En mois de mai 1860, Jean Pétard a bientôt 64 ans. Il n’a pas réellement le moral. Sa femme Jeanne est décédée il y a cinq ans désormais et son fils Julien vient de mourir à l’hôpital St Jacques à Nantes… Ses deux filles Jeanne et Julienne-Françoise sont mariées François-Théophile et Jean s’apprêtent à le faire à leur tour également. Alors, fatigué, il pense à transmettre son patrimoine à ses enfants.

A la sortie de l’église lors de ce dimanche de Pâques 8 avril 1860, Jean a rencontré le jeune et ambitieux notaire LE SANT. Celui-ci a repris l’étude communale du notaire VALIN il y a maintenant bientôt deux ans en se mariant avec sa fille, Eugénie. Jean lui a fait part « de son désir de se dessaisir en faveur de ses enfants de ses terres, habitation et « chambres » car attendu son âge avancé, il ne peut plus cultiver par lui-même ».
Rendez-vous est donc pris en juin avec le notaire. Lors de cette entrevue, ce dernier lui a d’abord expliqué en sortant le code civil, sans doute pour impressionner Jean, illettré, qu’il pouvait « user de la faculté que lui confère les articles 1075 et suivants du Code Napoléon et faire ainsi entre ses enfants le partage anticipé de ses biens… »

Lors de cette séance le notaire a pris soin d’inviter René MOCUBE, arpenteur au bourg, pour la connaissance qu’il a du patrimoine local et de chacun.
Deux autres rencontres ont été nécessaires avant l’été pour qu’ensemble ils établissent, à partir du plan cadastral communal et des lourds registres de l’état des sections et autres matrices cadastrales, cinq lots égaux des immeubles rassemblant les deux patrimoines, le sien et celle de sa veuve Jeanne BOUYER[1], « restés indivis jusqu’à ce jour » pour reprendre les propos du notaire.


Ensemble ils fixent la date de rencontre à la résidence du notaire ; ce sera le dimanche 12 août 1860, pour que les descendants et gendres de Jean soient disponibles. Mais auparavant Albert Le SANT lui a proposé des noms de témoins qui pourraient assister à la séance de donation. René MOCUDE, l’arpenteur se dit volontaire et sa présence semble indispensable compte-tenu de son expertise car Jean sait ses gendres un peu pointilleux. En outre le notaire lui propose à Jean le nom de Julien BAGRIN, l’instituteur communal.
Jean valide ce choix. Il apprécie cet homme, originaire de la commune, fils de Pierre BAGRIN et de Marie PESNOT. Il est dévoué à sa cause et se montre toujours disponible quand Jean le sollicite parfois pour déchiffrer un document. La commune est fière de la réussite d’un de ses enfants dont la mission a été saluée par le ministère de l’instruction publique, par la remise d’une médaille de bronze.

De plus, son courage et son dévouement ont été salués par l’autorité académique lors des inondations de 1856.

Journal d’éducation populaire de 1856
Julien habite au dessus de la vieille école[2] mise à la disposition de sa famille. Il y vit avec sa fille et sa sœur car Mélanie PHELIPPE[3], sa femme elle même aussi institutrice est décédée il y a deux ans.

