1931
« Je suis aux noces à Joseph BADEAU et Titine PÉTARD. On s’amuse bien. J’ai pour cavalier Jean-Marie RIPOCHE du Loroux-Bottereau »écrit Elisabeth BOUYER, jeune fille du bourg de Saint Julien, dans son journal du mardi 19 mai 1931.
Elisabeth, comme ses autres amies, appelle Léontine Titine. C’est la cousine de Clément HIVERT et la fille cadette de Marie et d’Alexandre PETARD.
Généalogie Pétard-Hivert
Ce jour là Léontine convole en justes noces avec Joseph BADEAU de « l’île ».
Là aussi les histoires familiales se croisent. Près de cinquante ans plus tard, Léontine va revenir, dans la ferme quittée par Pierre HIVERT sur l’ile d’Arrouys en 1883.
En effet Joseph BADEAU a 12 ans quand il vient habiter sur l’île en 1920. Son grand oncle Auguste y est fermier et vient de perdre son fils âgé de 30 ans lui même prénommé Auguste et ne désire pas y rester.
Son père Joseph BADEAU, qui a alors 44 ans, et sa mère Marie BEZIER décident donc de s’y installer.
Le 22 octobre 1901, à Thouaré, c’est le mariage de Marie BEZIER, ici au bras de son père et de Joseph BADEAU, au bras de sa mère. Le cortège après la messe suit les musiciens, trompettiste et violoniste.
De leur union, naîtrons 5 enfants, Marie en 1902, Joséphine en 1904, Joseph en 1908, Lucien en 1914 et Roger en 1919.
De son côté Léontine a toujours habité la Guilbaudière à Saint Julien. Elle est née en 1909, deuxième de la famille derrière sa sœur Marie Julia, arrivée trois ans plus tôt. Alexandre leur petit frère naît lui en 1922.
Le mariage
A la sortie de la messe tous les proches de la famille sont invités pour le cliché devant le café Merceron. Gustave Pétard demande aux plus jeunes de grimper sur l’estrade…
Au premier rang à droite se tient Alexandre, le jeune frère de Titine, son père Alexandre et sa mère Marie, puis Pierre et Henriette HIVERT avec Thérèse, leur fille, auprès d’eux. A gauche en habit de marin, comme le veut la mode de l’époque, pose Roger le plus jeune frère de Joseph, puis Marie-Louise et Joseph, ses parents.

Photo de Gustave Pétard
Clément et Gabrielle HIVERT et leur fils Auguste ne sont pas présents. Gabrielle est souffrante dans l’attente d’une opération liée à un rein défectueux.
Le mercredi 20 mai c’est le retour des noces au « Bout des Ponts », et ensuite à la Chebuette. On s’amuse bien. Nous laissons Titine dans l’île » raconte Elisabeth BOUYER dans son journal de l’année 1931.
La vie sur l’ile
Léontine va donc retrouver l’exploitation BADEAU entourée par les eaux face à la Chebuette. « Les crues de la Loire déposaient sur les prés un limon fertile. Logis et étable étaient conçus en fonction des inondations. On accédait à l’étable par un chemin escaladant une butte artificielle, les animaux restant toujours à l’abri du fleuve en crue, souligne Narcisse GUENICHON, un ami de la famille. Celle-ci possède pour l’époque un bon troupeau de vaches laitières. « On faisait de l’osier, du chanvre et du foin pour les bêtes. Mais le blé, ça noyait, on a dû arrêter » précise Joseph BADEAU dans un entretien daté de 1999[1].
Sur l’ile il fallait s’approvisionner en eau dans le puits à proximité de la ferme : « Il n’y avait pas à l’époque l’eau courante se souvient Monique, leur fille aînée[2]. Lors de leur mariage nos parents ont reçu une fontaine comme cadeau de noces. Je me souviens très bien de cette fontaine rose. Je m’en suis servie pour me laver les mains. Il y avait un petit réservoir et puis la cuvette en dessous ».
La ferme des BADEAU sur l’île d’Arrouys
Sur l’île on ne vivait pas sous le regard du voisin, « les DURASSIER habitaient à plus de 800 mètres de chez nous » raconte Jean le fils de Joseph et Titine : Il fallait aimer la solitude, quand même ! On était complètement esseulés. C’est une vie complètement différente de celle des autres ». « Mais cette vie plaisait à notre maman, de nature si discrète» ajoute Monique.
