La famille LAINE du Mans en visite à la Guilbaudière

1900.

« Pas de problème M. Lainé, Gabrielle, les enfants et moi serons ravis de vous recevoir avec Madame et votre fille chez nous, à Saint-Julien lundi prochain ». Ce 16 août 1900, Jean-Marie s’empresse de répondre positivement à la lettre de son ami reçue le jour même qui s’exprimait en ces termes: « Mon cher ami nous devons être de passage à Nantes dimanche prochain 19 en faisant route sur Pornichet. Nous comptons vous consacrer la journée de lundi 20. Si vous ne vous pouvez nous recevoir à la Guilbaudière ce jour-là, dites-le-moi que notre visite ne vous gêne en rien, nous la remettrons au retour soit une dizaine de jours après  ».

Et Julien d’ajouter : « J’ai trop à me faire pardonner ou tout au moins à me faire excuser.  Aussi avons-nous décidé mon épouse Sophie et moi que nous irions nous-mêmes vous demander une absolution que vous ne refuserez pas j’espère ».

Jean Marie se souvient, en effet, de cette brouille, trois ans plus tôt, Julien n’ayant pas répondu pendant plus d’un an et demi à ses onze lettres envoyées. Regrettant son mutisme et son dédain à la mi 1897, Jean-Marie lui adressa alors un ultime message : « Quel changement dans votre existence mon cher LAINE, quelle différence entre l’homme d’aujourd’hui et l’ami des Pyrénées, alors fulminant contre l’injustice des hommes et contre le peu d’élasticité de la discipline militaire, contre l’inanité de certaines doctrines. Cet affaiblissement ou plutôt cet éloignement, je l’avais toujours prévu malgré les promesses contraires et si nos relations doivent diminuer encore il n’y aura rien d’amer, et pour ma part, il sera impossible de me reporter sans émotion à ces années si éloignées déjà. Je suis coupable d’avoir parlé irrévérencieusement de nos différences de situation, c’est vrai mais nous le savions, et nous l’avions admis ».

Piqué à vif Julien lui a répondu le mois suivant qu’il avait honte et des remords mais qu’il refusait de mettre un terme à leur relation « depuis cette chambre de caserne où nous échangeâmes cette première communion du regard et du cœur, point de départ de notre inaltérable amitié… Celle-ci d’ailleurs, et nous l’avons admis, n’est-elle pas faite tout entière de cette différence ? »

Pour s’excuser de son mutisme Julien évoque la fausse couche de sa femme, un travail harassant, la gestion de ses parents âgés venus au Mans… : « Aujourd’hui mon cher ami je me suis fait, comme vous, une famille. Je suis devenu propriétaire. Je suis aux prises avec la concurrence commerciale et les bassesses de chaque jour mais j’ai conservé intacte cette liberté précieuse de savoir s’extraire du milieu ambiant pour changer le monde. Votre imagination vous a quelque peu égaré mon cher Jean-Marie lorsqu’elle me représentait consacrant mes journées au devoir et les soirées aux plaisirs même si parfois je prends part à des distractions que nous offre notre grande ville (théâtre, concerts, conférences) … »

Laboratoire de pharmacie au Mans

Plus tard début janvier 1899 c’est au tour de Julien d’être inquiet du mutisme de son ami « J’ai été et suis encore même beaucoup trop négligent, pour avoir le droit de récriminer et de me plaindre de votre silence mais comme c’est la première fois que vous laissez passer le jour de l’an sans vous rappeler à notre souvenir, et que vous n’avez même pas répondu à mon petit mot je m’en étonne et je m’en inquiète ! À plusieurs reprises j’ai cru voir dans vos lettres que votre santé n’était pas toujours très bonne. Se serait-elle ébranlée davantage ? Et serait-ce là le motif d’un silence que je commence à trouver étrange ! Calmez, je vous prie, mon inquiétude ».

Ce que Jean Marie s’emploiera à faire dès réception du courrier.

Puis au mois de mars une étrange lettre de la famille LAINE arrive à la Guilbaudière. Cette fois-ci, elle est signée Marie LAINE qui annonce à Gabrielle et Jean-Marie le déménagement de leur officine et sa quête d’une « fille de maison :« Depuis 2 mois nous avons émigré au 1, place de la Croix d’Or à quelques centaines de mètres de la rue Montoise et depuis je suis au milieu du désordre que l’absence complète de personnel ne me permet pas d’achever…Le domestique se fait ici de plus en plus rare surtout la domesticité convenable. J’ai cherché partout j’ai demandé partout amis, connaissances, aucun n’a plus m’indiquer personne de convenable et de sûr… La Bretagne est une pépinière encore féconde parait-il en bons serviteurs ; beaucoup émigrent dans nos villes… ». 

