Comme à son habitude chaque dimanche Auguste HIVERT (père) passe, à la Guilbaudière ce dimanche 27 novembre 1910, chercher son jeune beau-frère Alexandre, de 13 ans son cadet, pour se rendre à la « grand-messe ». Il embrasse Marie Célestine et ses deux petites nièces Marie Julia et Léontine dite « Titine » âgées respectivement de 5 et 1 an.
A la sortie de l’église il est d’usage de prendre quelques chopines « aux bons français » puis « chez Merceron » et les conversations dans les cafés tourne autour d’un seul sujet : « la Loire monte sans arrêt et on craint qu’une brèche se fasse jour au niveau de la digue. Il faut s’organiser pour prévenir le désastre à venir ». Une réunion dans la cour de l’école rassemble ensuite toutes les bonnes volontés locales. Auguste HIVERT et son beau frère Alexandre PETARD sont de ceux là. « Les « valliats » doivent être aidés, leurs bêtes, les personnes fragiles et les vieillards doivent êtres accueillis dans le haut du bourg et sur les villages du coteau » intervient alors Guillaume BRAUD, le sabotier et premier adjoint : « que ceux qui ont de la place dans leur étable, qui peuvent accueillir une famille, qui peuvent prêter leur charrette se signalent au plus vite » poursuit celui que tous à St Julien appellent « Yaumi ». Et Théophile HOURDEL, le directeur de l’école d’ajouter : « cette semaine les jeunes n’auront pas d’école, ils pourront ainsi dès demain aider leurs parents ».
Alexandre et Auguste se portent volontaires de suite pour mettre à disposition le cheval qu’ils ont en commun et une charrette pour aller secourir les gens de la vallée… Mais Alexandre interroge son aîné : « si crue il y a, la Guilbaudière et le Port-Égaud seront-ils touchés par les eaux ? » Auguste lui répond : « lors de la crue de la crue de 1896 l’eau est venue jusqu’aux portes de la maison. Certains, comme Toussaint BARTEAU le cantonnier, disent que la cote de 9 à 10 mètres peut être atteinte cette fois ci… soit le niveau haut du Port-Égaud et le bas de la Guilbaudière ».
Les deux hommes décident alors de mobiliser toute la famille. Les jeunes du Port-Égaud, Auguste Pierre et Clément sont mis à contribution pour mener bêtes et quelques barriques de vin chez Alexandre à la Guilbaudière, monter les bottes de paille et fourrages verts dans le haut de la grange du Port-Égaud, aider les cousins Gabrielle et Jean Marie à faire de même dans celle de la Guilbaudière.
Pendant ce temps les deux « chefs de famille » s’emploient à convoyer bêtes et foin des gens de la vallée vers le bourg. La cour de l’école et son préau devient alors une grande étable où s’entassent vaches, génisses et veaux en attente de répartition chez d’autres éleveurs…
« Ça y est la catastrophe est là ! » s’exclame Marie, la femme d’Auguste en entendant le tocsin sonner dans la nuit du vendredi 2 décembre réveillant l’ensemble de la famille du Port-Egaud. «Heureusement qu’avec quelques briques nous avons surélevé l’ensemble des meubles » dit tristement Clément le matin voyant l’eau envahir la maison mais seulement d’à peine 50 centimètres.
Revenu du bourg son père accompagné de son fils aîné Auguste confirme la nouvelle : « j’ai su par Théophile BRETONNIERE qu’à 8 heures du soir la digue s’est rompue à la Praudière et on m’a rapporté que les maisons des LUZET se sont effondrées. Au bourg, l’eau arrive au niveau de la porte du bureau de poste. Auguste est passé par la Guilbaudière chez son parrain et l’eau rase la maison d’Alexandre et de Marie Célestine sans l’atteindre contrairement à celle de cousine Gabrielle envahie par les eaux comme l’étable et la grange ».
Ce samedi 3 décembre face au Port-Egaud, les marais du chêne sont devenus un immense lac charriant tronc d’arbres et débris de maison. On circule désormais en barque sur la route du Loroux.
Clément voudra plus tard garder un souvenir de ces mémorables journées en collectant quelques cartes postales.
Le niveau de l’eau s’élève durant toute cette journée du samedi 3 décembre. Dans l’après-midi, les deux hommes apprennent que la levée d’Embreil qui sépare la vallée de St Julien des marais de Goulaine menace de se rompre à son tour. A 11 heures du soir cette levée cède elle aussi et l’eau se précipite en torrents par cette seconde brèche, inondant la partie sud de la commune qui devient désormais une presqu’île.
