1876.
Théophile François Joseph PETARD et Antoine PETARD sont cultivateurs et habitent ensemble à la Guilbaudière, chacun avec une des sœurs HARROUET. En 1860 Anne-Marie s’est mariée avec celui que l’on appelle communément François, puis et en 1863 Jeanne a épousé Antoine. Jean Pétard leur père comme leur frère aîné sont décédés il y a plus de 10 ans.

Les deux couples habitent donc ensemble sous le même toit à la Guilbaudière. Ils cultivent ensemble la petite exploitation familiale et travaillent régulièrement avec leur voisin et beau-frère François Charron ainsi que leur neveu Jean Marie. Ce dernier vient de terminer brillamment ses études l’an passé et sur l’avis de Jean-Marie MORICE, le directeur de l’école, il s’est présenté au concours cantonal du certificat d’études du Loroux Bottereau où il a obtenu un accessit.
Chaque couple a un enfant unique. Marie Anne à 10 ans est la fille d’Antoine et de Jeanne. François et Anne ont eu une fille il y a 6 ans, Anne-Marie.

En cette année 1876, la fille d’Anne-Marie Harrouet et François Pétard est atteinte d’une forte fièvre et ses parents inquiets s’empressent de faire venir en urgence le docteur LECERF. Celui-ci diagnostique les débuts d’une typhoïde et lui administre un « produit à base de quinquina, à faible dose » dit le médecin… Puis quelques jours après, elle est rétablie.
Le docteur LECERF fait partie désormais du paysage concellois désormais mais cette confiance envers le corps médical ne s’est faite que progressivement car au milieu du 19ème siècle, à Saint Julien comme ailleurs, on s’en remet plutôt aux rebouteux et autres hongreurs pour se remettre d’aplomb. On fait surtout confiance à quelques matrones pour soigner certains maux et pour procéder aux accouchements. On fait appel seulement au docteur Marie MENAGE, le premier docteur de Saint Julien, pour des cas graves voire désespérés.
Comment ce Jules LECERF a t-il échoué à Saint Julien lui qui est né dans le sud de la France et a participé en tant que médecin-chirurgien aux guerres coloniales de Napoléon III ? Personne ne le sait. Certaines commères disent qu’il a fui le département du Maine et Loire car il n’a pas supporté la mort de sa jeune femme « en couches ». Pierre HIVERT a rapporté à François PETARD que c’est Georges COLOMBEL alors maire qui l’a fait venir quand le docteur MENAGE est décédé, il y a 10 ans en 1866.
Pierre a ajouté que dès son arrivée sur la commune, invité par le Conseil municipal, il a alors exprimé « son intention de ne pas recevoir de traitement en argent pour les visites qu’il fait aux malades dans le besoin. Il s’est engagé à leur fournir tous les médicaments nécessaires avec une remise de vingt pour cent sur le prix de leur valeur ordinaire, part prise en charge par l’administration communale à partir de notes détaillées »[1].
A cette époque le docteur LECERF participait tous les ans à établir avec les conseillers municipaux et le curé la liste des indigents de la commune.

Cependant, en souhaitant la venue d’une sage-femme à ses côtés pour faciliter les accouchements, le jeune docteur LECERF reçoit les foudres d’un certain nombre de matrones qui les pratiquait antérieurement dans les villages[2]… Il fut accusé de ne pas savoir s’y prendre en la matière. Lui rétorque qu’il ne partage pas les méthodes du docteur MENAGE car lors d’un accouchement « dès que le col était suffisamment entr’ouvert pour laisser une pénétration de la parturiente le brave homme s’armant de son grand forceps, l’introduisait avec persuasion ou par force, et tirait tant … que ça venait… [3]».

