1882.
L’hiver n’en finit pas en ce mois de mars 1882 et le stock de bois commence à s’épuiser car il faut sans arrêt alimenter la cheminée de la ferme du Port-Egaud. Pierre est venu s’installer ici il y a désormais neuf ans, dans cette propriété isolée mais plus cossue et avec un logement moins délabré que celui du Chêne, distant de 300 mètres.

Il y vit désormais avec Jeanne Richard, sa seconde femme et Marie née il y a 25 ans de son premier mariage avec Marie Rousseau, ainsi qu’Auguste âgé de 18 ans.

Pierre, l’aîné de la famille a 27 ans et vient de se marier au printemps dernier. Au retour de son service national de trois années, en septembre 1880, il a bien senti que son demi-frère Auguste avait désormais pris toute sa place sur l’exploitation à coté de son père vieillissant et qu’il fallait qu’il trouve au plus tôt l’âme sœur pour fonder une famille et quitter le Port-Egaud.
Le choix de Pierre-fils étonne son entourage : « Quelle idée de s’être amouraché d’une jeune fille de la Loire ? Certes, c’est une BIRY, comme sa grand-mère maternelle mais est ce bien raisonnable d’aller vivre dans une île où l’on accède seulement par bateau ? Va t-il vraiment s’entendre avec son beau-père Auguste BIRY réputé pour être solitaire et quelque peu bourru ?»
L’an 1881, le 12 juin à 2 heures du soir, par devant nous, Michel, Auguste, Benoît DELAUNAY, maire et officier de l’état-civil de la commune de Saint-Julien de Concelles, canton du Loroux-Bottereau, arrondissement de Nantes, département de la Loire Inférieure, sont comparus en notre maison commune, dont les portes ont été ouvertes au public Pierre HIVERT, cultivateur, âgé de 26 ans, né en cette commune le 28 février 1855, y domicilié avec son père au Port Gaud, célibataire, majeur, fils de Pierre HIVERT, cultivateur, présent et consentant, ainsi qu’il résulte de sa déclaration verbale, et de feue Marie ROUSSEAU, son épouse, décédée en cette commune le 26 janvier 1861. Et Marie, Clémentine BIRY, sans profession, âgée de 18 ans, née en cette commune le 28 juillet 1862, y domiciliée avec ses père et mère à l’Ile Arrouix, célibataire, mineure, fille de Auguste BIRY et de Clémentine BERTEAU, son épouse, cultivateurs, ci-présents et consentant, ainsi qu’il résulte de leur déclaration verbale. Lesquels comparants nous ont requis de procéder à la célébration du mariage projeté entre eux, et dont les publications ont été faites à la principale porte de notre maison commune, savoir : la première le dimanche 29 mai 1881, à l’heure de midi et la seconde, le dimanche 5 du mois de juin de la même année, à l’heure de midi. Les comparants, interpellés par nous, nous ont déclaré qu’il n’existait pas de contrat de mariage. Aucune opposition au dit mariage ne nous ayant été signifiée, faisant droit à leur réquisition après avoir donné lecture de toutes les pièces ci-dessus mentionnées et du chapitre VI du titre du code civil, intitulé du mariage, nous avons demandé au futur époux et à la future épouse s’ils veulent se prendre pour mari et pour femme. Chacun d’eux ayant répondu séparément et affirmativement, nous déclarons au nom de la loi que Pierre HIVERT et Marie-Clémentine BIRY sont unis par le mariage, de quoi nous avons dressé acte en présence de Pierre VIVANT, âgé de 63 ans, cultivateur, demeurant au Chêne en cette commune, oncle du coté paternel de l’époux, de Mathurin VIVANT, âgé de 53 ans, cultivateur, demeurant au Haut Village du Chêne en cette commune, oncle du coté maternel de l’époux, de Jean BIRY, âgé de 82 ans, cultivateur, demeurant à Peigne Cul en cette commune, aïeul paternel de l’épouse et de Pierre BERTEAU, âgé de 76 ans, cultivateur, demeurant à l’Ile Arrouix en cette commune, aïeul maternel de l’épouse. Lecture faite du présent acte aux comparants et témoins, nous l’avons signé avec eux, excepté le père l’épouse, Pierre VIVANT, Jean BIRY et Pierre BERTEAU, qui ont affirmé ne le savoir faire, de ce enquis, les dits jour, mois et an.Retranscription de l’acte de mariage entre Pierre HIVERT et Marie Clémentine BIRY
Retranscription de l’acte de mariage entre Pierre HIVERT et Marie Clémentine BIRY, Sources: Actes – SJC – 1881 – Archives départementales 44 –

Par ce froid de mars 1882, Pierre reçoit la visite de Clément Ménard, le fils de René, que Pierre fréquente régulièrement au café après l’office du dimanche … Celui-ci vient timidement lui demander la main de sa fille. Jeanne n’a pu s’empêcher de dire à Pierre que « c’est un beau parti, ses parents sont laboureurs au « Château » et en plus propriétaires de nombreuses parcelles qu’ils exploitent !».
Les familles se sont vite accordées ensuite pour que les noces se déroulent l’été suivant.

