Pierre Hivert, l’homme du marais du Chêne

En ce printemps 1856,  Pierre HIVERT a 32 ans. Il habite le village de la Sablère à quelques 500 mètres du hameau du Chêne d’où il est né. Il est désormais un heureux père d’un enfant d’un an prénommé comme lui, comme il le veut la tradition.

 Extrait recensement de 1956, St Julien de Concelles, archives départementales de Loire-Atlantique

Pourtant quelques années plus tôt toute la famille était inquiète que Pierre n’arrive pas à trouver une âme sœur.  Il avait à peine 30 ans qu’il se faisait souvent railler par son ami et conscrit du bourg, Augustin DURANCEAU, boulanger de son état, qui lui disait à chaque fois qui le voyait « Alors c’est pour quand les fiançailles ! ».

Pierre n’avait qu’une envie celle de lui clouer le bec. Alors en septembre 1953, il fut le premier informé de son désir d’épouser Marie Rousseau.

 C’est donc le 12 février 1854  qu’il épouse cette jeune femme de 19 ans. Deux jours auparavant le couple a tenu à signer devant maitre Forest du Loroux-Bottereau, un contrat de mariage.

L’an 1854, le 12 février à 3 heures du soir, par devant nous, maire, officier de l’état-civil de la commune de Saint-Julien de Concelles, canton du Loroux-Bottereau, département de la Loire Inférieure, sont comparus en notre maison commune, dont les portes ont été ouvertes au public Pierre HIVERT, âgé de 30 ans, laboureur, célibataire, né en cette commune de 30 juin 1823, y domicilié au Chêne, fils majeur des feus Noël HIVERT et de Marie RINEAU, les deux décédés en cette commune le premier le 14ième jour du mois de mai l’an 1848, la seconde le 23 jour du mois de février l’an 1849, ainsi qu’il est constaté par les différents registres des décès en dépôt en la mairie de cette commune. Et Marie ROUSSEAU, âgée de 19 ans, cultivatrice, célibataire, née en cette commune le 24 mars 1834, y domiciliée chez sa mère à Saint Barthélémy, fille mineure de feu Julien ROUSSEAU, décédé en cette commune le 31 juillet 1838, ainsi qu’il est constaté par le registres des décès en dépôt en la mairie de cette commune, assistée de Françoise BIRY, sa mère, cultivatrice, ci-présente et consentante. Lesquels nous ont requis de procéder à la célébration du mariage projeté entre eux, et dont les publications ont été faites à la principale porte de notre maison commune, savoir : la première 2ème jour du mois de janvier l’an 1854, à l’heure de midi et la seconde, le 5ième jour du mois de février l’an 1854, à l’heure de midi. Avons demandé aux futurs époux et aux personnes présentes autorisant le mariage s’il existait ou non un contrat de mariage passé entre les parties. Les futurs conjoints et les sus dites personnes autorisant le  mariage nous ont répondu qu’ils avaient passé un contrat de mariage par devant Maître FOREST, notaire résidant à la ville du Loroux Bottereau, à la date du 10 février 1854, et à l’appui de cette déclaration, il nous a été en effet remis un certificat du susdit notaire constatant l’existence de ce contrat de mariage. Aucune opposition au dit mariage ne nous ayant été signifiée, faisant droit à leur réquisition après avoir donné lecture de toutes les pièces ci-dessus mentionnées et du chapitre VI du titre du code civil, intitulé du mariage, avons demandé au futur époux et à la future épouse s’ils veulent se prendre pour mari et pour femme. Chacun d’eux ayant répondu séparément et affirmativement, déclarons au nom de la loi que Pierre HIVERT et Marie ROUSSEAU sont unis par le mariage, de quoi nous avons dressé acte en présence de Joseph HIVERT, âgé de 40 ans, laboureur, demeurant à la Robinière, frère du marié, et de Pierre VIVANT, âgé de 35 ans, laboureur, demeurant au Chêne, beau-frère du marié, et de Jean LIBEAU, âgé de 38 ans, laboureur, demeurant à Saint Barthélémy, beau-père de la mariée, et de René THUAUD, âgé de 48 ans, arpenteur, demeurant au bourg, ami de la mariée, les quatre en cette commune. Lesquels, après qu’il leur en a aussi été fait lecture, le contractant et deux témoins ont signé avec nous le présent acte, la contractante et les deux autres témoins ont affirmé ne savoir signer, de ce enquis

Texte du mariage Marie ROUSSEAU et Pierre HIVERT, le 12 février 1854.