Extraits de la lettre de Marie Lainé du 16 mars 1900

« Dans vos relations surtout de Madame Pétard ou de vos amis de Saint-Julien de Concelles y a-t-il quelques jeunes personnes désirant se placer en maison bourgeoise et connaissant un peu le service ? Je dis un peu, car nous ne sommes pas difficiles et nous n’avons pas un train de maison bien compliqué…Merci d’avance cher Monsieur Pétard et pardon de venir vous importuner avec de semblables histoires mais j’ai pensé que je pourrais m’adresser à celui que Julien me dit être l’ami de la première heure, l’ami de toujours, fidèle, dont j’entends souvent parler ».

La pharmacie Lainé-Poitevin, 1 place de la Croix d’or au Mans en 1900 – Archives CD72

La famille LAINE confirme sa venue par une lettre datée du samedi soir 18 août… au milieu des paquets et des malles et du brouhaha du départ…

Horaires de train, le phare de la Loire du 18 avril 1900 – Retro news- BNF – Carte de JL du 18 août 1900

« … et nous prendrons lundi matin à 9h50 le train nous déposera à Saint-Julien de Concelles à 10h43 nous espérons vous y trouver à la gare avec vos enfants pour nous indiquer le chemin de la Guilbaudière.  Vous l’avez dit mon cher ami ce sera jour de fête et ce n’est pas sans émotion que je vais vous revoir ».

Comme annoncé le lundi matin la famille LAINE prend le train à la petite « gare d’Anjou » à proximité de l’imposante  la « gare d’Orléans ». Quittant progressivement Nantes, la ligne ferroviaire devient indépendante après le passage du pont de la Vendée et rejoint Saint Sébastien, puis gagne doucement avec quelques courbes Basse-Goulaine, le village d’Embreil et enfin la gare de St-Julien après une heure de voyage.

Ce lundi 20, il fait bien chaud et Jean-Marie a décidé de seller le cheval avec la charrette. Toute la famille est bien là au rendez-vous à la gare pour accueillir à l’heure dite la famille LAINE. Les retrouvailles sont empreintes d’émotion dans cette gare toute neuve. La famille LAINE est invitée à monter sur la charrette et le convoi parcourt fièrement l’avenue de la gare « longue de 400 mètres » précise Jean-Marie à Julien qui ajoute « que le conseil municipal a décidé d’y planter de chaque côté des tilleuls argentés ce qui donne à cette avenue une belle perspective ».  

Carte postale du boulevard de la gare de St-Julien-de-Concelles – Archives familiales

Rendus à la Guilbaudière adultes et enfants s’échangent quelques cadeaux. Du haut de ses cinq ans Sophie Lainé est heureuse de tendre à Gabrielle, 6 ans, une poupée et remet à Jean Marie, 3 ans, une petite caisse contenant des soldats de plomb. Jean-Marie MORICE accompagné de son épouse, ancien instituteur et témoin du mariage de Gabrielle et Jean-Marie sont également de la fête. Tous dégustent le fastueux déjeuner concocté par Gabrielle et  Marie BAGRIN, la fille de maison.

Quelques jours ensuite une carte postale arrive de l’hôtel Goutte de Pornichet ….

Carte postale de Julien LAINE du 4 septembre 1900

Puis le mois suivant Julien leur transmet un petit message : « Depuis 8 jours passés nous avons réintégré la place de la Croix d’Or et repris le collier de la vie ordinaire. Tout s’est bien passé et nous apporterons un si bon souvenir de Pornichet qu’il nous reverra sans doute. Je n’ai pas besoin de vous dire aussi mon cher ami combien doux  a été pour moi notre court séjour dans votre retraite de la Guilbaudière. Maintenant nous évoquons votre souvenir c’est tout ce petit coin calme et tranquille toute votre vie de paix que nous revoyons… Et puis aussi mon bon ami maintenant nous nous connaissons tous nous espérons bien du reste ne pas nous en tenir là. Vous d’abord, n’est-ce pas ? Viendrez-vous un jour faire connaissance avec la pharmacie de La Croix d’Or… Saint-Julien-de-Concelles est si près de Nantes désormais avec le chemin de fer qui ne déraille pas toujours ! ».

Cette anecdote fait sourire Jean-Marie, les hommes ayant évoqué lors de leur passage à la Guilbaudière la mise en service de la ligne il y a tout juste un an, qui facilite les voyages vers Nantes mais aussi le malheureux accident de mars 1900 et surtout la façon dont le journaliste du « Phare de la Loire » a relaté l’événement.

