Pierre HIVERT présente ses fromages à l’exposition internationale de Nantes

1904.

Le phare de la Loire du 25 mai 1904

En mai 1904, à juste 49 ans, Pierre HIVERT se dit fier de sa réussite. Depuis plusieurs années avec un sens aigu du contact et du commerce il cherche sans cesse de nouveaux clients pour écouler beurres et fromages confectionnés « au Château » à Saint-Julien. C’est l’objet de sa visite du jour, le 27 mai 1904, à l’exposition internationale de Nantes. Il vient y livrer plusieurs exemplaires de la tomme fromagère concelloise appelé le «  régal des gourmets » pour le concours de l’alimentation qui aura lieu le lendemain.

Désormais, en cette année 1904, cinq de ses huit enfants travaillent avec lui à la fromagerie. Ces nouveaux bras sont venus remplacer Julien et Auguste ROUSSEAU, domestiques et cousins qui y travaillaient depuis plusieurs années. Au début du 20ème siècle Pierre est de plus en plus accaparé par sa mission commerciale et c’est Eugène, l’aîné de ses fils, qui le supplée à la fromagerie, ce qui ne plaît pas forcément toujours à son associé et beau-frère Louis CESBRON.

Malgré le travail auprès ses sept enfants, Clémentine venant de décéder à 17 ans, Marie-Célestine BIRY, la femme de Pierre, continue de participer de près à la vente tenant elle-même un  magasin au « Château ».

L’arrivée du train à Saint Julien au début du siècle a permis de multiplier les débouchés sur Nantes et la production s’est peu à peu développée. Pierre fait désormais souvent la navette une à deux fois par semaine pour y livrer beurres et fromages à quelques restaurants et crémeries partenaires et également au 9 rue des Olivettes où sa fille et son gendre tiennent une épicerie.

Marie HIVERT, la fille aînée de Marie-Célestine et de Pierre a épousé Julien Rousseau, aide-fromager au « Château », il y a 2 ans. Elle avait juste 19 ans. Sur les conseils et quelques appuis financiers du patriarche le couple s’installe dans cette rue populaire et commerçante de Nantes.  La population ouvrière « des Olivettes » s’approvisionne en effet dans ces multiples boutiques du quartier qui compte aussi plusieurs filatures, tanneries, manufactures[1]… et surtout les grandes biscuiteries en développement : la « Biscuterie nantaise » de la place François II et la maison « Lefèvre-Utile » située près du quai Malakoff. On compte dans cette rue cinq épiceries, un teinturier, une cordonnerie, une mercerie, une boulangerie, un salon de coiffure et de nombreux cafés !

BN Carte postale Chapeau Nantes
LU  carte postale Chapeau Nantes

                                                                                                                                                           

Les inondations de Nantes de février 1904

Pierre avait vu juste au niveau de l’implantation commerciale du magasin, pas très loin de la gare de Nantes, au 9 de la rue, face à l’épicerie de la mère GUILLEUX et au café de François BIZET, originaire lui aussi de Saint-Julien. En revanche la proximité de la Loire sera un handicap… les averses torrentielles qui se sont abattues sur Nantes ont provoqué une crue de la Loire le 11 février dernier.

Carte postale de la rue des olivettes de Nantes avec le café BIZET et l’épicerie GUILLEUX face au Commerce ROUSSEAU-HIVERT

Le 18 février, on circulait en bateau dans l’ensemble de la rue des Olivettes du quai de la maison Rouge au quai Magellan. Julien et Marie ont dû monter dans les étages tous les produits de la crémerie et établir des appontements avec leurs voisins pour rentrer chez eux ».

Plan de la ville de Nantes 1900, dressé par Justin Vincent – Archives de la ville de Nantes

Lors de ces inondations, de nombreux voisins se retrouvent pendant l’ensemble de ce mois de février en chômage, artisans et usines étant contraints de fermer. De plus les commerces ont beaucoup de mal à être approvisionnés Pierre n’a pas pu se rendre rue des Olivettes durant tout le mois de février de cette année.

« Un mauvais épisode à oublier » pense Pierre en se rendant sur le site du « champ de mars » au concours d’exposition de l’exposition de Nantes.


Participation à l’exposition internationale de Nantes de mai 1904

Affiche exposition de 1904 – archives municipales de Nantes

Pierre a pris soin de préparer la veille au soir dans sa malle d’osier plusieurs tommes de fromages bien affinés. Levé tôt il a pris le premier train de 7h03 à la gare de Saint Julien ce vendredi 27 mai. Pour une fois le train n’avait pas de retard et Pierre a pu parcourir rapidement à pied le kilomètre qui sépare la gare d’Anjou du « Champ de mars » et y retrouver son gendre. Julien Rousseau est bien présent à l’heure dite, sous la grande affiche de l’entrée de la rue Carnot, muni de deux cartes officielles blanches, sésames qui leur permettront de visiter l’ensemble de l’exposition.

Dès l’entrée Pierre achète le journal de l’exposition qui contient une carte des lieux car plusieurs amis lui ont dit que l’endroit était vaste et qu’il était facile de s’y perdre… Les deux hommes reconnaissent facilement le palais de l’alimentation central, lieu de leur rendez-vous avec le commissaire du concours de d’alimentation. Après lui avoir remis les fromages, Pierre et Julien prennent le temps de déambuler ensemble dans ce lieu coloré et parfumé…  

Journal Nantes exposition n°2 du 21 mai 1904– BNF Paris – et le palais de l’alimentation – Archives Nantes

Un nombre important d’exposants nantais sont représentés comme le relate le journal de l’exposition.