Pour les ascendants, seule Françoise BIRY, mère de Marie assiste à la cérémonie de mariage sous la houlette de M.PINARD le maire. Son père Julien ROUSSEAU est décédé quand elle avait quatre ans. Sa mère  s’est remariée quelques années plus tard avec Jean LIBEAU de Saint Barthélémy.

Côté HIVERT, mis à part Noël et Marie disparus cinq ans plus tôt, l’ensemble de la famille est réunie pour cet événement. Son frère Joseph se tient aux côtés de Pierre comme premier témoin. Sont présentes également ses sœurs ainées Marie, Mathurine qui ne sont pas mariées et habitent toujours dans la maison des parents au Chêne à côté de chez Françoise marié à Pierre VIVANT que Pierre a choisi comme second témoin. Jeanne la cadette, à côté de laquelle se tient Augustine, a elle aussi épousé également un autre Pierre VIVANT. Ceux-ci ont pris attache à la Sablère, village qui accueillera également le nouveau couple.

De sa maison à la Sablère Pierre a une belle vue sur le marais du Chêne. Ce marais Pierre le connait bien car il a bercé son enfance au Chêne surtout de juin à octobre car pendant plus de 8 mois de l’année avec la montée des eaux de la Loire il constituait seulement un lac.

Carte de l’état-major 1850

Dans ce marais son père Noël a même fait l’acquisition de terres en 1821. La moitié d’un canton de pré-marais dit des « Buffoys » de 65 boisselées (4ha 60)  près du bourg de Saint Julien. Une somme rondelette est à débourser de 5300 F pour payer le propriétaire le Chevalier Jean MONNIER de Thouaré. Comme il n’est pas question d’acheter seul une surface aussi importante, l’achat est donc effectué en indivision à cinq laboureurs locaux ainsi que Jean Jacques PIOU,  greffier en chef au tribunal civil de Nantes.

« Les buffoys »  Cadastre 1808, St Julien de Concelles

Un an avant sa mort en novembre 1848, Marie RINEAU sa mère a souhaité faire les partages de son vivant et Pierre bénéficia autre entres de la moitié du pré des Buffoys.

Donation partage du 10 novembre de Marie RINEAU, à ses enfants, archives familiales

Avec deux autres prés de 20 ares au total dans le marais Pierre a pu développer un petit élevage de deux vaches et trois génisses. 

Extrait matrice cadastrale de Pierre HIVERT 1850 – Archives départementales de Loire-Atlantique.

En 1856, Pierre participe au syndicat du canal d’assèchement du marais du Chêne à la boire des Bardets avec Frédéric Brevet, son directeur ancien maire, qui vient de démissionner suite à la sombre histoire des communs1

Le phare de la Loire du 12 mars 1856

Le but de ce syndicat est de faire des douves entre les parcelles pour que l’eau s’écoule plus facilement à la fin du printemps. Pierre comme les autres propriétaires espèrent que l’aboutissement de la levée de la divatte[2] qui vient de se terminer permettra de mieux contenir l’eau de la Loire.

Hélas au mois de juin de cette même année, c’est la catastrophe. Jamais, de mémoire d’homme, on n’avait vu pareille crue en Loire. Les eaux s’élevaient jusqu’au sommet de la levée. Soulevées par un vent violent, les vagues se jetaient avec furie sur le petit mur qui la termine. Jour et nuit, pendant sept jours, une multitude d’hommes travaillaient à la charger au moyen de grosses pierres qu’on enlevait aux murs et aux vieilles constructions abandonnées. La plupart des femmes de la vallée étaient parties avec les vieillards et les enfants, du côté du bourg et des champs. Le 9 juin, une fissure se produit au village de Saint-Simon, à la Chapelle-Basse-Mer. Le fleuve se précipite comme un torrent par l’ouverture béante et, après avoir renversé murs et maisons, inonde toute l’étendue de la vallée et du marais[3].

 Heureusement la Loire a ensuite baissé rapidement. Mais le canal des Bardets récemment construit est obstrué par toutes sortes de débris et me permet pas l’écoulement de l’eau. Pierre est de la partie comme l’ensemble des laboureurs des villages avoisinants mais malgré la mobilisation des habitants, il se révèle difficile à nettoyer…

Carte de l’état-major 1850

En cette année 1858, le printemps a été plutôt beau et sec et le marais sert comme chaque année  de « frayère ». Pierre met alors quelques bosselles en osier confectionnés l’hiver pour pêcher quelques anguilles et autres brochets qui pullulent en cette saison. Pas question d’en vendre, il s’agit seulement de varier les repas familiaux. 