Plus tard en fin d’année, Jean-Marie fait part à son ami Julien de son découragement, sa fatigue persistante liée à un début de tuberculose, selon le vieux docteur LE CERF, qui se veut tout de même rassurant sur une guérison possible…

Le 14 décembre, le pharmacien du Mans lui répond aussitôt « Votre lettre m’est arrivée samedi matin sur le coup de 8h30 comme je passais mon manteau pour accompagner Sophie jusqu’à la classe… Comme je revenais solitaire sous les grands arbres dépouillés et jaunis de notre belle promenade des Jacobins j’ai brisé l’enveloppe pour causer mentalement avec vous. Vous devinez facilement quelle impression m’a laissé sa lecture. Tout mélancolique, tout triste j’ai regagné l’officine évoquant dans mon esprit bien des souvenirs n’osant à peine songer aux jours à venir…Vous n’avez pas le droit d’être plus pessimiste que votre médecin. Vous n’avez pas le droit de vous laisser aller. Je vous prie donc mon cher ami : debout et luttez ! Vous savez aussi bien que moi, la force morale fait des miracles et sait vaincre parfois la décrépitude physique ».

« L’arsenal pharmaceutique de Saint-Julien-de-Concelles ne doit pas être bien garni. Si vous avez besoin de quoi que ce soit ne craignez pas de faire appel au pharmacien de la Croix d’Or. Je pourrais facilement vous expédier en gare de Saint-Julien, huile de foie de morue, préparation tonique, ampoule de cacodylate de soude, médicament très employé en ce moment que je vois tous les jours produire d’excellents effets dans ma clientèle… Sophie est heureuse de savoir que la poupée et les soldats des petits amis de Saint-Julien sont toujours là pour leur rappeler le souvenir de leur petite amie du Mans. Elle parle souvent d’eux et aime bien le beurre depuis qu’elle a mangé celui de Madame Pétard. Mon épouse me charge de transmettre son affectueux souvenir à votre épouse. Elle prend bien part à tous les tracas qu’elle a dû avoir pour vous mais comme moi elle veut espérer que c’est une affaire finie maintenant ».

La semaine d’après, Jean-Marie se rend à la Salmonière au cabinet du docteur LE CERF qui suit depuis longtemps l’ensemble de la famille. La conversation roule sur la maladie de Jean-Marie qui lui dit  : « J’ai lu attentivement votre opuscule, par ailleurs très intéressant, sur l’état sanitaire et médical de la commune paru il y a quelques années. Vous évoquez à un moment l’hypothèse de la transmission intergénérationnelle de la tuberculose. Qu’en est-il exactement car mon père est semble-t-il mort prématurément de la même maladie à 40 ans ? »

« Cher Monsieur Pétard je suis heureux de voir que certains laboureurs s’intéressent à mes travaux, c’est rare !  lui répond Jules LECERF. « Dans mes recherches je n’ai pas pu prouver l’hérédité de cette maladie même si certaines familles concellloises sont plus atteintes que d’autres par cette pandémie ».

Etude démographique sur la commune de Saint-Julien-de-Concelles- Gazette médicale de Nantes 1897- Docteur LECERF[1]

Après avoir consulté Jean-Marie, le médecin donne son accord pour la transmission de médicaments proposés par le pharmacien du Mans. Un colis arrive en gare de Saint Julien dès les premiers jours de janvier 1901.

A suivre


Arbre généalogique et recensement de 1901

Recensement 1901 St Julien de Concelles- La Guilbaudière – Archives départementales de Loire-Atlantique

Aujourd’hui

Au Mans, la place de la Croix d’or s’appelle aujourd’hui la place Georges Bouttié. Seul le nom de la charcuterie locale nous renvoie au début du siècle dernier.

La pharmacie n’existe plus. Le numéro 1 de la place a hébergé dernièrement une banque puis un magasin de téléphonie.

Voici le 31 de la rue Montoise aujourd’hui, siège de l’ancienne pharmacie de la famille Lainé-Poitevin. Les carreaux émaillés à l’effigie du Mont-St-Michel de cette rue nous rappellent l’histoire de celle-ci située sur le passage du chemin de pèlerinage du Mont-St-Michel  à Compostelle….

… chemin que nous avons emprunté en juin dernier avec quelques amis pour faire ce pèlerinage de Montabon au Mont-St-Michel en passant par Le Mans, soit 275 km à pied.  


[1] Merci à Brigitte et Yves RACINE pour la transmission de cet intéressant document.

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