1865.
En ce début d’année 1865, la Guilbaudière est en deuil avec la disparition successive de Jean Pétard père et fils.


Lors des deux sépultures religieuses Pierre Hivert rencontre Antoine Pétard. Les deux hommes s’apprécient malgré la différence d’âge, Pierre étant l’aîné d’Antoine de plus de 15 ans. Ces deux-là ont des attaches communes ; ils ont participé au mariage de l’un et de l’autre à un mois près. Antoine a épousé le 18 octobre Jeanne Félicité HARROUET et Pierre, Jeanne RICHARD en secondes noces le mois suivant.

A cette occasion le couple RICHARD HIVERT a signé la veille de la cérémonie du dimanche 8 novembre, un contrat de mariage, devant maître RENOUL au Loroux-Bottereau.
Lors de leur mariage les deux mariées prénommées toutes les deux Jeanne, cousines par alliance, ont choisi le même témoin, le respecté François Richard âgé de 55 ans.

En ce début d’année 1865, Jeanne-Félicité et Antoine PETARD se sont même déplacés à la Sablère à l’occasion de la naissance d’Auguste[1]

Courant 1865 il doit être procédé aux élections municipales dans tous les départements de l‘Empire. Pierre est déjà conseiller municipal depuis cinq ans. Il a accepté d’être à nouveau sur la « liste » malgré des tensions importantes au sein du Conseil avec l’affaire des « communs » qui empoisonne la vie communale depuis plusieurs années. René Ménard, le maire, lors du dernier conseil de juin, a lu la circulaire venue du préfet de Loire-inférieure Mercier-Lacombe signée du nouveau ministre de l’intérieur appelé La Valette. Il a ajouté que le « recensement de 1861 avait permis d’établir que Saint Julien comptait 421 habitants dans le bourg, 1378 dans la vallée et 2069 dans les champs. Avec 3868 habitants nous aurons encore cette année 23 conseillers à élire ». René Ménard a conclu son propos en disant « qu’il avait envoyé une lettre au préfet lui spécifiant qu’il ne souhaitait plus être maire[2]».

Le dimanche 23 juillet, Pierre tient le bureau de vote quelque temps avec deux autres assesseurs comme le prévoit le règlement. A cette occasion il rencontre à nouveau Antoine Pétard qui lui propose de prendre un verre à la fin de son service en lui disant : « en tant que conseiller tu dois en savoir des choses sur cette histoire des communs… ». Pierre lui répond alors que lui aussi n’a pas tout compris mais qu’il veut bien lui dire ce qu’il en sait « mais pas ici, près de la mairie au café Pouplard y a trop de monde… allons plutôt chez Jules Redureau, place de l’église, on sera plus tranquille pour causer »
Pierre fait à sa manière alors le récit de plus de 50 ans de chicanes au sujet de la jouissance des communs devant un premier verre de vin.
« Comme tu le sais, au début du 19ème siècle, les « valliats[3] » de St Julien jouissent ensemble des « communs » où ils font paître leurs animaux ce qui leur procurent à ceux-ci une certaine prospérité. Puis en 1817 pour la première fois, depuis la Révolution, des vassaux du Gué-au- Voyer avec à leur tête en particulier DUBOIS et GOHAUD, réclament contre les autres habitants la possession de certaines parties de la vallée en particulier la Vallée-aux-Nonnains.
« Antoine, ton grand père Julien aurait pu être des leurs s’il n’avait pas été un simple métayer », plaisante Pierre.

« A partir de cette période, le conseil municipal se déchire entre les partisans des vassaux et les autres qui souhaitent que le bien reste propriété communale indivisible. Alors quatre ans plus tard le 14 août 1821, un premier procès s’engage en particulier sur la Vallée-aux-Nonnains. Le tribunal civil de Nantes prononce alors que la commune de Saint-Julien est propriétaire de toutes les vallées en litige ».
Pierre poursuit ensuite son récit avec la période contemporaine devant un second verre de muscadet : « Puis les choses se calment un peu. Mais en 1847, l’occasion de la construction d’une chaussée et d’un pont sur la route de la Chebuette souhaitée par la commune, fournit aux anciens vassaux un prétexte à renouveler leurs prétentions. Dix particuliers, dont DUBOIS et GOHAUD de la vallée se disent représentants des anciens vassaux du Gué-au- Voyer et de la Sénéchalière. Ils en appellent aux tribunaux contre cette vente, prétendant être copropriétaires par indivis de toutes les pâtures situées depuis les limites de l’ancienne seigneurie[4]… M. Reneaume, avoué des vassaux, porte alors l’affaire devant le tribunal de Nantes. Celui-ci se réunit le 8 mai 1849 et se prononce une seconde fois en faveur de la commune contre les vassaux ».
« C’est une nouvelle victoire remportée par les habitants de la commune, mais hélas la dernière, je le crains, ajoute Pierre… car en 1850 la Cour d’appel de Rennes[5] donne raison cette fois aux vassaux. Le maire de l’époque Frédéric Brevet, qui s’est rangé ensuite du côté des vassaux a été accusé de ne pas avoir fourni en son temps les pièces demandées par le tribunal ».
« J’ai appris en conseil municipal que même les descendants de l’ancien seigneur Chandenier disparus de Saint Julien depuis plus de 60 ans ont voulu reprendre une partie de leur ancienne propriété… »