Avec cette seconde rupture, le lendemain dimanche 4 décembre, la population proche du marais de Goulaine, désormais complètement envahie par les eaux, migre également vers le bourg dans l’espoir d’un secours.

A la demande de Guillaume BRAUD et de Toussaint BARTEAU, Alexandre PETARD et Auguste HIVERT continuent de porter secours en barque à la population sinistrée. Auguste âgé de 18 ans est, avec quelques amis du patronage, sollicité par l’abbé Saunier pour organiser la distribution journalière gratuite de 200 rations de soupe préparées sous le préau de l’école. De même, la mairie entreprend de distribuer gratuitement du pain aux familles reconnues nécessiteuses.
Cette chaine d’entraide restera longtemps comme ferment d’une dynamique de solidarité à St-Julien. Beaucoup s’en feront l’écho, la presse, les prêtres et la paroisse mais c’est Théophile BRETONNIÉRE, instituteur adjoint, qui en fera un récit précis et émouvant.
Le récit de l’inondation au fil des jours par Théophile BRETONNIERE
Théophile BRETONNIERE, instituteur, en conclusion de son récit écrit ainsi : « J’ai déposé ce récit des inondations du 2 décembre 1910 à la Mairie pour transmettre aux générations futures le souvenir d’une catastrophe dont nous souhaitons qu’elles soient préservées en même temps que les noms de MM BRAUD adjoint, PESNEAU curé, HOURDEL directeur d’Ecole, BARTEAU garde champêtre qui pendant des mois se sont particulièrement dévoués pour leurs concitoyens ».
Diaporama du récit de Th. BRETONNIERE – Archives Patrick CHEVREL
« A la fin de novembre 1910, les eaux de la Loire atteignent une hauteur qui, de mémoire d’homme, n’avait été observée. L’eau arrive au niveau de la levée, bientôt même elle le dépasse, et c’est alors un spectacle imposant et épouvantable que celui de cette immense nappe liquide au courant rapide, retenue seulement par la faible murette qui surmonte la levée. La digue surveillée nuit et jour par l’administration des Ponts et Chaussées, par la gendarmerie du Loroux sous les ordres du Maréchal des Logis Vilatte, par la population riveraine et par celle du bourg laisse filtrer l’eau et semble mouvante en maints endroits. La population de la Vallée effrayée à juste titre emmène au bourg et dans « les champs » les bestiaux et une partie de son mobilier, le reste est monté à l’étage supérieur des habitations ou surélevé à la hâte. L’eau monte toujours, le péril est imminent ; tout le monde est unanime à déclarer que la digue ne résistera pas à la formidable poussée des eaux mais l’espoir secret que chacun garde au fond du cœur empêche l’anxiété de se peindre sur les visages : la population toute entière conserve un calme admirable.
Les brigades de gendarmerie de Nantes et de Carquefou ainsi qu’un détachement du 3èmedragon viennent seconder les efforts de la brigade du Loroux ; d’un instant à l’autre, la digue peut céder. Le vendredi 2 décembre vers 2heures ½ de l’après-midi une alerte se produit à la Pichaudière, mais la digue résiste. Grâce à l’intervention rapide de MM. Vilaine et P Viaud des Carroueils. A 8 heures du soir la catastrophe tant redoutée se produit à la Praudière ; la digue faiblit brusquement, se mine, puis se rompt en face des maisons occupées par LUZET père, LUZET Eugène et LUZET Jean Marie. L’alarme est aussitôt donnée dans le bourg et dans la vallée ; le tocsin sonne lugubrement dans la nuit dont l’obscurité ajoute encore à l’épouvante de la catastrophe. L’eau se précipite en un torrent effrayant, par la brèche qui s’élargit par la poussée des eaux ; elle entraine des blocs de pierre énormes, déracine les arbres et remplit rapidement la vallée. Les trois maisons LUZET ainsi que leurs dépendances s’écroulent vers 11 heures du soir, ensevelissant sous leurs décombres les mobiliers qu’elles contenaient. L’eau arrive bientôt au bourg et quelques heures seulement après la rupture, la route qui longe le canal est entièrement couverte alors qu’une véritable trombe liquide s’engouffre avec un bruit de tonnerre sous le pont situé près du bourg sur la route de la Chebuette.
