1912.
En juin 1912 toute la famille du Port-Egaud est occupée à la récolte des petits pois. Clément est encore à l’école primaire mais il vient, en fin d’après midi, prêter main forte à ses parents Marie et Auguste ainsi qu’à ses deux frères Auguste et Pierre âgés respectivement de 19 ans et 17 ans.
La tache est d’ampleur car comme pour les haricots, il faut passer tous les jours même si cette année hélas la récolte est moins prometteuse que les autres années.
La ferme du Port Egaud compte à peine 5 hectares morcelées en nombreuses petites parcelles dont une partie se trouve dans le marais du Chêne inondé l’hiver dans lequel l’été on va ramasser la « rouche[1] » qui sert à la fois de litière et d’alimentation animale. Quelques animaux composent le troupeau, un cheval, deux à trois vaches et quelques cochons. Côté culture la famille cultive quelques arpents de vigne, muscadet, gros plan, Othello essentiellement, vignoble qu’il a fallu replanter partiellement après la terrible maladie du phylloxera[2] à la fin du siècle dernier qui l’a décimé.
Pour compenser cette perte de revenu il a fallu trouver d’autres moyens d’existence… C’est ainsi que la famille HIVERT du Port-Egaud comme d’autres cultivateurs de la vallée se sont lancés dès le début du siècle dans les cultures du petit pois et du haricot, productions qui se vendaient bien sur le marché de Nantes.
En effet à la fin du 19ème siècle Chantenay, cette commune proche de Nantes, avant qu’elle soit annexée en 1908, était un centre renommé pour la culture des légumes. Cette localité a donné son nom à une variété de petits pois aujourd’hui très répandue et très appréciée en ce début de siècle. De plus, le débouché nouvellement créé par l’installation des premières usines de conserves, en particulier l’entreprise Amieux, n’a fait qu’activer l’extension de la culture des pois, production devenue insuffisante pour satisfaire à la fois le marché local, la demande parisienne et l’approvisionnement de la conserverie nantaise.
Peu à peu la culture des petits pois a été introduite dans les exploitations familiales de la vallée de la Loire en particulier à Saint Julien et Auguste a commencé le développement de cette culture lorsque que ses deux premiers fils sont venus sur l’exploitation à la fin de leurs études primaires il y a quelques années. Peu à peu la famille a doublé sa surface de culture avec plus de 4000 mètres carrés de culture alors, car le marché progresse encore. D’autant qu’à travers la presse le groupement des fabricants de conserves fait toujours la promotion de cette culture en n’hésitant pas également à venir en aide auprès des cultivateurs de la vallée après l’inondation de 1910.
De cette culture l’aîné a en gardé trace dans son cahier des cours post scolaires agricoles débutés en 1903 et pour lesquels il a été lauréat départemental l’année suivante.

