Le dimanche 26 juillet 1914 toute la famille a tenu à accompagner le fils aîné Auguste au train. « Le temps n’est pas beau pour la saison, et le foin n’est pas fini. Le blé est bon à couper et la vigne est toujours belle » écrit Auguste dans son carnet.

Après un mois de convalescence au Port–Egaud il repart à la caserne à Cholet fragile et inquiet. Son « rhumatisme articulaire dans les pieds » n’est pas guéri : « J’ai été à Nantes pour demander une prolongation, mais « macache bono » !, il n’y a rien à faire. Je ne suis pas complètement guéri car je ressens encore des douleurs dans les jambes. Je ne sais pas quel effet ça aura pour la marche mais il se pourrait que mes pieds enflent de nouveau… ».
Il ajoute : La situation est inquiétante dans les Balkans et le différend s’aggrave de jour en jour entre l’Autriche et la Serbie… »
Durant cette permission au Port-Egaud, avec Marie et Auguste ses parents, ils ont causé de l’avenir : « avec ton retour bientôt il est important que nous agrandissions l’exploitation et j’ai bien l’intention de conclure demain l’achat du grand pré des Mortiers près du bourg…» lui confie son père.

Le lendemain lundi midi 27 juillet 1914 à midi, Auguste-père se rend à l’étudede René FAUGER-DUPESSEAU, le nouveau notaire arrivé de Bretagne il y quelques années, juste avant les inondations.
Là, l’attend Georges GASZTOWTT, le fils du médecin du Loroux, avec le quotidien « Le Populaire » du jour sous le bras. Cet homme blond aux yeux d’un bleu très clair et sa barbe blonde étalée en éventail entame la conversation : « je crains que ce conflit des Balkans nous conduise tout droit vers la guerre, s’exclame t-il.
« Heureusement la Triple Entente que nous formons avec l’Empire russe et le Royaume-Uni et semble solide face à l’Empire allemand et austro-hongrois » affirme le jeune notaire
« Je ne partage pas notre alliance avec les Russes qui ont anéanti le pays de mes ancêtres » lui rétorque Georges GASZTOWTT qui se lance alors un long monologue devant Auguste et le notaire silencieux.
« Le berceau de mon histoire familiale, c’est la Lituanie. Mon grand père, Mauricijus (Maurice en français) GASZTOWTT est né en 1809 à Baisogala dans une famille de la petite noblesse locale de la province de Samogitie« .
« Depuis plusieurs décennies notre pays était sous domination des tsars russes et nous souhaitions reconquérir notre indépendance. En 1831, une insurrection éclata à Vilnius, fief du nationalisme polonais et lituanien. Avec son frère aîné Jan Piotr (Jean Pierre), mon grand-père, à 17 ans, prit part comme sous-lieutenant à ce mouvement de résistance contre l’occupation russe.
Une forte répression russe s’bat alors, avec des déportations en Sibérie et la confiscation des terres, ce qui provoquera une très importante émigration de la population. Nous avons été dépossédés de l’ensemble de nos biens et mon grand-père a émigré en France avec son frère aîné et a terminé ses études en France à la faculté de médecine de Montpellier. Il a vécu à Nevers et a écrit quelques livres de médecine en français« …
« Mais je suis bavard et mon propos ne vous intéresse peut-être pas » ajoute GeorgesGASZTOWTT, « nous sommes ici avant tout pour conclure la vente du pré des Mortiers ».
Le notaire FAUGER-DUPESSEAU se met alors à lire l’acte notarié précisant l’origine du bien « vente consentie et acceptée pour une somme de huit mille deux cent onze francs et soixante deux centimes ».
Lors de la signature de l’acte, Georges ajoute : « mon père Gabriel GASZTOWTT qui est mort l’an passé n’était pas attaché à ce bien qui lui venait de ma mère. Comme son père il s’intéressait plutôt à la médecine. Il fut reçu docteur en 1879, il alla s’établir au Loroux-Bottereau où il exerça pendant plus d’une dizaine d’années. Atteint du mal qui devait l’emporter, il dut abandonner sa profession et profita des rares loisirs laissés par la maladie pour écrire des romans« .
« Dans son premier roman il raconte son enfance à Nevers dans une famille de 11 enfants et surtout la vie à l’école polonaise parisienne où il fut envoyé, comme ses frères, dès l’âge de 8 ans de 1860 à 1865 afin de perpétuer l’élite de la nation même en exil ».
Et il conclut « Je vous l’apporterai la semaine prochaine M. HIVERT, car vous m’avez dit lors de notre dernière rencontre que votre fils était un gros lecteur de romans.
Le dimanche 2 août 1914 Auguste accueille à son domicile Georges GASZTOWT à nouveau avec le journal du jour sous le bras: « Entrez M GASZTOWTT, j’étais en train de lire le dernier courrier de mon fils aîné ».
« La guerre est imminente M.HIVERT, confirme Georges GASZTOWTT, je pars pour mon corps d’affectation, le 3e régiment de dragons à Nantes, par le premier train demain » en lui laissant le livre de son père.
Après que Georges GASZTOWTT a pris congé, Auguste se replonge dans la lettre de son fils qui relate son arrivée à la caserne après son mois de convalescence à la maison : « quand je suis arrivé le 26 au soir, le régiment était au camp, nous étions une quinzaine de restés à la compagnie, tous les auxiliaires et ceux qui n’avaient pas été jugés capables de faire le voyage. Lors de mon départ la situation était inquiétante dans les Balkans… et le différend s’est aggravé de jour en jour entre l’Autriche et la Serbie et a mis le feu à l’Europe. Dans ce contexte le 77ème est rentré du camp plus tôt mais en train.
J’ai reçu ce matin une carte jointe à ce courrier (à garder dans mes affaires) de l’ami et conscrit Jean Marie BAGRIN incorporé au 2ème Régiment d’Infanterie Coloniale à Pontanézen près de Brest. Il se dit inquiet de la situation actuelle et conclut sa lettre par un “adieu s’il on part ».

Auguste dans son premier carnet de guerre évoquera la semaine de mobilisation générale à Cholet (voir carnet pages 66 à 71- journée 1 dans les pas d’Auguste).
Son ami Jean-Marie lui transmettra plus de nouvelles ensuite durant l’année. Avec un autre ami de Saint Julien , Francis Bouyer, un an plus jeune , il apprendra début 1915 qu’il a été fait prisonnier dès le début de la guerre, le 22 août 1914 à la Bataille de Rossignol en Belgique. Interné à Munster puis à Ohrdruff, il sera libéré à la suite à l’armistice, mais seulement le 17 janvier 1919.
