Aimé étant mobilisé  « Léonie, sa  femme n’a pas voulu partir en 1914… Elle a dit à aux enfants Lucien et Blanche : « Avancez ! Je vous rejoins[1] » mais en fait elle a choisi de ne pas partir et est restée seule à Suzanne pendant plus de 4 ans entourée d’Allemands. Ce que confirme René : «Léonie est restée au village, c’était une « femme déhanchée », et à l’époque ça ne se réparait pas, on restait comme ça toute sa vie !  En fait, elle n’avait pas envie de partir. En plus « un Boche » lui a tiré dessus pour la voler en 1914. Une balle lui a traversé le ventre sans toucher aux parties vitales »…

Le 10 septembre 1914 la famille arrive de Suzanne avec les VILVANDRE,  via Nantes.

Extrait de la liste des réfugiés à St Julien en 1914 – Archives départementales de Loire-Atlantique 10 R 5

Comme il est signifié sur son carnet militaire Aimé n’est pas présent à Saint-Julien de Concelles en septembre 1914 car il est rappelé par ordre de mobilisation générale. Il a rejoint le service des gardes de sa compagnie le 1er août 1914 mais il est libéré le 22 novembre  de la même année car il a 46 ans. Il rejoint ensuite très vite ses enfants à St Julien.

Extrait du carnet militaire d’Aimé DOUBLET

La vie à Saint-Julien-de-Concelles

Les enfants, Blanche et Julien,  sont hébergés dans un premier temps chez Marie et Félix RIPOCHE le 10 septembre 1914, charcutiers au bourg…

Extrait du recensement de St Julien en 1911 – Archives départementales de Loire-Atlantique

… puis accueillis avec cinq familles dans une propriété du docteur PINEAU au village de l’Aubinière à proximité du Port Egaud, où habite la famille HIVERT…

Extrait de la liste des réfugiés à St Julien en 1914 – Archives départementales de Loire-Atlantique 10 R 5

Les réfugiés, en grande majorité agriculteurs, aident avec beaucoup de bonne volonté les familles de leur voisinage. C’est ainsi que la famille DOUBLET s’est liée d’amitié avec la famille HIVERT du Port Egaud ; Aimé avec Auguste-père et Lucien avec Clément, les hommes ayant sensiblement le même âge.

Extrait du  plan cadastral du 19ème siècle de Saint-Julien-de-Concelles – Archives départementales de Loire-Atlantique

En septembre 1914, le Conseil Municipal vote quelques crédits pour venir en aide à la trentaine de réfugiés belges et de l’Est de la France, mais les fonds disponibles  s’avèrent très vite insuffisants pour faire face aux besoins de ceux-ci.

Extrait des délibérations du Conseil Municipal de St Julien de Concelles le 27 septembre 1914

Les réfugiés sont en effet dans un dénuement total d’où l’aide demandée par Aimé DOUBLET au président du Conseil général le 24 décembre 1915…

Archives départementales de Loire-Atlantique 10 R 5

… demande relayée par l’adjoint au maire Guillaume BRAUD à la préfecture ou au président du Conseil Général de Loire-Inférieure pour obtenir une aide à l’habillement.

Lettre de Guillaume BRAUD, 1er adjoint de St Julien au Président du Conseil Général

Cette demande sera renouvelée tous les ans et à cette occasion, en octobre 1916 Guillaume BRAUD n’hésitera pas à dire tout le bien qu’il pense de la famille DOUBLET.

Après avoir rendu des services saisonniers à leurs voisins, en particulier la famille HIVERT  du Port-Egaud, en 1916, Aimé et Lucien Doublet travaillent à Nantes chez Jean Ulric STOCKER, qui possède une entreprise de bâtiment. Sans doute Aimé l’a t-il rencontré à St-Julien car il est propriétaire des dépendances du château du Gué au Voyer.  Déraciné comme lui, puisqu’il est  d’origine autrichienne, les deux hommes ont dû sympathiser.