A 1 heure du matin, M. RAULT Préfet de la Loire inférieure accompagné de M. GUIST’HAU Député, se présente à la Mairie accueilli par M. HOURDEL, directeur de l’Ecole qu’il invite à se mettre à la disposition de la population sinistrée et à organiser de concert avec la municipalité des secours immédiats. A 8 heures du matin, M. le Préfet et M.DUBOCHET, Conseiller Général du canton du Loroux Bottereau reviennent de nouveau se rendre compte de l’étendue du désastre, témoigner leur sympathie à la population éprouvée et procurer les moyens d’organiser les secours ».
« Le spectacle est lamentable : la vallée depuis Basse Goulaine jusqu’à la Chapelle Basse Mer n’est plus qu’un lac immense ; les haies disparaissent sous les eaux ; les arbres seuls émergent. En plusieurs endroits, les toitures des maisons sont fouettées par les vagues. L’eau se précipite maintenant par une brèche de 180 mètres de large et forme à 200 mètres dans les terres une vague énorme qui atteint le sommet des arbres voisins. Le niveau de l’eau s’élève durant toute la journée du samedi 3 décembre. Dans l’après-midi, on annonce que la levée d’Embreil qui sépare la vallée de St Julien des marais de Goulaine menace de se rompre à son tour ; la population voisine tente de la consolider, mais en vain ; à 11 heures du soir la levée d’Embreil cède ; l’eau se précipite en torrents par cette seconde brèche, inondant au sud la commune de St Julien ainsi que les parties basses de la commune du Loroux, du Landreau, de la Chapelle-Heulin. De ce fait, le niveau de l’eau baisse dans la vallée, mais la crue persistant, il remonte bientôt pour dépasser de beaucoup les niveaux des crues précédentes 1823, 1843, 1896. La hauteur de l’eau sur les routes de la Chebuette, de la Chapelle Basse Mer, de Thouaré, varie de 2,50m à 3,25 m. Elle est de 2,90 sur la route de St Barthélémy, au Côteau du Chêne, de à 0,10 m à la Drouardière, sur la route du Loroux à Nantes. Au bourg, l’eau arrive sur la porte du bureau de poste.
Elle atteint 0,70 m à l’intérieur de la maison CHIRON au marais, 1,60 m à l’intérieur de la maison POILANE-SABLEREAU, 0,63 m chez VILAINE aux Carroueils, 0,55 m chez COURGEAU à Cahérault et LEME à la Cossonnière, 2,40 m à la gare d’Embreil, 3 m chez Prosper VIAUD à la Moutonnerie. Une partie du village du Côteau de la Roche est inondé. On évalue que sur 3335 hectares qui constituent la commune de St Julien, 2450 hectares sont recouverts par les eaux. Les communications sont totalement interrompues ; la ligne d’Anjou est coupée à Embreil, on ne peut communiquer avec Nantes que par le port Moron et Mauves ou par le Landreau et le Pallet.
Les bateaux manquent pour assurer les communications avec les villages inondés et permettre aux sinistrés de tenter le sauvetage des objets mobiliers de première nécessité abandonnés dans leurs demeures. M. le Préfet invite immédiatement le Commissaire central de Nantes à réquisitionner des bateaux dans cette ville et à les faire parvenir à Saint Julien. Dans l’après-midi du 3 décembre, 10 bateaux sont amenés par les voitures du train des équipages, ils sont aussitôt mis en service ; l’un de ces bateaux est réservé pour le service de la Poste dans la vallée, service qui est effectué par eau pendant plus d’un mois.
Au lendemain de la rupture, c’est le dénuement complet pour une grande partie de la population de la vallée qui accourt se réfugier au bourg et dans les villages voisins. Peu ou point de linge et de vêtements de rechange , aucune provision et surtout point de fourrages pour les bestiaux ; tous les logements vacants du bourg sont occupés ; une dizaine de familles des plus nécessiteuses trouvent asile dans l’une des salles de classe où grâce au dévouement de personnes charitables, en particulier de M. de FONTMARTIN, maire du Loroux, et de M. HOURDEL instituteur, il leur est procuré des matelas, des draps, des couvertures, ainsi que tous les objets indispensables pour un séjour de plus de 2 mois ; les préaux des écoles sont transformés en étables.