Antoine demande ensuite à Pierre de l’éclaircir sur l’histoire récente qui a enflammé Saint Julien : «Les vassaux ont été autorisés par le tribunal à vendre quelques parcelles de terrain pour couvrir tous ces frais. La vente, lundi de la Pentecôte 1864, a provoqué un soulèvement de la population et des habitants ont décidé d’empêcher à tout prix la vente annoncée. La foule rassemblée s’en est pris à Reneaume, avoué, et à Brevet, ancien maire, devenu syndic des vassaux et ont empêché ceux-ci d’entrer chez Le Sant le notaire afin de signer l’acte de vente… »

L’état de tension est tel à St julien qu’un certain nombre de conseillers, comme Praud, Malécot, et Grimaud prennent l’initiative d’écrire à l’empereur en juin 1864 au nom des habitants de la commune ».
Juin 1864. Lettre des Concellois à sa majesté l’empereur des français
A sa Majesté Napoléon III Empereur des français
Sire,
Les habitants de la commune de St Julien de Concelles, viennent implorer humblement l’auguste protection de votre Majesté, et la supplier de leur conserver l’unique élément de leur aisance et de leur bien être, qu’on est sur le point de leur ravir. Depuis qu’elle existe, la commune de St Julien de Concelles, possède 637 hectares de riches pâturages, dont le revenu imposable n’est pas moindre de 28724 francs et dont la valeur excède 1 500 000 francs.
Cette possession, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, la paroisse, et plus tard la commune l’exerçaient pour l’universalité de leurs habitants.La propriété de ces terrains, où se nourrissent des milliers de bestiaux, dont le produit fait vivre un nombre correspondant de laboureurs, et fournit les engrais indispensables à leur culture, a subi, à diverses époques les attaques de la puissance féodale ; mais le Général de la paroisse était sorti victorieux de ces luttes, et comme trophée de sa dernière victoire, nous rapportons un arrêt du parlement de Bretagne du 16 Juin 1717, qui consacre les droits de propriété de l’universalité des habitants.
Il ne serait ni convenable, ni possible, de relater dans le cours de cette humble supplique, tous les actes, tous les monuments administratifs et judiciaires…
Les choses en sont là ! Si le mode de partage auquel on entend procéder était suivi, il en résulterait que les deux tiers de nos pâturages qui constituent l’aisance et le bien être des habitants deviendraient la propriété exclusive de quelques privilégiés en petit nombre, la plupart étrangers à la commune qui ont acquis les biens des anciens vassaux, tandis que l’autre tiers attribué aux habitants se trouverait
presque totalement absorbé par les ventes successives qui ont été faites. Disons le cependant, même parmi les rares représentants des anciens vassaux, le plus grand nombre comprend l’iniquité de ce mode de partage, et prenant en considération l’intérêt général de la commune, est prêt à consentir à un partage égal entre tous les habitants investis du droit de communer.
Dans cette position, Sire, et en présence de la décision du conseil d’État de l’an XII, en présence des jugements, de l’arrêt du 26 février 1823, des faits qui de temps immémorial ont assuré aux habitants de St Julien la jouissance disons mieux la propriété de leurs communs, d’une part, et de l’autre en présence de l’arrêt de la cour de Rennes du 19 juillet 1850, nous supplions votre Majesté, de vouloir bien inviter son Excellence le Ministre de la justice à se faire rendre compte de cette affaire, à l’examiner avec une attention religieuse, et à la suite de cet examen à appeler la juridiction compétente à prononcer sur les contradictions et le conflit qui s’élève entre les différentes décisions administratives et judiciaires, qui ont prononcé d’une manière sur les droits des suppliants.
De votre décision, Sire, dépendra la prospérité ou la ruine d’une commune qui s’est toujours montrée fidèle et dévouée au gouvernement de votre Majesté.
Dans cette attente, les soussignés osent se dire de votre Majesté les humbles et fidèles sujets.
St-Julien-de-Concelles Le … Juin 1864
Ont signé (Pétition du 16 Juillet) Praud, Malécot, Godefroy, Grimaud, Charron, Harrouet, Bonhomme, Goffrion, Juffrion, Y. Paviot, pour Bertrand d.c.d. Mabileau. Les délégués pour tous leurs co-intéressés Malécot père, village les Hauts Chaussin en St Julien de Concelles
« Une première réponse à cette lettre est donnée aux habitants de Saint Julien le mois suivant…. Une nouvelle date est fixée pour la vente. Les acheteurs sont convoqués en l’étude de M. Le Sant le 12 juillet 1864. Mais ce jour-là l’autorité a pris toutes les précautions pour prévenir une nouvelle révolte. Dès le matin, un escadron de cavalerie fait son entrée dans le bourg de Saint-Julien au son du clairon. Une compagnie de fantassins arrive quelques instants après, la balle au fusil ».
Antoine intervient pour ajouter juste « je me souviens bien, les fantassins ont même campé au village de la Guilbaudière juste à côté de chez nous ».
« Eh oui, des patrouilles parcourent à tout instant les rues du bourg. Un commandant de gendarmerie garde même la grille du notaire avec plusieurs brigades. A l’heure fixée pour la vente, M. Brevet syndic et M. Reneaume avoué, accompagnés du secrétaire général de la préfecture, font leur entrée dans l’étude du notaire. En présence d’un pareil déploiement de forces, la vente a lieu sans résistance et la troupe peut rentrer à Nantes le soir même…[6] »
Et Pierre Hivert de conclure :« Voilà Antoine, ce que je peux te dire de cette affaire en espérant que le raison et le calme reviennent dans notre commune dans les prochains mois. »
Le souhait de Pierre ne se réalisera pas. Entre les vassaux et la commune, une nouvelle répartition des lots des terrains vient d’être déposée au greffe du tribunal, le 26 août 1865.
Une insurrection nouvelle menace d’éclater dans la Vallée : « Comment ? dit-on, la commune ne reçoit que 50 hectares sur 700 et les vassaux, pour la plupart étrangers à notre pays, vont recevoir des parts qui atteignent jusqu’à 14 hectares d’étendue ? Jamais nous ne supporterons un pareil vol de nos Communs !
Le 15 septembre suivant, 608 habitants de Saint-Julien, solidarisant leurs intérêts, se font représenter devant le tribunal de Nantes par 9 délégués, dont à leur tête Jean HIVERT de la Chebuette, François PRAUD de Bel air, Mathurin GRIMAUD d’Embreil et François CHARON[7] de la Gutellerie, les rédacteurs de la lettre envoyée à l’empereur. Ceux-ci, se servant du ministère de M. Gatineau, avoué, formulent des contredits au procès-verbal pour l’attribution des lots. Les vassaux, de leur côté, demandent au tribunal une fin de non-recevoir pour tous ces contredits, l’affaire étant jugée. Ils réclament même de ceux qui les poursuivent une somme de 60.000 francs pour le dommage qui résultera du retard apporté au partage[8].