Puis, l’eau s’est retirée plus vite que d’habitude et l’inondation de l’année 1856 a été peu à peu oubliée. En mai Pierre avec l’ensemble des propriétaires et fermiers du marais ont pu commencer à nettoyer les douves pour que l’eau « s’égoutte » plus rapidement. Début juin le grand lac d’hiver laisse place désormais à une grande étendue verte.

Récolter la rouche

Il fait même sec au mois de juillet et l’herbe des marais, sous l’effet de l’humidité ambiante, pousse rapidement. Dès la mi-juillet les hommes commencent tôt la matinée à faucher la « rouche » qui sert à la fois d’aliment et de litière pour les animaux.

Dans la matinée l’ensemble de la famille arrive, femmes, beaux frères et belles sœurs, cousins et neveux, tout le monde est mis à contribution car les parcelles issues des propriétés héritées de leur père Noël sont voisines et il est de tradition de travailler ensemble au marais.

Les femmes et les enfants s’emploient faire des petites bottes, des brassées avec un lien de chanvre, lui même cultivé dans la vallée.

Marie, la femme de Pierre a pris soin de fabriquer avec des bouts de tissu des manchons pour éviter de se couper les bras avec cette herbe coupante des marais. Celle-ci porte également un regard attentif aux berceaux de Marie et Jean, ses jumeaux, nés l’été dernier déposés au pied d’une poupée de saule à l’ombre.

Le travail pénible et la chaleur ambiante incitent à des pauses régulières. On s’apostrophe de loin en loin pour boire un coup de vin ensemble, le breuvage étant gardé au frais dans la douve.

Le soir on s’empresse de charger la charrette du foin récolté car la fraicheur vient vite le soleil couché. En rentrant, les roues de celle-ci dessinent dans le sol des ornières dans cette masse spongieuse qu’est le marais.

Garder les vaches

La rouche récoltée, les vaches de la communauté villageoise peuvent désormais paitre et manger le « regain ». La garde des animaux est confiée aux jeunes enfants. Les siens étant trop jeunes Pierre a confié cette tâche à Augustine, Auguste et Jean VIVANT, les enfants de ses sœurs Jeanne et Françoise qui ont un œil au même temps sur les bêtes de leurs parents.

Ce marais devient alors un grand terrain de jeu d’où on entend les cris des enfants. Les filles les plus grandes emportent un tricot ou un travail à faire, les gars se rassemblent pour y s’ébattre et pêcher dans les douves ou bien faire des courses de bateaux avec des écorces de bois… avec le risque de « goyer »[4] ou de perdre son sabot. 

Mais pour les enfants même si les vaches se baladent de pré en pré il faut avoir un œil sur elles et éviter leur divagation lointaine, sinon la « roustée » ou au mieux une réprimande les attend à leur retour à la maison.      

Pendant cette période d’été Pierre aime bien traverser le marais pour se rendre au bourg avec le chemin appelé la « voyette de la messe » qu’il prenait souvent en famille quand il était jeune, qui part du Chêne jusqu’aux Trois Moulins.

En 1860 le ciel s’assombrit sur le couple ROUSSEAU-HIVERT, le 2 mars Jean, leur second fils et jumeau décède, des suites d’un paludisme mal soigné, une maladie transmise par les moustiques du marais selon le vieux docteur DEGAGE qui n’a pu le guérir.

Le 26 janvier 1861, c’est Marie qui décède en couche d’un enfant mort né… Pierre est effondré. C’est donc les maris des sœurs de Marie, Françoise et Julienne, Toussaint ANNEAU et Mathurin VIVANT qui se chargent des démarches d’état civil… 

  Etat civil des décès 1861 de St JULIEN de CONCELLES, archives départementales.


[1] Voir histoire à venir d’Antoine Pétard

[2] Les travaux la levée de la divatte débutés en 1847 et viennent de se terminer en 1856. Le 3 septembre 1846, une ordonnance du roi Louis-Philippe crée donc un syndicat pour la construction de la« levée insubmersible de la Divatte à Saint-Sébastien », qui regroupe les propriétaires de terres qui seront protégées à la Chapelle-Basse-Mer, Saint-Julien-de-Concelles et Basse-Goulaine. Il est financé par des taxes perçues sur ces terres et par des subventions. Laissez-vous conter la Loire depuis la levée de la Divatte ; Pays du Vignoble Nantais

[3] RP Pétard Saint-Julien-de-Concelles. Histoire d’une Paroisse Bretonne Avant et Depuis 1789, page 304

[4] Mettre son pied chaussé dans l’eau !

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