Sur l’initiative de M. G.BRAUD, adjoint représentant M. Léon Binet, maire que la maladie retient loin de la population à laquelle il porte tant d’intérêt, de M. PESNEAU curé, de M. HOURDEL, instituteur, un Comité de secours est immédiatement constitué avec M. BRAUD adjoint, M. PESNEAU curé, M. HOURDEL directeur de l’école, MM SAUNIER et FLAUX vicaires, M. le Docteur PINEAU, M. FAUGER DUPESSEAU notaire, M.VILAINE Alexandre et M. Henri LUZET, conseillers municipaux, M. Pierre VIAUD propriétaire aux Carroueils, M. Prosper VIAUD, propriétaire à la Moutonnerie, M. Aimé VIAUD propriétaire au Bout du Pont, M. Armand GOHAUD propriétaire au Bourg, M. TOUBLANC, PIGEAU, Emile GIRAUD, M.BARTEAU Garde champêtre, M. BRETONNIERE instituteur adjoint… »
« Le faisceau de bonnes volontés n’a qu’un but unique et tout désintéressé : venir en aide à la population inondée ; le champ d’action est vaste, la besogne est souvent ardue, mais l’harmonie ne cesse de régner entre ses membres et la plus stricte équité anime ses discussions et justifie ses décisions. La plus vile calomnie qui n’a épargné personne et le mépris d’une partie de la population sont la récompense de ses membres.
Voici un résumé succinct de l’œuvre du Comité de secours. Dans la crainte qu’un grand nombre de familles sinistrées ne soient obligées de solliciter du boulanger un crédit que les pertes subies ne permettront pas d’acquitter de sitôt, et sur la proposition de M. BRAUD, il est décidé qu’il sera distribué gratuitement du pain aux familles reconnues nécessiteuses dans la mesure de leurs besoins. Les distributions sont faites deux fois par jour à la mairie par les soins des instituteurs et d’après la liste arrêtée par le Comité. Familles y sont admises et il est ainsi distribué en 2 mois pour 3392 Francs 25 de pain.
Pour épargner des charges trop élevées à la population du bourg qui héberge les inondés et pour permettre à ceux-ci de faire à peu de frais un repas réconfortant, il est décidé sur la proposition de M. Saunier d’organiser 2 fois par jour une distribution gratuite de soupe. La soupe est faite sous le préau de l’école et chaque jour plus de 200 rations sont ainsi distribuées.
Pour éviter que les cultivateurs, devant la disette des fourrages ne se voient dans l’obligation de se débarrasser de leurs animaux et de les céder à vil prix, ce qui serait des plus préjudiciables à leurs propres intérêts et à l’agriculture de la région, le Comité décide de faire chaque soir une distribution gratuite de fourrage vert et de fourrage sec à 160 propriétaires d’animaux dont les fourrages sont perdus et proportionnellement au nombre de leurs bêtes. Ces distributions sont faites par M. BARTEAU et BRETONNIERE dans la salle du patronage : il est ainsi délivré chaque jour plus de 400 rations.
Pour se procurer les fourrages nécessaires aux distributions, le Comité achète dans les communes voisines les lots de foin et de paille disponibles, il dépense de ce chef 2081,30 Francs. En même temps MM HOURDEL, SAUNIER et PIGEAU, dans une visite faite à MM les Curés et maires de La Remaudière, La Boissière, Landemont , Le Fuilet, St Laurent sollicitent de ces populations une aumône en nature, un secours en fourrages verts. Le meilleur accueil est réservé aux délégués du Comité et dès le soir des wagons de choux et de betteraves arrivent à la gare de St Julien. A tour de rôle les cultivateurs de ces communes ramassent des chargements de choux qu’ils conduisent à une gare parfois éloignée de 3 ou 4 km et que la Compagnie d’Anjou amène gratuitement à St Julien. Les wagons devant être déchargés dès leur arrivée, M. BARTEAU garde-champêtre fait procéder à ce déchargement que la bonne volonté des inondés eût pu rendre facile et qui s’effectue souvent sous une pluie battante. La charité des cultivateurs des communes citées arrache aux sinistrés cette exclamation : « Nous n’en aurions pas fait autant pour eux ! ». Ce n’est en effet que sur l’incitation du Comité que ces braves gens cessent leurs envois.