A bientôt soixante ans, Pierre est devenu un homme respecté à St Julien. Membre du Conseil de fabrique puis du Conseil municipal, il vient de se retirer de l’ensemble de ses engagements.
Assidu à l’office religieux du dimanche matin avec Jeanne sa femme, il désapprouve certains de ses camarades qui passent ce moment à faire la tournée des cafés de la place de l’église. Cependant Pierre est un peu dubitatif sur les histoires de « vie éternelle » les théories sur le paradis et l’enfer assénés par les prêtres depuis son enfance. Depuis son deuxième mariage Il a délaissé la confession, constatant que cette pratique ne rendait pas meilleurs ceux, et en particulier certaines commères, qui la pratiquait assidument.
Travailler dur, se comporter honnêtement, apporter aide et appui à ses proches, s’efforcer de rendre service, soutenir les personnes dans la misère et dans la peine, telle est la ligne de conduite que Pierre s’est donnée. Il se confie parfois à Prudent TORELLE, le curé, « sur ses doutes » lorsque celui-ci vient déjeuner au Port-Egaud; « je crois tout de même dans l’existence d’un être suprême qui règle le cours des saisons, nous envoie de la pluie ou soleil mais aussi hélas gel et grêle » lui affirme Pierre.
Pour cette raison, comme un grand nombre de concellois, Pierre, est au fil des saisons de toutes les cérémonies où le succès des cultures est en jeu. Pas question pour lui, Jeanne et ses enfants de ne pas participer à la fête des Rogations, à la Fête-Dieu, aux Rameaux… avec une grosse touffe de buis dont Jeanne accroche ensuite les branchettes bénites derrière les crucifix de l’ensemble de la maison. Sans compter les fêtes des saints, celle de St Barthélémy, patron de St Julien fin août mais aussi la procession de Saint Marc pour les bienfaits de la terre, la messe de Saint Athanase le préservateur de la grêle qui ruine tout espoir de vendanges…
Par superstition également Pierre ne manque pas d’allumer un cierge quand il tonne fort ! Par habitude Pierre soulève son chapeau en croisant les calvaires des bords de route. De même, en début de repas en bout de table au Port-Egaud, il prend soin de faire une croix sur la miche de pain avant d’en découper de larges tranches…
Au delà de sa notoriété, Pierre est fier également de son patrimoine familial. A l’image de son père il n’a eu de cesse de chercher à devenir propriétaire et chef de ferme indépendant.

Extrait de la matrice cadastrale et du cadastre de 1880 St Julien de Concelles – Etat des propriétés de Pierre HIVERT – Archives départementales de Loire-Atlantique
Cependant ce statut a un revers et Pierre se garde bien d’évoquer avec ses enfants ses soucis financiers. Il n’a pas encore la gestion pleine et entière de cette propriété du Port-Egaud consistant en logement, grange, prés et terres achetés à Jean Mathurin CHARON propriétaire demeurant à la Saulzaie du Guineau le 9 mars 1873. Le solde de 3000 F de la transaction a donné lieu à un prêt du même montant pour lequel Pierre s’est engagé à verser des intérêts sur une base de 5% d’intérêt annuel. N’ayant pas honoré cette échéance au 10 mars 1874, Charon lui demander de lui signer un engagement de sa main.

Il faut dire qu’avec la crise de cette année 1873, l’année ne fut pas bonne au niveau des ventes de cultures, céréales et vins. Pierre eut de la difficulté à payer l’ensemble de ses fournisseurs dont le marchand de grains Guillet… en faillite cette année là comme de nombreuses entreprises.

Fin décembre 1881, même si les intérêts ont été acquittés par Pierre HIVERT, Jean Mathurin CHARON a souhaité que son capital lui soit définitivement payé. Hélas Pierre lui a donné une fin de non recevoir n’ayant plus à ce jour de réserves financières : « En plus je viens de marier mon gars l’été dernier et ma fille s’apprête à faire de même bientôt » lui a dit-il comme pour s’excuser…
Le 10 mars 1882 devant maître MARTIN, CHARON transmet l’emprunt de 3000 Francs à Théophile Jacques MONNIER, riche propriétaire nantais venu vivre au Norestier à La Chapelle Basse Mer. Pierre accepte cette transaction avec une créance exigible le 10 mars 1887 « jusqu’à parfait paiement avec intérêt de 5% ».

Finalement Pierre HIVERT et sa femme Jeanne RICHARD mettrons 14 ans pour acquérir la propriété du Port-Egaud composée d’une maison de fermier et servitudes, un magasin contenant un pressoir, 1ha 41 en terres autour de la ferme et quelques prés marais.
Aujourd’hui