Le 12 août 1860, après avoir tous assisté à la première messe de 7 heures l’ensemble de la famille endimanché arrive donc à l’étude notariale, accompagné de messieurs BAGRIN et MOCUDE.
Chacun est quelque peu impressionné quand le notaire LE SANT prend la parole et lit le projet de minute de donation-partage.
« Le sieur Jean Pétard déclare faire donation entre vifs et irrévocable avec garantie de tous troubles, rentes et hypothèques et autres empêchement généralement quelconques à une jouissance paisible à:
Jeanne Pétard, épouse de Julien Rousseau, cultivateur avec lequel elle demeure à la Tinière commune de Saint-Julien de Concelles de son mari à ce présent dûment autorisé;
Jean Pétard, cultivateur, demeurant chez son père au dit lieu de la Guilbaudière;
Julienne Françoise Pétard épouse de Pierre Petiteau, cultivateur avec lequel elle demeure à l’armurerie commune de Saint-Julien de Concelles, de son dit mari, à ce présent dûment autorisé;
Théophile François Joseph Pétard cultivateur demeurant à la Guilbaudière aussi chez son père
Antoine Pétard, cultivateur, demeurant lui aussi chez son père à la Guilbaudière
Les cinq enfants majeurs issus de son mariage avec la dame feue Jeanne BOUYER seuls héritiers de cette dernière et ses seuls héritiers présomptifs à lui-même, tous cinq à ce présents et acceptant avec la plus vive reconnaissance des immeubles ci-après lui appartenant en propre… »

Chaque enfant et gendre de Jean hoche de la tête en entendant son nom. Puis le notaire poursuit la lecture de l’acte.
« La présente donation est faite à charge à la charge expresse des enfants Pétard si obligent solidairement:
De payer et de servir au sieur Jean Pétard leur père, donateur, pendant toute la vie de ce dernier jusqu’au jour de son décès une rente annuelle et viagère de 250 Francs exempte de toute retenue et contributions quelconques, sous quelque dénomination qu’elles soient jamais établies;
De fournir chaque année à leur père cinq barriques de vieux blanc, deux de muscadet et trois de gros plant, lesquels devront contenir chacune deux hectolitres trente litres, mesure ordinaire des barriques du pays; plus cinquante fagots à deux liens et un fort arbre têtard qu’ils devront mettre eux-mêmes en bûches; ils seront tenus de conduire le tout chez leur père sans frais pour ce dernier; il devra rendre les fûts à ses enfants ceux-ci ne lui devant que la goutte…
Ces diverses redevances sont évaluées par les parties à une charge annuelle de 804 Francs mais cette évaluation ne devra jamais empêcher les donataires de fournir ces redevances en nature, redevances qui ne devront jamais être diminuées par quelque cause que ce soit, mauvaises récoltes ou autre motif.
Les donataires s’obligent solidairement, les dames Rousseau et Petiteau avec l’autorisation spéciale de leurs maris, à payer la dite rente et à fournir les dites redevances à leur père, le 1er novembre de chaque année, le tout en la demeure de ce dernier; la rente en espèces métalliques d’or ou d’argent au cours actuel et les redevances en nature; le premier paiement aura lieu le 1er novembre 1861 ».
Théophile François, interrompt alors le notaire en trouvant que la fourniture de cinq barriques de vin lui semblait une contribution élevée mais son père ne veut rien savoir : « une barrique de vin pour chacun vous me devez bien ça …» Julien ROUSSEAU, le mari de Jeanne se fait plus conciliant et se permet d’ajouter qu’il est important de préciser les modalités de cette obligation.
Après débat et échanges entre tous et sur les conseils de Julien BAGRIN, conciliateur dans l’âme, il est proposé la transaction suivante que le notaire lit à haute voix :
« En conséquence chacun des enfants aura à fournir à son père la somme de 50 Francs et deux hectolitres et trente litres de vin blanc, tantôt muscadet, tantôt gros plant au le premier novembre 1861. Les deux barriques de muscadet seront fournies par les deux aînés Madame Rousseau et le sieur Jean Pétard fils, les trois autres enfants donneront les trois de gros plant. L’’année suivante les deux de muscadet seront fournis par la dame Petiteau et le sieur Théophile Pétard pour ainsi continuer d’année en année de manière à ce que le Muscadet soit fourni alternativement.
De même l’arbre dont il est parlé ci-dessus devra être pris une année sur le terrain de l’un et une autre année sur le terrain d’un autre de manière à ce que cette charge soit supportée par tous également. Les donateurs s’entendront également pour fournir entre tous les 50 fagots ».
Avant de procéder au tirage au sort des lots le notaire a tenu à préciser :
« Tous les lots étant d’égale valeur il n’y a lieu à aucune soulte. Chacun des enfants Pétard aura dès ce jour la propriété exclusive et privative des immeubles compris dans son lot, mais il n’en jouira qu’à partir du 1er novembre prochain à la charge à lui d’en acquitter les contributions à partir du 1er janvier 1861. Il prend le lot qui lui est attribué dans l’état où il se trouve aujourd’hui avec toutes ses dépendances et les servitudes actives et passives qui en dépendent.
Tous les lots se devront passage et cela sans indemnité pour les portions enclavées, tous les lots auront également droit au puits du village. Chacun des enfants Pétard aura un cinquième dans le four de la Guilbaudière, de même que les droits à tous les communs que ce puisse être, lesquels droits restent indivis entre eux tous… »;
Et René MOCUBE d’ajouter que « les canaux d’irrigation et les rigoles qui se trouvent dans les prés devront êtres maintenus et qu’il était est important que cette obligation soit mentionnée dans l’acte ».
Le notaire tient à préciser que « Jean pétard père, donateur aura la jouissance pendant toute sa vie de la maison qu’il habite actuellement à la Guilbaudière »
Le notaire montre ensuite à tous les cinq enveloppes qui contiennent la description de chaque lot et les glisse ensuite dans une urne. Par rang d’âge Jean, l’ainé des garçons tire dans l’urne le premier papier avec le numéro 4…