Une grande partie de la population est privée de bois à l’époque la plus pénible de l’année. Le Comité charge M. BARTEAU d’acheter les lots de bois disponibles et distribue en quelques semaines pour plus de 400 Francs de bois sec. La Croix Rouge dont les délégués viennent à différentes reprises encourager les efforts du Comité fait parvenir un lot important de vêtements destinés aux familles nécessiteuses. Un lot non moins important est adressé par la famille BINET. M. le Curé en effectue la répartition avec un discernement et un tact admirables. Les délégués de la Croix Rouge remettent aussi entre les mains de M. le Curé une somme d’argent qui vient s’ajouter à celle que Mgr ROUART évêque de Nantes a tenu à lui adresser au lendemain de la catastrophe dont il a constaté toute l’étendue dans sa visite à St Julien ».
« Pour assurer les communications du Bourg à la Chebuette, du bourg au bout du Pont et de Cahérault à Boire Courant, un service de bateaux est organisé. MM P. VIAUD et GIRAUD sont chargés de la direction de ce service, ils s’en acquittent à la satisfaction générale. Les départs ont lieu à heures fixes. Du bourg de la Chebuette, le service est fait par des toues et des rameurs ; du bourg au Bout du pont il est assuré par un canot à pétrole qui remorque une ou deux toues suivant les besoins. Les bateaux suivent les routes. De la sorte les provisions de toutes sortes parviennent régulièrement aux habitants de la levée en même temps que le commerce local se trouve favorisé. Les étrangers qui utilisent ces bateaux acquittent un droit de 0,25 par passage. Le montant des droits de passage, soit 300 francs est versé à la Caisse des inondés.
Dans le but de répartir avec le plus de justice possible les subventions qui sont accordées, le Comité dresse la liste de tous les inondés, liste qui comprend près de 700 familles et près de 1750 individus. D’après une déclaration personnelle de chacun des sinistrés, le Comité évalue les pertes de chaque famille en foin, paille, betteraves, pommes de terre, chanvre, blé etc…
C’est d’après ces données et en tenant compte de la situation de chacun que les répartitions des subventions sont effectuées. Les séances du Comité ont lieu régulièrement 3 fois par semaine sous la présidence de M. BRAUD et de M. le Curé ; elles se prolongent souvent fort avant dans la nuit, l’examen impartial de la situation de chacun et des réclamations qui se produisent nécessitant un temps très long. Dans cette partie la plus délicate de sa tâche, le Comité peut se rendre le témoignage qu’il n’a été guidé que par le souci de la justice, il méprise les épithètes dont on a gratifié ses membres tout en déplorant la mentalité d »’une partie de la population. Les sommes réparties se décomposent ainsi :
– 1er secours de l’Etat 8000 Francs
– 2ème secours de l’Etat 9000 Francs
– 3ème secours de l’Etat 5000 Francs
– Secours du Conseil Général : 30900 Francs
Chaque répartition nécessite la confection en triple exemplaire de la liste des bénéficiaires, ces pièces justificatives sont transmises sans retard à la Préfecture. Remarquons en passant que les subventions accordées à la Commune de St Julien sont de beaucoup inférieures aux subventions accordées aux communes voisines si l’on considère l’étendue du désastre et la proportion des inondés dans chaque commune. Cependant le Comité n’a rien négligé pour éclairer l’Administration préfectorale sur la situation exacte de St Julien : la liste nominative des inondés avec les pertes de chacun formant un total de plus de 35000 Francs ayant été fourni au Conseil Général par M. HOURDEL.
La plus grande partie des fourrages inondés étant considérés comme totalement perdus, le Comité se préoccupe de procurer à bon compte aux cultivateurs le foin et la paille dont ils auront besoin en attendant la récolte. Grâce à ses relations, M. le Curé obtient de M. ALLAIS marchand de fourrages à St Etienne de Montluc la fourniture de 129000 kilos de foin de bonne qualité à des prix des plus réduits. Marché semblable est fait avec M. LEROUX marchand de fourrages à Thouaré pour une fourniture de 60000 kilos de paille sur les prix de transport du foin. La Compagnie d’Orléans consent une réduction de 50% sur le prix de transport du foin.
