1870. Le second mariage de Mathurine
Ce dimanche 20 février 1870, c’est la saint Aimée, un jour nouveau pour Mathurine. Il y a presque cinq ans qu’elle a perdu Jean, son mari, et depuis on l’appelle la veuve Pétard. A quarante ans, même avec son commis, Pierre BRELET, elle ne peut pas faire face à l’ensemble des travaux des champs. Aussi quand François Charon, lointain cousin, lui a demandé sa main, elle n’a pas hésité le sachant bon et travailleur. Elle a pensé également que celui-ci s’entendrait bien avec son enfant unique Jean-Marie, âgé alors d’à peine huit ans.

A la mairie de St Julien, seuls les proches sont présents. A côté de François se tient sa mère Henriette Préaudeau et son père François Charon, respecté de tous à Saint Julien, conseiller municipal défenseur de la commune dans l’affaire des communs.

A une heure de l’après-midi dans la salle du conseil le maire Jean-Marie Ménard prend la parole… « Comparaissent ce jour en notre maison François Charon, agé de 28 ans, laboureur célibataire, domicilié chez son père et sa mère à la Gutellerie… et Mathurine Vinet âgée de 40ans, cultivatrice, née à la Chapelle Basse Mer, domiciliée à la Guilbaudière en cette commune , fille majeure de feu François Vinet décédé en cette commune le 26 juillet 1857 et de Mathurine Charon, cultivatrice ci-présente et consentante ».
En regardant sa mère âgée de plus de 70 ans Mathurine ne peut s’empêcher de sourire. Il y a plus a presque 45 ans le mariage de celle-ci a été repoussé de quelques mois. En effet sa mère à l’état civil se prénommait « Mathurin ». Il a été dit que son père Jean, tonnelier de son état, prompt à s’enivrer, et son ami Jean Boulet avaient fêté la naissance avant de se rendre à la mairie de la Chapelle Basse Mer.

Le mariage de ses parents prévu au printemps 1825 a été célébré finalement le 18 août 1825 car il fallait attendre le « papier » du tribunal de Nantes qui leur parvint seulement fin juillet.
Le maire poursuit la lecture de l’acte de mariage : « … lesquels nous ont requis de procéder à la célébration du mariage projeté entre eux dont les publications où a été fait devant la principale porte de notre maison commune à savoir le 30 janvier 1870 à midi… »
Mathurine voit en quelques secondes alors son enfance défiler sous ses yeux, avec ses frères François et Louis, d’abord au Praud à La Chapelle Basse-Mer puis leur venue à Saint Julien pour prendre une ferme au début des années 1840 au village du Coteau du chêne avant de le quitter à la mort de son père pour habiter le Port Egaud…

Perdue dans ses pensées Mathurine se reprend pour écouter le maire à nouveau : « Avons demandé au futur époux et à la future épouse, veuve de Jean Pétard, et aux personnes présentes s’il existait un contrat de mariage passé entre les parties »…
Voyant l’émotion soudaine de Mathurine, le maire arrête quelque temps son propos. La maladie et le décès de son conjoint furent pour elle une douloureuse épreuve. La disparition de son frère Louis le 4 novembre 1868 en fut une autre d’autant qu’elle ne s’entend pas vraiment avec son autre frère François, d’abord épicier au Landreau puis désormais roulier à Nantes, absent lors de la cérémonie du jour comme aux autres fêtes de famille … mais toujours présent aux moments des partages patrimoniaux, Mathurine s’occupant désormais seule de sa mère.

.Mathurine apprendra plus tard que son frère François fut lors de cette année 1870 emprisonné quelque temps car accusé de vol.

Mathurine sort soudainement de ses pensées quand le maire conclut ses propos en demandant « si l’époux et la future épouse veulent se prendre pour mari et femme ».
François et Mathurine répondent par l’affirmative avant que l’on procède au rituel des signatures des mariés et des témoins. A l’invitation du maire, François Charron et Jean Préaudeau son oncle maternel sabotier au bourg s’approchent alors du registre, suivent ensuite François Pétard, beau-frère de Mathurine et Joseph Maltête, un ses amis de La Chapelle Basse Mer.