Extrait du procès des communs, Bulletin de la Cour impériale [« puis » de la Cour d’appel] de Rennes et des tribunaux du ressort France. Cour d’appel de Rennes
Le dimanche 1er octobre 1865 c’est l’installation du nouveau conseil municipal. Georges COLOMBEL a été nommé maire de la commune par le préfet avec à ses côtés JOUBERT et BOIREAU adjoints.

Cette nomination préfectorale a été mal vécue par beaucoup de membres du Conseil car le père du maire n’est autre qu’Evariste COLOMBEL, l’avocat des anciens maires Brevet et Pinard partisans des vassaux.
Pendant plus d’un an, il n’est pas question des communs à l’ordre du jour en conseil municipal, on évoque le tracé du chemin, de l’entretien des voies et chemins, de la foire, de l’école et l’instruction de l’aide aux indigents…
Puis le 27 août 1866, la Cour de Rennes examine à son tour le contredit présenté d’abord au tribunal de Nantes. Confirmant le jugement porté par ce tribunal, elle condamne les appelants à une amende de 50 francs et aux frais du procès. C’est la dernière sentence portée par les tribunaux sur cette grave et intéressante question des Communs de Saint-Julien. La cause était terminée et définitivement jugée.
Cette décision est très mal vécue par la majorité des concellois et Georges COLOMBEL est contraint de démissionner.
Avec la nomination de Jean-Marie MENARD le calme revient[9]. Le revirement du Conseil municipal est complet puisqu’il décide, à l’unanimité moins une voix, de poursuivre les anciens maires qu’il accuse d’avoir trahi les intérêts de la commune. A cette époque, l’affaire des Communs occupe presque toutes les séances[10].
[1] Auguste Hivert, notre arrière grand père, le père de Clément
[2] En 1852 Louis Napoléon Bonaparte ne modifie pas le système d’élection des conseillers mais c’est à nouveau le Préfet qui désigne le maire et les adjoints et pas forcément parmi les conseillers élus.
[3] Habitants de la vallée
[4] RP Pétard Saint-Julien-de-Concelles. Histoire d’une Paroisse Bretonne Avant et Depuis 1789, page 295
[5] La Cour de Rennes de 15 juillet 1850annule la décision du tribunal de Nantes Il a été dit Le privilège invoqué par la commune ne lui parait pas suffisamment prouvé : c’est pour cela qu’elle applique aux Communs de Saint-Julien la loi générale et les attribue aux vassaux!
[6] D’après RP Pétard Saint-Julien-de-Concelles. Histoire d’une Paroisse Bretonne Avant et Depuis 1789, page 299
[7] Père de François CHARON qui épousera Mathurine VINET, veuve de Jean Pétard décédé en 1865, voir début article et article à venir.
[8] D’après RP Pétard
[9] Sur le plan national en janvier 1867, Napoléon III annonce ce qu’il appelle des réformes utiles
et une extension nouvelle des libertés publiques
.
[10] G. Vivant, St Julien de Concelles et son passé, p 182