C’est à la Sainte-Catherine de l’année précédente, le 25 novembre 1911, que la famille a semé de grands morceaux de terre en petits pois. Dans son cahier, Auguste note que la variété utilisée, le pois de Chantenay, « est bien adaptée au milieu naturel. Cette variété se montre résistante à l’hiver et productive. En année normale on compte en effet jusqu’à 12 étages de fleurs. Son principal intérêt réside dans la qualité du pois qu’elle fournit, celui-ci est sucré et recouvert d’une cuticule fine et résistante… Il est particulièrement apprécié tant pour la fabrication des conserves que pour la consommation directe. C’est ainsi que le pois de Chantenay fait prime sur le marché parisien».
Les semis ont été effectués sur des planches relevées en ados inclinés vers le midi et bêchés préalablement à la serfouette. Avec son manche on creuse les trous en ligne et, dans chacun, on dépose 5 à 6 graines conservées comme semence. On bouche ensuite alors les trous sans se baisser avec son sabot comète. Auguste a noté les précisions suivantes dans son carnet : « placer les grains en poquets, à une quinzaine de centimètres l’intervalle et à 5 à 7 cm en profondeur, dans 2 raies disposées longitudinalement sur la planche à 15 centimètres environ l’une de l’autre. La quantité de semence employée à l’hectare est de 70 kg ».
L’hiver 1911-1912 n’avait point été trop rude et à la fin de février les petits pois se sont mis à pousser en touffes vertes. Après un binage pour maintenir le sol propre, les garçons de la famille se sont employés alors à leur offrir des rames pour qu’ils s’y accrochent et se développent. Ces rames, constituées par des émondes de chênes têtards, sont fixées ensuite par un minuscule brin d’osier à un fil de fer tendu entre des piquets de saule pour qu’elles résistent bien au vent.
En avril le champ s’est couvert de multitudes de fleurs blanches annonciatrices d’une bonne récolte de gousses chargées de 7 à 8 graines tendres et sucrées. Malheureusement le printemps a apporté son lot de pluie et de maladie, rouille et oïdium, ce qui a occasionné des pertes sensibles.
Mais revenons aux premiers jours de juin. La récolte réalisée, à l’aide de ciseaux par Marie et les enfants, touche désormais à sa fin. Les bonnes journées, chacun ramasse environ 80 kg de petits pois qu’il faut ensuite livrer.
Au début il n’existait qu’un seul point d’achat, à Cahérault, qui pour cette spécialité dépassait en importance le marché du Champ-de-Mars. Certains soirs, les charretées en attente formaient des files de plusieurs centaines de mètres sur les trois routes conduisant au lieu du pesage. Il était d’usage que chaque vendeur prenne sa chopine de muscadet et que l’acheteur, lui, offre le café. La mère COURGEAU, la tenancière, disait « avoir vendu certaines journées une demi-barrique de café et autant de vin au cours de certaines soirées » [3]…
Désormais les négociations de prix ont toujours lieu au café mais au bourg avec l’un des commissionnaires concellois. Auguste « père » a l’habitude de faire affaire avec Auguste SÉCHER intermédiaire et aubergiste de la route de Nantes.
Les premiers lots de petits pois récoltés aux environs du 15 mai ont été vendus à bon prix sur le marché de Nantes. Cependant la famille du Port-Egaud comme les autres cultivateurs de Saint Julien n’ont pas bénéficié longtemps de ces conditions exceptionnelles. Quelques jours après, la récolte étant plus abondante, les courtiers de Paris viennent acheter dans la région des quantités assez importantes de pois destinées au carreau des Halles et expédiées principalement par la gare de Thouaré.
Plus tard, au moment de la pleine récolte, les usines de conserves commencent à effectuer leurs approvisionnements. Tous les achats de culture sont pratiqués par l’intermédiaire de commissionnaires qui, selon la situation du marché, livrent des pois à Nantes ou travaillent pour le compte de courtiers de Paris ou des conserveurs. Saint Julien, en 1912, en compte pas moins de quatre, BRELET, la « veuve BONDU », Alexandre GALLIER, et l’aubergiste SÉCHER. Ceux-ci reçoivent des courtiers une commission de 15 à 20 Fr. par quintal, les frais de transport restant à leur charge, et des conserveurs 5 à 10 Fr par quintal, le transport étant en partie assuré par les industriels.
Pendant la récolte, la réception des pois s’effectue chaque soir à la bascule du bourg contrôlée par le commissionnaire et la livraison s’effectue désormais à la gare. Avec le petit train d’Anjou les liaisons sont journalières entre les gares de St Julien et celle de Chantenay où est implantée l’usine Amieux, leader de la conserve de petits pois.
Contrairement au début de saison où les prix s’établissent sur le marché de Nantes le lendemain de la vente, les achats sont pratiqués en fin de saison à un prix ferme au quintal, communiqué au producteur au moment de la livraison. En cette année 1912 le prix moyen des 100 kilos de petits pois a atteint les 20 Francs du fait de la récolte moyenne.

En juillet, s’appuyant sur des extraits de presse découpés dans le journal quotidien, Auguste note dans son cahier que le bilan du marché des légumes a été plus que moyen cette année : « les petits pois sont depuis longtemps finis de ramasser, mais le prix élevé auquel ils se sont maintenus est lié à une récolte moyenne. Voici une semaine qu’il y a des haricots à ramasser mais ils sont déjà à bas prix à cause de la chaleur qui les amène trop vite. En revanche la vigne est toujours magnifique, la floraison est achevée et il y a très peu de mildiou ». Plus loin il ajoute : « J’ai évoqué avec papa la possibilité de se diversifier et de créer des cultures de framboisiers, il y a de la demande avec une biscuiterie nantaise qui fabrique de « la paille d’or ». Pourquoi pas, m’a-t-il répondu ! On fera des essais à ton retour du régiment ».
Auguste est parti au service militaire l’année suivante en octobre 1913 et il a fallu attendre plus de 50 ans avec Auguste, notre papa, fils de Clément et neveu d’Auguste pour que la terre du Port-Egaud en 1965 produise des framboises.
Généalogie PETARD HIVERT en 1912


[1] Renvoi article : Pierre Hivert, l’homme du marais du Chêne
[2] Renvoi article : Les HIVERT-PETARD participent à l’effort de replantation du vignoble
[3] Georges VIVANT, Saint julien de Concelles et son passé