Les fourrages expédiés par voie ferrée arrivent en gare de Thouaré. Dès la réception de la lettre d’avis, MM BARTEAU ET BRETONNIÉRE lancent les convocations. A l’heure fixée ils se rendent à Thouaré où ils procèdent au déchargement des wagons, à la pesée des fourrages qui sont livrés au prix de revient et payés comptant. Leur comptabilité est soumise au Comité qui encaisse les sommes reçues pour les faire parvenir aux fournisseurs. Du 5 janvier au 23 mars il est ainsi procédé à la livraison de 38 wagons de foin et de 20 wagons de paille. Les cultivateurs sont unanimes à déclarer que cette organisation leur procure une économie d’au moins 20 francs par 1000 kg de foin, d’autant que les négociants en fourrages eussent profité de la situation ».
Les eaux se retirant, les habitants s’empressent de rentrer dans leurs habitations ruisselantes et malsaines. Le service départemental de désinfection envoie des équipes pour procéder à des pulvérisations de crésyl dans les appartements et à l’assainissement de l’eau des puits par l’addition d’une poudre à base de permanganate de potasse. Le Comité décide de fournir aux plus nécessiteux des appareils de chauffage ainsi que du charbon. Grâce à ces précautions, on n’a à déplorer aucune épidémie.
Un certain nombre d’immeubles ont été fortement endommagés par les eaux ou complètement détruits. Un relevé de ces dégâts est fourni par M. DAVID, secrétaire de Mairie. L’administration préfectorale répartit elle-même une subvention entre les intéressés. Grâce aux démarches pressantes de M. HOURDEL, M. le Préfet accorde une somme de 2000 francs à chacune des trois familles LUZET dont les habitations ont été totalement détruites.
Les terrains situés devant la brèche ont été ravinés par les eaux à des profondeurs qui atteignent parfois 3 mètres alors que les terrains situés au-delà ont été recouverts d’une couche de sable variant de 0,50m à 1,50m. L’aspect de la contrée est totalement modifié et ces terrains sont dans l’état actuel totalement perdus pour la culture. A la demande du Comité et grâce aux démarches de M. BRAUD et de M. HOURDEL, M. le Préfet accorde une subvention de 10000 francs à répartir entre les propriétaires des terrains ravinés ou ensablés proportionnellement au cube de sable amené ou de terre enlevée. La subvention est versée aux 38 intéressés par les soins de MM BRAUD et HOURDEL.
Pour faciliter l’enlèvement des sables, une demande de matériel Decauville comprenant wagons et rails est adressée à l’administration des Ponts et Chaussées qui met gratuitement et pendant 6 mois le matériel nécessaire à la disposition des propriétaires. De plus à la demande des propriétaires, le vieux chemin de Pré-Jahan à la Praudière qui traverse la région ensablée est transformé par les soins du service vicinal en une route qui facilite le transport des sables.
Dès le début de l’inondation, M. Léon Binet, Maire de St Julien, profitant de ses nombreuses relations adressait aux commerçants avec lesquels il reste en rapport une demande de secours pour ses administrés. Il recueillait ainsi une somme de plus de 7000 francs dont la répartition était faite en juillet 1912 par les voies du Conseil municipal. Le lendemain de la catastrophe et considérant l’époque à laquelle elle se produisait, la population tout entière ne songeait guère à rentrer dans ses habitations avant le mois d’avril. Heureusement ces fâcheuses prévisions ne se réalisèrent pas ; au bout de quelques semaines, le niveau de la Loire s’abaissait rapidement. Le 9 janvier on pouvait passer sur la route de St Julien au Bout du Pont. Mais la brèche restait béante : M. le Préfet fit effectuer sous la direction du service des Ponts et Chaussées un travail provisoire pour préserver la vallée des crues qui pourraient survenir au printemps : des milliers de mètres cubes de pierre furent amenés de Mauves par bateaux et entassés dans la brèche, un ferré cimenté bordait la Loire. Ce travail fut effectué de janvier à avril. Le travail définitif de réfection commencé en juin ne se terminera qu’en novembre suivant. Ajoutons que dès la mi-décembre les travaux de réfection de la levée d’Embreil étaient entrepris et que les communications se trouvaient bientôt rétablies avec Nantes par cette voie ».
Par le Journal Officiel du 7 mai 1911, la République Française rendra hommage à Théophile BRETONNIÈRE et Toussaint BARTEAU « pour leur activité et dévouement remarquables lors de ces inondations de 1910 ».
Les traces des inondations aujourd’hui
Dans plusieurs endroits de la commune des traces sont encore visibles des niveaux de crues de la Loire des siècles passés.

Merci à Patrick CHEVREL pour la transmission du document manuscrit de Monsieur Théophile BRETONNIÉRE