1913.
Tôt le matin, le dimanche 9 mars 1913, Gabrielle se rend chez son amie Marie ALLEAU pour lui souhaiter son anniversaire avant d’aller à la grand messe de onze heures. Marie vient d’avoir 18 ans, 6 mois après Gabrielle, née l’année précédente en septembre 1894.
Marie COURGEAU, la voisine les rejoint dans une tenue pimpante dans une robe qu’elle a confectionnée elle-même, étant couturière comme sa mère. Les trois jeunes femmes se sont toujours connues et prises d’amitié dès l’école primaire. Chez Marie ALLEAU… c’est à la Poste ! La grande bâtisse en bas de la rue du même nom qui descend vers la boire et rejoint la vallée. Son père Louis-Athanase en est le facteur-receveur depuis plusieurs années (voir ci après).
Gabrielle aime cette ambiance pleine de vie de la Poste de St Julien. Ce jour là, nombre de personnes se pressent au bureau de poste car beaucoup des concellois profitent de leur sortie hebdomadaire au bourg pour effecteur des courses ou des démarches en tout genre… Poster une carte ou un courrier, affranchir une lettre, acheter des timbres, chercher une dépêche, passer ou recevoir une communication téléphonique, envoyer un mandat… Louis ALLEAU, seul ce jour là, a bien du mal à répondre à toutes les sollicitations.
Gabrielle aime se rendre au bourg et s’échapper de temps en temps de la maison familiale. L’ambiance y est triste depuis la disparition de son papa il y a cinq ans, sa mère Gabrielle étant devenue peu à peu dépressive.
Ce qui a soudé Gabrielle et les deux Marie, c’est également de partager la perte de l’être cher. Comme Gabrielle, Marie COURGEAU a perdu son père, Armand le tailleur du bourg, à l’âge de 42 ans en 1900. Marie ALLEAU, l’aînée d’une fratrie de trois enfants, avait 7 ans quand sa maman est décédée. Son père s’est remarié deux ans plus tard en 1904 avec une épicière nantaise Clémentine SABLEREAU, sœur de Benjamin, le boucher et voisin d’en face, qui décèdera d’ailleurs tragiquement trois ans plus tard.

Gabrielle a toujours été impressionnée par le caractère décidé et enjoué de Marie. Elle l’envie un peu lorsque son amie lui parle de sa vie, loin des siens, dans la section latin-langue d’un lycée nantais, elle qui a dû rester et travailler auprès de sa mère et de son frère ces dernières années. D’ailleurs Marie vient d’avoir son brevet supérieur[1] et se prépare à être enseignante à l’école des Sœurs.
Gabrielle, de son côté, aime lire et ré-récrire dans son cahier d’écolier des récits ou poèmes de ses auteurs préférés comme Victor Hugo, François Coppée, Henry Bordeaux, Théodore Botrel et Jean Rameau.
De même, avec son frère Jean-Marie, Gabrielle ne manque pas d’assister tous les ans aux séances récréatives du bourg mêlant morceaux de la fanfare, projections cinématographiques et petites pièces de théâtre où se produit chaque année le truculent Yaumi Braud.

L’évolution du métier de Louis-Athanase ALLEAU, facteur-receveur à St Julien
C’est en 1894 que St Julien a appris à connaître ce facteur, blond aux yeux bleus, originaire de Ligné et qui exerçait ses fonctions précédemment au Loroux-Bottereau.
Au siècle dernier, au début, il est le seul facteur à sillonner à pied la vallée et la campagne concelloise. Ses tournées sont de véritables marathons passant de hameaux en villages isolés. Il parcourt chaque jour plusieurs dizaines de kilomètres avec des chaussures de cuir surmontées de guêtres qui le protègent des morsures de chien. Il connaît d’ailleurs tous les chemins de traverse.
On le reconnaît de loin avec sa sacoche, avec son képi et parfois des enfants courent au devant du postier en lui demandant s’il est porteur de courrier pour la famille. Tôt le matin avant de partir, il doit auparavant classer le courrier suivant l’ordre de la journée. Puis, il commence la distribution des lettres, des revues mais aussi des mandats et des colis. Il relève le courrier à expédier, celui des habitants mais aussi celui des grosses boites à lettres installées sur son parcours. Il vend les timbres et s’occupe de relever les taxes sur les lettres et les colis qui, d’après le contrôle, n’étaient pas suffisamment affranchis…
Mais la mission du facteur ALLEAU ne s’arrête pas là. Il rend couramment de menus services, transmettre un message d’une maison à l’autre, prévenir le médecin… Les tournées sont longues, aussi Louis ne refuse pas de temps à l’autre la collation qui lui est offerte, souvent au « magasin » l’occasion d’apporter et de commenter quelques nouvelles fraiches du pays !
Puis à l’aube du 20ème siècle les courriers et télégrammes se sont multipliés. Louis est devenu facteur-receveur et a laissé peu à peu les tournées à Messieurs MENARD et à PAUBERT pour les services de la poste à la Gare. Il a fallu attendre l’année 1909 pour voir arriver un nouveau facteur, Gilles LE CAM précédemment en poste à Varades, qui a pris en charge une nouvelle tournée de 16 kilomètres. Cette même année, de nouvelles boites aux lettres ont vu le jour dans certains gros villages de la commune.
L’arrivée de cette nouvelle recrue coïncide également avec l’avènement des tournées en vélo grâce à une aide départementale.

En 1910 le travail ne manque pas au bureau de poste d’autant que la municipalité a pris la décision de la gratuité de la distribution des télégrammes. Les Concellois ne se privent pas alors d’utiliser ce service qui doit donner lieu ensuite à une indemnisation de la commune aux services de la poste.

En 1911 l’arrivée du téléphone et les services bancaires assurés par la poste obligent à des travaux d’amélioration de son aménagement intérieur. Là encore c’est la mairie qui investit pour accueillir une clientèle de plus en plus large et demandeuse de services postaux, téléphoniques ou bancaires.

[1] Le brevet supérieur se rapproche fortement du baccalauréat « moderne »… Le brevet supérieur permet l’accès aux échelons de traitement les plus élevés du corps des instituteurs, l’accès aux fonctions d’adjoint en Ecoles primaire supérieure (EPS) et aux écoles d’application. Vincent LANG Centre de recherche en éducation de Nantes Université de Nantes