En octobre 1911, Jean-Marie Pétard a désormais 14 ans. Le certificat d’étude en poche l’année précédente, il ne retourne désormais à l’école communale qu’épisodiquement pour quelques cours agricoles du soir avec Théophile BRETONNIERE.
Avec sa mère et Gabrielle, il faut bien désormais gérer les travaux des champs et de la vigne, s’occuper des bêtes, cultiver les légumes…
Les écrits de Jean Marie
Mais Jean Marie a la nostalgie de l’école. Il note sur son carnet chansons et poèmes glanés ici et là, souvenirs de la chorale de l’école ou morceaux musicaux par des amis de la société musicale.
Jean-Marie réécrit sur son cahier la chanson « Veille toujours » avec pour thème l’annonce de la revanche de la défaite de 1870 et la condamnation du régime qui a lancé la France, sans préparation, dans la guerre contre un ennemi prêt, lui, depuis longtemps[1]…
Cependant Jean-Marie préfère cette chanson pacifiste « Le forgeron de la paix », apprise elle aussi à l’école et fameusement interprétée par le célèbre baryton Henri Weber.
Jean-Marie aime aussi les chansons et les poèmes sur la mer. Tout en travaillant, il aime déclamer « Le pilote est à bord » de Théodore BODREL ou « La mer » de Victor HUGO griffonnés également sur son cahier d’écolier… ou fredonner « la légende des flots bleus » recopiée à partir d’une fiche de chanson transmise par Guillaume BRAUD, sabotier et pilier de la société musicale de Saint-Julien.
Mais le défi de Jean-Marie a été d’apprendre par cœur de longs extraits du poème en vers du poème « La veillée » de François COPPÉE qui raconte le récit d’Irène de GRANDFIEF, noble dame, patiente et héroïque, et qui a reconnu, dans le blessé qu’elle soigne et garde, l’Allemand qui a lâchement assassiné son fiancé… Elle ne peut pourtant se résoudre à se venger en le laissant mourir, torturé qu’il est par la soif qui le brûle…
Les sabotiers du bourg
Régulièrement Jean-Marie rend visite aux artisans du bourg car désormais il a souvent besoin de renouveler ses sabots. A Saint-Julien les gens ont d’ailleurs l’embarras du choix car la commune en compte plus d’une dizaine. Par tradition familiale Jean Marie a l’habitude d’acheter ceux-ci chez les BRAUD, particulièrement Auguste, grand ami de son père et témoin de sa déclaration de naissance à la mairie.

Le vieil Auguste BRAUD l’accueille avec un sourire un peu fatigué. « Je suis content de te voir Jean-Marie… Tu sais, j’arrive à mes 70 ans il est temps que je m’arrête. Désormais je vis chez ma fille Augustine et mon gendre Victor BOUYER » » dit-il en l’entraînant dans un atelier quasi vide. « Je te présente Auguste RIPOCHE, un neveu de la Chapelle Basse-Mer qui va reprendre mon activité, sa femme Marie et sa fille Marie-Louise âgée de 2 ans… ».
« Si tu viens en acheter, nous n’avons plus beaucoup de sabots actuellement et nous attendons dès demain des billes d’aulne et de frêne pour en fabriquer un bon stock » poursuit-il. « Vas donc chez Yaumi il y en aura bien ta taille ! »
Yaumi c’est Guillaume, le frère aîné d’Auguste lui aussi sabotier. Jean-Marie rejoint donc à 50 mètres de là l’autre atelier que Guillaume forme avec son beau frère Hippolyte THURY, lui aussi ami et témoin testamentaire de son père.
Yaumi BRAUD « fils » l’accueille, l’œil rieur derrière ses épaisses lunettes de myope car l’homme a la réputation d’être joyeux et farceur. Celui-ci vient tout juste de se marier avec Léonie BOSSEAU, la fille de l’horloger. « Viens Jean-Marie » dit-il « je vais te présenter ma femme et l’ensemble des étapes du travail du sabotier »… car ce jour là l’ensemble de la famille THURY-BRAUD est au travail dans l’atelier qui jouxte la boutique…