Les sœurs Harrouet n’eurent pas à se plaindre du service de cette sage-femme lors de l’accouchement de leur filles respectives, d’autant que le docteur s’était pris d’amitié pour François et passait régulièrement ensuite à la Guilbaudière lors de ses tournées. Lors de ses visites, il encourageait les deux femmes à allaiter le plus le plus longtemps possible en leur disant que « le lait maternel est toujours le mieux adapté à l’enfant et qu’il le protège de toutes les maladies ! »
Plus tard il conseillait les femmes en leur disant de bien nettoyer et faire bouillir le biberon « car la bouillie distribuée aux enfants peut devenir un hideux fromage possédant de trop nombreux microbes ». De même il préconisait que les bébés soient baignés chaque jour, dans de l’eau tiède «afin d’évacuer les humeurs viciées concentrées sur leur peau ».
Marie-Anne et Anne-Marie, même si elles n’échapperont pas à certaines maladies infantiles, varicelle et coqueluche, seront relativement épargnées et les époux PETARD-HARROUET seront toujours reconnaissants des conseils du docteur.
En cette année 1876, le docteur Le Cerf est devenu à Saint Julien un homme de premier plan. A 41 ans, il s’installe dans la maison de maître de la Salmonière, à côté du bourg de St Julien, sur une propriété de cinq hectares composée de verger, enclos, écurie, logement du fermier et bâtiments d’exploitation.

Sept ans plus tôt, le docteur s’était marié à Nantes avec Anne Langlois, qui se fait appeler Anna, et est la fille d’un receveur à cheval contributions indirectes. Ils ont alors deux filles Jeanne et Madeleine. On ne voit pas souvent Mme Lecerf à Saint Julien car les deux filles ont une mère de substitution avec Marie LIBEAU qui s’en occupe d’elles en permanence en les amène même à l’école matin et soir.

Dans la vallée comme dans les champs, on voit le cabriolet à cheval du docteur LECERF sillonner la commune conduit par le palefrenier et cocher Jacques GUILLET, les sacoches garnies de drogues courantes et d’instruments utilisés en petite chirurgie.
Partout où il passe le docteur LECERF ne se contente pas de soigner, il fait des remarques aux patients rencontrés sur leurs conditions de vie, facteur de développement de maladies : « Combien ai-je pu m’élever contre les immondices les fumiers les cloaques de purin qui encombrent et infectent les cours et les abords de beaucoup trop de maisons; contre l’absence de fosses d’aisances, trop souvent constaté de visu et de olfactu aux approches et alentours immédiats des habitations… »
« Et pour les habitations, bien peu, même parmi les plus récentes sont en rapport avec les données du confort le plus élémentaire, mais combien cependant plus éloignées des immondes taudis d’autrefois où quelques uns de nos propriétaires aujourd’hui parquent encore les trois quarts de leurs petits fermiers et bordiers ; maisons souvent sans fenêtres, les portes devant servir à la fois d’issue, d’aérage et d’éclairage, n’ayant pour plancher qu’une place en terre battue, la plupart du temps en contrebas du sol ce qui entretient une humidité constante…[4] ». De même, il recommande de veiller à l’hygiène corporelle, et conseille un bain régulier une fois par semaine.
Antoine et François PETARD ont suivi ses recommandations afin que le puits du village de la Guilbaudière soit éloigné des étables et des latrines.
« Litière, fumier, purin, vidange dont l’épandage plus ou moins scientifique fait aux quatre vents du ciel va souiller toutes les eaux ayant imprégné tous les sols… Comment faire alors que nous ne soyons pas tous phtisiques ou tout au moins tuberculeux » note le docteur LECERF dans son carnet en cette année 1876.