Mathurine fait une croix à côté de la signature de son époux. A cet instant elle regarde son fils de 7 ans et demi et qui a commencé l’école l’an dernier. Elle espère au fond d’elle-même qu’elle sera la dernière de la famille à ne savoir ni lire, ni écrire !
D’ailleurs ce jour là en mairie les deux instituteurs, Julien BAGRIN, rédacteur de l’acte aux cotés du maire, et Jean Marie MORICE, sont présents salle de la mairie. En les regardant Mathurine s’est souvenue de sa première visite de l’école.
Jean Marie à l’école communale de St Julien
En août 1869, Mathurine a tenu se rendre au bourg avant la rentrée accompagnée de Jean-Marie. Julien BAGRIN le vieux directeur de l’école les a alors accueillis. Mathurine était un peu impressionnée par cet homme également secrétaire du bureau de bienfaisance, parlant avec des mots choisis, peu en patois : « Jean-Marie sera dans la classe des petits de Monsieur Morice, mon gendre, comme vous le savez ».
Le directeur les a fait rentrer dans une des deux classes de l’école situées au rez-de-chaussée qui jouxtent la mairie avec sa salle du conseil municipal et les archives, la partie haute du bâtiment étant occupée par les logements de l’instituteur et du directeur.
Là, dans la classe du directeur des robustes tables en chêne occupent dans toute sa longueur de la salle avec des bancs attenants. Au mur sont placardés un tableau du système métrique, deux cartes le France et une mappemonde. Devant, à coté de l’estrade surplombée par le tableau noir trône le bureau de l’instituteur et dans le coin se dressent de longues gaules et des verges plus courtes, baguettes servant principalement pour les leçons de lecture au tableau.
Un placard vitré renferme « une série de poids métriques tout neufs » selon les dires du directeur. Puis sur une étagère Julien Bagrin montre une enfilade d’une trentaine de livres : « Il y a quelques années le conseil municipal a bien voulu nous donner 60 francs[1] pour débuter une bibliothèque scolaire. C’est important que les jeunes lisent… toi aussi Jean Marie tu pourras emprunter des livres quand tu pourras lire … Je l’espère avant la fin de l’année scolaire ».

Puis le directeur invite Mathurine et Jean Marie à sortir dans la cour et leur montre le dernier investissement de l’école. Avant dit-il « C’était la cloche de l’église qui rythmait les entrées des enfants, mais ce n’était pas vraiment pratique. Au dernier conseil nous avons obtenu qu’une cloche soit installée à l’école… Jean-Marie tu dois arriver avant qu’elle sonne dès 8 heures le matin. Je ne tolère pas les retardataires ». Mathurine ajoute « De la Guilbaudière tu n’as pas trois kilomètres à faire pour te rendre à l’école, alors n’oblige pas le directeur à utiliser les verges que tu as vu à côté de son bureau si tu te mets en retard ».