Journal Nantes-Exposition  n°3 du 28 mai 1904– BNF Paris

Dans ce salon, tous deux observent impressionnés la grande vitrine de conserves des établissements « Lechat-Philippe et Benoît » installés à la « ville en bois »  à Nantes-Chantenay. Celle-ci renferme de nombreux bocaux de fruits, légumes et viande  mais surtout les conserves de poissons de leurs usines des Sables-d’Olonne, de Belle-Ile et du Croisic, spécialité de la maison.

A côté, la fourchette géante de l’entreprise Amieux prône l’innovation avec l’introduction de la mini fourchette dans les conserves qui facilite grandement la consommation des boites de conserve, au travail , dans le train , en pique-nique …

Fourchette Amieux début 1900 – kapricorn8.blogspot.com

Affiche Pt Navire début 1900 – kapricorn8.blogspot.com

Plus loin le regard de Pierre est attiré par des grands  pains de sucre blanc de la raffinerie  Corhumel, maison qui « emploie  exclusivement du sucre de canne, infiniment supérieur au sucre de betterave, moins sucrant et moins agréable au goût »  dit la publicité affichée. A côté la maison Billard présente sa production de Tapioca dans des toiles de jute et boites de couleur différentes suivant leur origine : La Réunion, Jamaïque ou Brésil et leur marque de référence « petit navire ».

Pierre salue  au passage le directeur de l’association syndicale des salines de l’Ouest, qui tient également un stand. Il a parfois affaire à lui pour ses commandes de sel  au siège social de la Petite Hollande à Nantes pour la fabrication du fromage. Celui-ci lui raconte que « la coopérative qu’il représente compte désormais plus de 2000 producteurs répartis dans tout l’Ouest  depuis le Morbihan jusqu’aux rives de la Seudre soit une production de 100 000 tonnes par an ».

Plus loin au vu de l’affluence à son comptoir de vente « la chocolaterie et confiturerie de la Loire » connaît un succès certain. D’ailleurs le journal de l’exposition que Pierre vient d’acheter en fait l’éloge.

Journal Nantes-Exposition 1904– BNF Paris

Même chose pour la « Biscuiterie Nantaise » qui y présente le succès de la marque, le petit beurre mais dans ses nombreux déclinaisons, avec désormais de nouveautés comme les gaufrettes vanille et aux fruits, ainsi que l’observe Pierre en feuilletant leur catalogue.

 
Catalogue BN début 1900 – kapricorn8.blogspot.com

« Surtout ne loupe pas le village noir ! » a dit François Bizet, le tenancier de la rue des Olivettes à Julien. A proximité du Water toboggan, Pierre et Julien déambulent à travers les cases découvrant cette civilisation africaine qui leur semble étrange avec tour à tour des femmes préparant à manger, des artisans en plein travail, un tisserand, des ouvriers du cuir. Plus loin ils assistent à des danses et à un combat bien étrange de lutte sénégalaise.

Au « Café du Village Noir » les photographies s’étalent. Chaque stand de ce « Village Noir » fait en effet  l’objet d’une carte postale.

 Pierre n’hésite pas à en acheter plusieurs dont une qu’il expédie à son frère Auguste du Port-Egaud à Saint-Julien.

Carte postale Nozais 1904 – Village noir – Nantes

Le lendemain, resté sur Nantes pour la nuit avant de rejoindre Saint-Julien, Pierre n’hésite pas à acheter le journal du jour pour en savoir plus sur ce fameux village noir[2].

Le phare de la Loire du 28 mai 1904, Retro news -BNF

Ensuite, abonné au journal « Nantes exposition » pour connaître entre autres les résultats du concours culinaire, Pierre suivra au fil des semaines les événements du village noir, mariage, baptême du bébé « négrillon », prière à la mosquée, fête de la Korité…

Extraits du journal Nantes-Exposition de 1904 – BFN Paris

Trois semaines après son passage à Nantes, Pierre n’a toujours pas les résultats du concours culinaire. Le 18 juin 1904,  le journal de Nantes-Exposition n’ayant donné aucune nouvelle des lauréats.  C’est en se déplaçant sur place qu’il découvre la bonne nouvelle. La fromagerie de Saint-Julien reçoit la médaille d’or pour son fromage.

Avec l’autre prix obtenu à la foire de Bordeaux en fin d’année 1904, Pierre tient à consolider la marque concelloise auprès des autorités commerciales départementales.

Marque de fabrique n°2420, « vrai régal des gourmets » PH marque déposée le 18 mars 1905 au tribunal de commerce de Nantes- Archives départementales de Loire-Atlantique (21 U 725)

A suivre


[1] “Lorsque la rue des Olivettes était noire de monde” Supplément à Nantes-passion, décembre 2005 

[2] À Paris, entre 1877 et 1912, une trentaine « d’exhibitions ethnologiques » auront lieu au Jardin zoologique d’acclimatation. La province suit. C’est dans cette dynamique que se structurent, très rapidement, les troupes itinérantes, passant d’une exposition à une foire régionale, que se popularisent les célèbres Villages Noirs (ou Sénégalais).  Ces zoos humains sont mêmes acceptées par la Société d’anthropologie et par la quasi-totalité de la communauté scientifique française. Peu d’hommes politiques et de journalistes y trouveront à redire et ce malgré des conditions sanitaires et de parcage souvent catastrophiques. Nantes étonnante de Stéphane Pajot

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