« Comme tu le vois à l’extérieur nous avons des poutres de bois de différentes essences, de l’orme, de l’aulne, du frêne et du peuplier que nous recevons sur pied vieilli d’au moins 6 mois car il est plus facile à travailler. Nous coupons d’abord en bille de 35 à 40 cm» lui indique Yaumi qui ajoute en montrant une large hachette au court manche terminé par une boule « quand tu es arrivé j’étais sur l’établi avec cet outil en train de fendre la bille qui permet d’ébaucher la première forme du sabot ».
Puis désignant l’ouvrier manipulant une grande lame tranchante fixée par sa pointe de son établi, Guillaume indique à Jean-Marie l’opération suivante : « Théophile BIOTTEAU comme tu le vois est en train de donner sa forme extérieure au sabot grâce à ce que nous appelons un « parain » ou un « paroir ». Cela demande beaucoup d’adresse pour forcer et orienter le manche afin d’enlever les copeaux de bois ».
En peu de temps Théophile donne la forme au sabot. Cependant celui reste plein. Ensuite Yaumi invite Jean-Marie à s’approcher d’Hippolyte THURY « fils » qui à son tour lui décrit son travail : « il faut maintenant creuser le sabot. Pour cela, je le cale avec des chevilles sur le banc. Maintenu serré on peut commencer alors le travail. Tout d’abord avec cette mèche à percer emmanchée en bois, d’une longueur de 50 cm environ et ensuite on se sert de ce qu’on appelle une « cuillère ». De quatre grosseurs différentes, on commence par la plus petite, pour terminer par la plus grosse que l’on appelle « talonnière » ». Et en un rien de temps la partie plate de l’intérieur du sabot est dégagée du bois…
Et Hippolyte conclut : « je donne ensuite le sabot à mon père qui, lui fignole le logement du pied avec le boutoir et la rogne et vérifie la pointure avec la jauge.
Yaumi entraîne ensuite Jean-Marie dans le magasin en disant : « Viens choisir tes sabots, on ne peut pas te donner ceux que tu as vu en fabrication car on les garde encore six mois avant de les mettre en vente ! ».
Jean Marie choisit comme convenu ses sabots dans la réserve alors encombrée de vélos neufs et Yaumi d’ajouter faisant en lui faisant un clin d’œil : « Comme tu l’as vu sur la devanture de la boutique j’ai décidé d’être marchand et réparateur de cycles, je pense que cette activité a plus d’avenir que le sabot ! ».

Merci à Brigitte RACINE pour les photos de son arrière-grand-père, Auguste BRAUD et sa famille.
[1] Et la même chanson célèbre la résistance de Paris (mais sans un mot sur la Commune) : « Reste Paris, imposant, héroïque, Qui succomba sous le sort préparé En s’écriant : Vive la République ! Je tombe aussi, mais je m’en souviendrai ».
Chers cousins A chaque parution des Lettres de Clément, je me dis, émerveillé par le travail que cela représente: j’espère qu’à la fin, il y aura un bouquin, une brochure. Cette masse d’infos ne peut rester ainsi virtuelle! Cela fait-il partie du projet? Grobizh à vous Christian Rouaud
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Merci beaucoup Christian ta lecture attentive des « lettres de Clément ».
Pour l’instant nous en sommes qu’au 40ème article de l’histoire familiale des Hivert-Pétard qui en comptera sans doute une centaine.
On fera à la fin de ce récit peut-être seulement une brochure car le nombre de lecteurs intéressés, au-delà du cercle familial, est limité.
En juin nous espérons prendre la route avec JF pour suivre cette fois-ci les pas de Clément lors de l’exode de juin 40 de Paris jusqu’en Haute-Vienne.
Encore merci pour tes encouragements.
Au plaisir de se revoir très bientôt.
Bises
Michel
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