En effet lors de ses consultations il sort également son carnet signé « Lecerf, docteur en médecine », dans lequel il griffonne des notes. Aux plus audacieux qui lui demandent ce qu’il écrit, il répond « Je consigne des observations pour le soin d’une étude médicale que je prépare »
Jules LECERF fait en effet l’inventaire des maladies infantiles rencontrées maintenant diagnostiquées de façon précise variole, varicelle, croup, coqueluche, rougeole, scarlatine… Il veille à noter l’évolution des maladies infectieuses constatées, tuberculose, fièvre typhoïde, diphtérie… Il décrit pour chacun de ses patients la cause de leur mortalité hémorragie cérébrale, crise cardiaque, cancer… A ce sujet, il pense que l’alimentation grossière développe le cancer de l’estomac : « La nourriture de nos paysans est il faut bien l’avouer un peu grossière ils engloutissent dans leur nombreux repas une respectable quantité de soupe et d’aliments végétaux qui ne tiennent guère au ventre, mais qui dilatent leur estomac plus qu’il ne convient et doivent à la longue le fatiguer. Ajouter à cela que le vin blanc donc ils usent est de nature très acide, heureux encore quand il n’est pas remplacé par des boissons plus ou moins hygiéniques obtenues par la fermentation de fruits verts ou pourris, noyés dans une eau qui n’est pas toujours des plus pures[5] ».
Antoine, en confiance avec le docteur, s’est un jour livré à lui : « Mon frère et ma belle sœur ne pourront plus avoir d’enfant et avec Jeanne nous avons le désir d’avoir un héritier mâle. Sur les recommandations du curé ma femme prie, jeûne fait des offrandes à la Vierge, ou à Sainte Anne et Sainte Marguerite, mais rien n’y fait ! ». Antoine n’ose dire que certaines commères ont dit à sa conjointe de manger des plats à base d’organes d’animaux, de s’entourer de talismans et autres amulettes.
Jules lui rétorque « que la fertilité du couple peut venir également de la qualité de la semence de l’homme et pour ça il faut savoir modérer sa consommation de vin et de tabac ».
L’année suivante, Jeanne est enceinte et le 28 mai 1878 à midi la sage-femme communale aide celle-ci à mettre au monde un gros bébé. Avant de se rendre à la mairie, avec son frère et son beau frère François Charon, Antoine tient à faire un détour par la Salmonière pour avertir Jules Lecerf, présent ce jour à son cabinet, de la naissance d’Alexandre
A la mairie, Pierre PATOUILLERE faisant office de garde champêtre, d’arpenteur et de secrétaire de mairie accueille les trois hommes et rédige l’acte d’état civil. Antoine décide qu’Alexandre portera aussi également le nom de son frère et de son père disparus en 1865.

Tant la ressemblance est frappante, Pierre PATOUILLERE confond François avec son père Jean Marie, mort pourtant il y a plus de dix ans, puis s’empresse de corriger l’acte de naissance avant que les hommes le signent. Pourtant Théophile François œuvre déjà comme conseiller municipal. S’intéressant aux affaires d’éducation des jeunes, il fera partie plus tard de la commission scolaire avec Jean Marie MORICE le directeur de l’école, Alfred LE SANT le notaire, Thomas VILAINE et Guillaume BRAUD le premier adjoint contrairement… tous les quatre élus contrairement à Prudent TORELLE le curé.


Plus tard pendant les années 1880 le docteur s’illustre à la tête du syndicat des médecins de «Sèvre et Loire » … mais le fruit du travail du docteur LECERF, synthèse de ses notes et ses recherches, c’est surtout son ouvrage sur l’étude démographique de Saint Julien de Concelles paru en 1876 et publié l’année suivante. En synthèse de cet ouvrage Jules LECERF se dit satisfait de voir que l’espérance de vie des habitants de Saint Julien de Concelles passe de quarante-six à cinquante-cinq ans pendant les trente cinq de son exercice sur la commune.

Non sans fierté, Jules LECERF voit modestement cette progression par sa sollicitude pour les soins d’hygiène générale et surtout sa surveillance attentive des enfants dans le premier âge dont il s’est particulièrement occupé… Le travail du docteur LECERF bénéficiera des honneurs de l’académie de médecine.
[1] Extrait du conseil municipal de St Julien de Concelles du 2 décembre 1866
[2] « Leur ignorance, leur maladresse et leurs procédés meurtriers font périr un grand nombre de mères et d’enfants. Toujours pressées d’en finir avec le travail, elles usent souvent de violences quand l’enfant se présente mal ». Les soins prodigués aux enfants : influence des innovations médicales et des institutions médicalisées (1750-1914). Médecine et déclin de la mortalité infantile Marie France Morel Annales de Démographie Historique 1989 p159
[3] Etude démographique et médicale de la commune de Saint-Julien-de-Concelles (Loire-Inférieure) 1897 Docteur Lecerf p 44
[4] Etude démographique et médicale de la commune de Saint-Julien-de-Concelles (Loire-Inférieure) 1897 Docteur LECERF p 6
[5] Idem p 38
Merci Michel , j’ai bien aimé tout ce qui concernait le Docteur Lecerf, très avance sur l’hygiène!
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Merci beaucoup Michel de nous permettre de suivre ces articles. Il y a des similitudes avec mes ancêtres maternels quant à l’installation de deux familles sur la même ferme. C’est passionnant. Bon week end Aline et Yannick Envoyé depuis mon appareil Samsung
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