Ce dimanche 20 février 1870, lors des traditionnelles salutations qui suivent la cérémonie à la mairie, Mathurine est fière que M. Morice, l’instituteur des petits, vienne la saluer : « Félicitations d’abord pour votre mariage, Madame… mais je dois vous faire un autre compliment, Jean Marie votre fils est attentif en classe et il apprend vite et bien». Puis se tournant vers son beau-père, François CHARON, farouche partisan communal de la scolarisation des jeunes, l’instituteur ajoute : « je tiens également à rendre hommage à votre engagement de Conseiller Municipal au service de notre école et de l’éducation de nos jeunes ».
En effet en cette fin des années 1860, l’affaire des communs et l’école sont des sujets de tension entre les membres du Conseil et les instituteurs qui doivent au fil des années accueillir un nombre croissant de jeunes garçons.
En 1867 d’abord, la loi DURUY[2] ministre de l’instruction publique, arrive en débat au Conseil municipal. Celui-ci apprend par une lettre du préfet que la commune doit se doter d’une école publique pour les filles. Celle-ci peut être une section au sein de l’école communale déjà existante !
Pour l’ensemble des conseillers réunis en conseil le 24 novembre 1867, il est hors de question d’avoir une nouvelle école de filles à côté de l’école « libre » tenue par les sœurs de Gildas et sa supérieure « Marie des cinq plaies ».
Devant le brouhaha ambiant au sein du conseil le secrétaire de séance François Dubois de la Patelière propose de soumettre aux conseillers le texte suivant : “L’école libre des filles de la commune se soumettant aux conditions exigées par l’article de la loi du 10 avril 1867, le Conseil municipal demande à être dispensé par le Conseil Général de la création d’une école communale de filles dont il ne voit ni l’utilité ni la nécessité pour la commune. Le conseil ne voit pas non plus qu’il y ait lieu de créer dans la commune d’autres écoles que celles qui existent en ce moment tant pour les filles que pour les garçons ».
Après débat il est rajouté la phrase suivante : « Le Conseil accepte à l’unanimité les conditions de « traité » présenté par la directrice de l’école des filles et s’engage à donner un franc par mois pour chaque petite fille indigente admise à l’école »
L’année suivante le 31 mars 1868, après plusieurs demandes sans suite faites au Conseil Municipal, Julien Bagrin le directeur de l’école, demande une aide complémentaire pour la caisse de l’école[3] afin de permettre à quelques élèves indigents de suivre les cours, de l’équipement complémentaire et surtout de payer le salaire de l’instituteur adjoint à la hauteur de ce qu’exige la loi…
Cependant pour ce dernier dossier concernant l’instituteur adjoint de la première classe, un an après en conseil municipal du 29 aout 1869, le préfet s’appuyant sur l’article 5 de la loi du 10 avril 1867 invite l’autorité locale à délibérer sur la proposition de fixer à 500 francs annuels le traitement de Monsieur Jean-Marie Morice.
Des voix s’élèvent alors en conseil : « Quoi, il nous faut payer désormais deux instituteurs à des prix indécents ! Ces demandes de toujours plus vont-elles cesser un jour ? ». François Charon[4], réputé pour être un sage fait entendre une autre musique « Nous devons nous réjouir que de plus en plus de jeunes garçons fréquentent cette école grâce à la compétence de nos deux instituteurs qui par ailleurs rendent de nombreux services à la population ».
Plusieurs conseillers ont demandé un vote à bulletin secret. Sur le registre municipal le secrétaire de séance a retranscrit la décision comme suit : « Le vote exprimé a partagé les voix des conseillers présents en deux parties égales. Celle du maire étant prépondérante, elle a déterminé l’admission. »
Fin 1870, l’école revient en débat au Conseil, sous l’impulsion du nouveau maire Th. Gohaud, pour en valider la gratuité comme le préconisait la loi Duruy.

Le conseil vote alors le budget permettant « une gratuité pour les enfants, garçons et filles, ayant atteint l’âge de 7 ans et jusqu’à 12 ans seulement c’est-à-dire 5 ans pendant lesquels d’après l’avis du Conseil les enfants seront plus aptes à profiter des bienfaits de l’instruction ».
Cinq ans plus tard le 30 août 1875, Mathurine François et Jean-Marie qui vient d’obtenir son certificat d’études primaires, se pressent comme bien d’autres à l’école communale de garçons pour saluer celui qui a permis la réussite scolaire de nombre de concellois. Julien Bagrin reçoit juste avant de partir en retraite à nouveau les honneurs de la nation et de la commune.

[1] En 1870, un homme gagne 4,85 FRS Germinal par Jour (environ 0,03 €) et 3,05 FRS pour la femme (0,02 €)
[2] Précurseur de Jules Ferry, Duruy souhaite la gratuité et l’obligation de l’instruction entre 7 et 13 ans, filles et garçons.
[3] Ce sont des cagnottes, composées de cotisations volontaires et de subventions de la commune, destinées à encourager la fréquentation des élèves par des récompenses et à aider les familles les plus pauvres.
[4] Futur beau-père de Mathurine Vinet-Pétard
C’est toujours avec un grand plaisir que nous lisons tous les articles publiés.
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Merci beaucoup Nicole et Daniel. Au plaisir de se revoir bientôt. Amicalement
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