Mais cet isolement pesait quelquefois au couple. Titine était parfois triste de moins voir ses amies du bourg, elle qui ne manquait aucune de leur représentation théâtrale. (Voir chapitre ci après : Le théâtre des filles et Melle Colas).
En 1937, la sœur aînée de Titine, Marie-Julia, se marie à son tour avec Raymond Rousseau.
Marie-Julia et Raymond Monique BADEAU et Auguste HIVERT étaient les enfants d’honneur devant la mariée.
Le théâtre de Mademoiselle Louise COLAS
« Les patronages des jeunes filles ne peuvent être dirigés par Messieurs les curés il est important de trouver des directrices» recommande le diocèse de Loire-inférieure à la fin des années 1920. C’est dans ce contexte qu’en 1929, Mademoiselle COLAS, directrice de l’école privée des filles de Saint-Julien-de-Concelles, met donc en place la troupe théâtrale pour les jeunes filles.
Dès les deux premières années, plusieurs représentations ont eu lieu, jouées essentiellement par les filles du bourg car les répétitions se tiennent le soir et de ce fait seules celles-ci peuvent y participer. Félix PRAUD, pourtant déjà mobilisé pour le théâtre des garçons (photo jointe), aide Melle COLAS pour la mise en scène. Les pièces sont puisées dans le répertoire recommandé par la revue « La vie au patronage ».
La Vie au patronage : organe catholique des œuvres de jeunesse – BNF Gallica
La première pièce choisie s’intitule « Ames d’esclaves » drame en trois actes de Guy de Lannoy. La mixité n’étant pas à l’ordre du jour, les rôles des hommes sont interprétés par les filles. Celles-ci ont également confectionné la plupart des costumes.
Pièce « Âmes d’esclaves » avec de gauche à droite : Suzanne BOUYER, Renée BRAUD, Augustine VEZIN, Marie Joseph BATARD, Augusta RIPOCHE, Mélanie CORNET, Marie-Josèphe PILOQUET, Antoinette PIGEAU, Clémentine RIPOCHE, Denise Royer, Joséphine MOREAU – Photo de Gustave Pétard
Suivront au fil des mois « Les pantoufles de sainte Cécile » une opérette en un acte, « Riblon et Riblette » piécette tirée de la revue des traditions populaires et la comédie en un acte « Le photographe » d’Henri Meilhac et de Ludovic Halevy
Actrices de le pièce « Les pantoufles de Sainte Cécile » -Photo de Gustave Pétard
Pièce « Riblon et Riblette » avec au centre Renée BRAUD – Photo de Gustave Pétard
Pièce « Le photographe » avec Elisabeth BOUYER, Annette THOMAS, Mélanie CORNET – Photo de Gustave Pétard
En 1931, Elisabeth BOUYER, amie de Titine, alors âgée de 17 ans tient son petit journal. Celui-ci relate que les répétitions et représentations s’enchaînent cette année là… Pas moins de cinq pièces au programme.
Le petit journal d’Elisabeth Bouyer
Extraits
Lundi 27 avril 1931 : Ce soir, répétition de la pièce « Rose et Colombe ». Je fais la 1ère dame d’honneur
Lundi 11 mai 1931 : Mademoiselle BOSSIS est venue exercer la pièce « Une vieille fille et treize gosses » que nous jouerons lundi de la Pentecôte.
Lundi 25 mai 1931 Lundi de la Pentecôte. Il fait grand chaud. Ce soir nous jouons la pièce « Une vieille fille et treize gosses ». Il y a beaucoup de monde
Lundi 27 juillet 1931 : Mademoiselle COLAS est venue nous féliciter. Elle est enchantée de sa pièce.
Vendredi 04 décembre 1931 : Ce soir, nous allons nous exercer pour la pièce « Chanteuse des rues ».
Mercredi 09 décembre 1931 : Je retourne ce matin chez madame Davy. Je reviens à midi. Ce soir, chants pour Noël et exercice pour la pièce « La noce de Mademoiselle Simone ». C’est Renée qui fait la mariée.