Extraits des Listes électorales de Nantes 1909-1922. Archives municipales de Nantes

Puis en 1918, Lucien a travaillé sur le port de Nantes, à Chantenay,  à côté d’une usine de fabrication de savon, précise René DOUBLET : « mon père m’a parlé des conditions difficiles de travail  en particulier dues à une odeur pestilentielle à cause de la fonte des graisses animales. »

A Saint-Julien, Lucien se montre très vite débrouillard : « il a appris à conduire à 16 ans, il conduisait la voiture du Docteur Jean Pineau lors de ses déplacements en campagne », confirme René. « Plus tard en 1920 il a même été chauffeur du Ministre de la guerre à Paris pendant son service national. »

Extrait du livret militaire de Lucien DOUBLET qui fait mention de son permis de conduire obtenu en Loire-Inférieure

Le retour à Suzanne

Avant de revenir dans l’ouest faire son service militaire, Lucien est rentré à Suzanne dès la fin de la guerre, « il a retrouvé sa mère complètement dénutrie, elle n’avait que des betteraves pour les animaux qu’elle faisait cuire pour s’alimenter » précise René DOUBLET.

Comme  le mentionne le relevé joint de la mairie de Saint Julien,  Aimé et Blanche sont revenus à Suzanne seulement en avril 1919.

Extrait de la liste des réfugiés à St Julien en 1916 et 1919 – Archives départementales de Loire-Atlantique – 10 R 5

A son retour en 1919, Aimé a réimplanté de la vigne à Suzanne disparue avec la crise du phylloxéra : « il avait ramené de Saint Julien  des serments de vigne, du baco et de l’Oberlin pour les bouturer, les quelques pieds de vignes de chez nous avaient disparu avec le phylloxéra » affirme René son petit fils…  « Dans sa vie il a souvent preuve de courage et d’audace. J’ai d’ailleurs conservé un article évoque la réussite de son projet entre les deux guerres ! ».

Extrait article d’Albert LANTENOIS, Almanach Maltot-Braine de novembre 1929.
La parcelle de la vigne du Château – Cadastre de 1832 –Archives départementales des Ardennes

             

Lucien et Clément

Lucien revient dans l’Ouest en 1919 et reste en contact avec son ami Clément pendant toute la durée de son service qu’il effectue dans un premier temps au 90ème Régiment d’artillerie lourde de Vannes. Les deux hommes échangent quelques courriers comme cette carte envoyée par Lucien le 31 janvier 1921.

Mon cher Clément, 

 Ce soir je viens un peu te donner de mes nouvelles et en même temps t’envoyer ma photo.

 Dimanche 23, je suis allé passer 24 heures à Saint-Julien et je t’assure que je n’ai pas trouvé le temps long; au contraire je te dirai que le muscadet est toujours excellent. J’en aurai seulement un quart ici tous les jours, je trouverais ça bon.

Toi tu penses bientôt aller le goûter pour de bon car tu vois la Libération venir moi j’ai encore quelques jours à passer dans ce métier malheureusement… quoique je suis assez tranquille maintenant je suis “instructeur automobilisme”. Tous les jours, matins et soirs,  je suis sur la route avec un camion et une dizaine d’hommes qui apprennent la conduite. On s’en va à une vingtaine de kilomètres de Vannes et on revient à la soupe et on remet ça l’après-midi. Je trouve ça plus intéressant que de rester au quartier… quoique quelquefois on saute dans les fossés ou on tamponne les trains comme c’est arrivé à un camion il y a quelques jours. Il a renversé deux wagons, la locomotive a déraillé sans qu’il y ait d’accident de personnes mais le camion a été démoli…

À bientôt au plaisir de te lire,

Ton ami Lucien Doublet


Lucien reviendra dans les Ardennes en 1922. L’année suivante il se mariera à Tourteron avec Hélène PEROTIN. De leur union naîtrons 4 enfants : Paulette, Jean, René et Yvette en 1936.

Recensement de 1936 de Suzanne – Archives départementales des Ardennes

La famille vit à côté de la famille BRION qui habite le château et emploie à son service trois ouvriers d’origine polonaise.

En mai 1940, l’ensemble de la famille DOUBLET (Aimé et Léonie DOUBLET les grands-parents, Louis et Clotilde DOUBLET, André et Blanche DELETANG, la sœur de Lucien et l’ensemble de leurs enfants)  fuira devant l’ennemi et à nouveau rejoindra St-Julien… mais cette fois-ci en voiture.

 Nous raconterons cette aventure prochainement.

Le château de Suzanne et une partie du corps de ferme lié…  qui n’a pas changé de configuration depuis plus d’un siècle.

Merci à Marie-Jeanne et René DOUBLET, fils de Lucien pour leur accueil à Montpellier en janvier 2019 ; de même à Odile et Marie-Hélène DOUBLET, petites filles de Lucien à Suzanne en mars 2020.


[1] Expression  familiale qui demeure aujourd’hui

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s