Puis chacun en fait de même. En tirant respectivement les lots 1 et 3 Antoine et sa sœur Julienne Françoise se voient attribuer la maison et la chambre basse situées à la Guilbaudière. Pierre PETITEAU, époux de Julienne se lève alors et s’exclame à l’adresse du notaire : « Tous les lots étant d’égale valeur il n’y a lieu à aucune soulte, avez-vous dit tout à l’heure, mais avec ma femme nous ne pourrons pas jouir de suite des immeubles de la Guilbaudière où habite mon beau-père »
Le notaire propose alors de noter sur l’acte de donation la mention suivante…
« Pour indemniser Antoine Pétard et la femme Petiteau qui à eux seuls ne doivent pas supporter cette charge du logement gratuit accordé à leur père pendant toute sa vie, les trois autres enfants Pétard devront leur donner chaque année le 1er novembre comme prix en quelque sorte de location de leur maison pendant toute la durée de la vie de leur père, à Antoine Pétard la somme de 15 francs et à la femme Petiteau celle de 10 francs, pour le premier paiement devant avoir lieu le 1er novembre 1861. Jean Pétard, père sera tenu des réparations locatives de ces maisons mais pour la seule main d’œuvre seulement selon l’usage du pays ».
… et de conclure comme suit :
« Les lots étant ainsi attribués et les conditions du partage établis, tous les enfants Pétard ont déclaré unanimement qu’ils acceptent le lot échu à chacun et font abandon des autres lots à leurs frères et sœurs, s’obligent aux charges et aux conditions imposées aux présentes et à ne jamais se rechercher ni de ne s’inquiéter à ce sujet.
Il est une heure de l’après-midi dans l’étude du notaire quand l’ensemble des hommes présents sont amenés à signer l’acte de donation ce dimanche 12 août 1860. Seuls Jean, le donateur, et Julien Rousseau, le mari de Jeanne déclarent ne savoir le faire.
Jean PETARD, père décèdera à l’âge de 68 ans à Saint-Julien le 9 juin 1865 soit un mois après son fils ainé Jean âgé seulement de 39 ans, le 26 avril 1865.
[1] Ses trois sœurs étant toute décédées avant leur majorité, Jeanne s’est trouvé la seule héritière de son père lors de son décès.
[2] L’école communale neuve des garçons de deux classes sera créée en même temps que les bâtiments de la mairie en 1863.
[3] Fille de Pierre Marie PHELIPPE (1774 -1843), notaire et maire de St Julien de Concelles de 1807 à 1814.