Samedi 26 décembre 1931 Juliette SABLEREAU est malade, elle a la fièvre et elle tient le grand rôle demain.
Dimanche 27 décembre 1931 : Juliette va mieux. La pièce a été parfaitement réussie. Monsieur le Curé est bien content. La salle était pleine, nous avons recommencé « La noce à Simone ».
Lundi 28 décembre 1931 : Ce soir, nous jouons « La vieille fille et treize gosses ». Je remplace Suzanne. Nous avons remporté bien plus de succès que la dernière fois. Elle a bien plu. Tout le monde est content.
Photo de gauche Elisabeth BOUYER – Photo de droite en haut Elisabeth BOUYER, Mélanie CORNET, Renée BRAUD, En bas Suzanne BOUYER, Annette THOMAS, Yvonne CORNET – Photos Gustave Pétard
Elisabeth relate également en décembre 1931, les tensions qui se font jour entre le clergé et les responsables du théâtre : « Ce soir, à l’exercice de la pièce, Félix PRAUD s’est fâché avec Monsieur le Curé TISSEAU parce que celui-ci ne veut pas que nous chantions à la pièce des gars.
Dans son journal du vendredi 1er janvier 1932 nous apprendrons que c’est le premier qui a obtenu gain de cause comme l’écrit Elisabeth : « Nous allons finalement chanter à la pièce des gars « Bretagne » des chansons de Botrel. Il parait que ce sera très beau ! ».
Les acteurs et figurants de la pièce des garçons « Bretagne » – Cliché Gustave Pétard
En effet le journal le Phare de la Loire de fin décembre 1931 annonce les dates des représentations futures : « Les acteurs du patronage donneront dans leur salle la magnifique pièce « Bretagne ». Pierre VIAUD en sera l’acteur principal dans le rôle de Yann Misère. Il y aura orchestre et chœurs. « Bretagne » nous révélera l’âme bretonne, le pays breton avec ses landes immenses aux manteaux d’ajoncs et de bruyères, mystérieux par ses contes et ses légendes, sa mer sauvage et non moins belle… et l’attachement du Breton à la mer. Devant un tel programme, il sera prudent de retenir ses places à l’avance»…
Les différents actes de cette pièce sont ponctués par les chansons de Théodore Botrel chantées par les chœurs d’enfants et accompagnées par l’Harmonie concelloise.
Musiciens de l’harmonie concelloise – Photo de Gustave Pétard – De gauche à droite Dernier rang : Henri LUZET, Henri PINIER, Auguste PETARD, Joseph BARTEAU, Clément PREAUDEAU fils, Jean JOUSSEAUME 5ème rang : Lucien LEFEUVRE, Frédéric NOLEAU, Henri Jamet, Joseph PILOQUET, Louis HALLAY, Auguste BRELET 4ème rang : Louis JAMIN, Charles VIAUD Louis DAVID, Marcel TOSSAIN, Félix PRAUD, Auguste ARROUET, 3ème rang : Alex. BATARD, Auguste BRELET, Etienne VIAUD, Alex. CORNET, Baptiste THOMAS, Jean-Marie BOUYER, Camille JEANNEAU 2ème rang : Eugène CORBET, Clément PREAUDEAU, Abbé TISSEAU, Alex. PETARD, Guillaume BRAUD, Marcel SECHER, Adrien ARROUET 1er rang : Benjamin SABLEREAU, Léon VIVANT, Joseph MOSTEAU, Guillaume BRAUD fils, Adrien BATARD, Joseph PIOU
Au mois de juillet 1936, Mademoiselle Louise Colas ne pourra pas assister pas à la distribution de prix de l’école privée des filles marquant la fin du cycle scolaire. Elle est emportée quelques jours plus tard par la maladie.
L’écho de la Loire du 1er août 1936 – ADLA
Merci Brigitte RACINE, fille d’Elisabeth BOUYER-JANNIN, pour la transmission du journal de sa maman, à Jean GUILLET pour les photos de Gustave PETARD, à Mado PRAUD pour les noms des actrices du théâtre et à Paul PARIS pour les noms des musiciens de l’Harmonie concelloise.
[1] Le journal municipal « le Concellois » de mars 1999
[2] Titine et Joseph auront 3 enfants, Monique, Jean et Josette nés respectivement en 1932, 35 et 41.