Mi avril 1917.
Depuis quelques jours Auguste et son régiment du 44ème se trouvent à proximité de la Ferme du Godat entre Cormicy et Loivre, sur le canal de l’Aisne dans le département de la Marne à proximité de Reims.
Faute d’écrits de la part d’Auguste, nous emprunterons les mots du soldat Albert GHYS pour décrire la bataille du 16 avril 1917 à laquelle il participe lui aussi.
« Je réussis à passer presque sans encombre avec quelques hommes de ma section, les derniers furent blessés légèrement… Au petit jour, j’étais rendu à l’abri que je pouvais occuper. Nous étions tassés les uns sur les autres, mais nous savions que ce n’était pas pour y rester. Le temps était brumeux. Chacun me demandait si l’attaque aurait lieu.
Enfin, à 6 heures, la première vague partait à l’assaut. Nous devions attendre que les autres bataillons aient atteint leurs objectifs. Peu après, on entendait les mitrailleuses boches, le marmitage ne les avait pas enterrées. Ils avaient l’air de ne pas se rendre facilement. Malgré tout, la première ligne était entamée, je vis des prisonniers boches qui étaient ahuris et jeunes. Plusieurs repassèrent peu après portant nos blessés. Mais pendant ce temps, j’étais là et sans ordre. Je ne devais partir qu’à l’heure H, après en avoir reçu l’ordre. Le temps me paraissait long et ça me semblait drôle de ne voir personne.
Je vais voir pour me renseigner à mes côtés, plus personne ! Qu’est-ce qui est arrivé ? Je me renseigne, rien à savoir. Mais les autres sont partis en vitesse. Nous partons pour rejoindre les autres, connaissant mon itinéraire, il faut que je retrouve les camarades qui sont sûrement dans les tranchées boches, nous sortons donc des tranchées. Les mitrailleuses crépitent. Nous passons de trou en trou d’obus. Notre artillerie lourde et de tranchée a fait du beau travail. Pas un mètre de terrain n’a eu son compte, des trous d’une profondeur ! Plus un bout de fil de fer barbelé. Nous voyons quelques blessés et les premiers abris boches qui sont intacts. Ce sont des abris en ciment armé.
Plus loin, nous remarquons un poste d’observation boche qui servait aussi contre les gaz. Les consignes sont encore là, mais on n’y comprend rien. Ils ont eu le culot de placer une grosse cloche qu’ils ont du prendre à une église ou à une mairie. Nous continuons toujours notre marche qui est encourageante et peu après, je retrouve les éléments de ma compagnie. L’ordre m’avait été envoyé, mais l’agent de liaison aura été blessé ou disparu. Mais voilà le moment où nous voyons plus de prisonniers. Quelques officiers, des chefs, les interrogent et se font même piloter… En attendant, les boches réagissent et ça barde. Les obus éclatent non loin de nous. On se terre comme on peut. Peu à peu, ça se rapproche, rien à y faire. Malgré le mauvais temps, nos avions survolent assez bas.
A dix heures moins quelques minutes, un obus éclate à trois mètres qui ne fait heureusement qu’une victime. Les autres se sauvent aussitôt. Il en arrive un autre et il n’y a que des blessés. Je suis du nombre. Ma figure saigne fortement ; je ne sais pas où je suis touché. J’ai aussi quelque chose à la cuisse qui saigne et je sens la douleur. Je ne perds pas le ciboulot. Vite, j’enlève une courroie de mon sac pour servir de garrot. Un brancardier tente de passer, il n’est pas de mon régiment, ça ne fait rien, mes hommes lui font faire le pansement.
Aussitôt après, je prends mes affaires que j’y tiens le plus, tant pis pour le reste, conserves, etc. ma peau avant. Mais c’est difficile de partir, ça bombarde dur et tout le monde est terré. Enfin, avec ma petite boussole, je parviens à m’orienter, malgré que je ne vois pas très clair. Je vois la ligne Nord-Sud et c’est bien nécessaire, autrement, on irait facilement chez les boches, surtout qu’on y connaît plus rien.
C’est terrible ! Ce n’est pas assez de souffrir, les Teutons n’arrêtent pas de tirer. Plusieurs fois, je suis forcé de passer sur le parapet, tout en ayant un peu de peine à marcher. Quand il faut descendre un trou d’obus, je me laisse rouler, ça va plus vite et c’est plus sûr. Plusieurs fois, des obus sont tombés assez près, un surtout qui a eu le culot de ne pas éclater.
Enfin, peu après, je me retrouvais dans nos lignes. J’étais heureux. Je me sentais déjà plus à l’abri. J’ai rencontré un officier qui me fit conduire au poste de secours. On me mit mes pansements, en m’asseyant, la tête me tournait. Comme j’avais une bouteille de gnole, le médecin m’en fit boire et ce fut tout. J’étais sauvé !«
Récit d’Albert GHYS du 127ème régiment d’infanterie

Fin avril 1917, la famille est angoissée : pas de nouvelles d’Auguste depuis plus d’une semaine alors que celui-ci écrit presque tous les deux jours. Est-il mort au combat ? A t-il été fait prisonnier ? Aucune nouvelle des autorités militaires !
Clément décide alors d’écrire alors à plusieurs camarades de Saint Julien du même régiment … Le 4 mai 1917, il reçoit une réponse d’Alphonse LUZET, originaire du village de Boire-Courant, de deux ans le cadet d’Auguste et qui, comme lui, a été affecté tour à tour aux 77ème, 135ème et 44ème régiments d’infanterie.
Il pense qu’Auguste a été fait prisonnier lors de la contre attaque des allemands du 16 avril !
La famille recevra bien un court message de la part d’Auguste à la mi juillet. Il annonce qu’il est bien portant. Son parrain Alexandre Pétard s’en fait l’écho le 15 août 1917 dans une lettre adressée à Clément : « Comme tu peux bien le penser c’est avec la plus grande joie et le plus grand bonheur que j’ai appris que notre cher disparu avait enfin donné de ses nouvelles au moment où nous pouvions désespérer sur son sort. Savoir enfin qu’il est vivant et en bonne santé c’est un bonheur presque inespéré. Croyez bien que je partage votre satisfaction … Quand vous lui écrirez, ne manquez pas lui dire que j’ai été bien heureux de le savoir vivant et que je souhaite ardemment notre réunion prochaine au pays où nous vivions si heureux avant ce mauvais rêve »…
Le vœu d’Alexandre ne se réalisera pas ! Auguste est décédé quelques jours plus tôt, le 25 juillet 1917 au camp de Parchim[1].
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A la recherche de la sépulture d’Auguste HIVERT
Nous avons raconté « Dans les pas d’Auguste »- sixième journée – le dernier épisode de sa vie au combat sur le front avant qu’il ne soit fait prisonnier le 16 avril 1917.En l’absence d’écrits de sa part, voici ce qu’en dit l’historique du 44ème d’infanterie (dans lequel il a été transféré en octobre 1915) à propos de cette offensive du Chemin des Dames au Nord-Ouest de Reims.
L’offensive du 16 avril 1917
Après une période d’instruction au camp de Mailly, la division est amenée dans la région nord-ouest de Reims. Dans la nuit du 15 au 16 avril 1917, le 44e occupe les parallèles de départ du secteur du Godat qu’il a organisées en vue de l’offensive. Il est à l’aile gauche de la 14e division, qui a pour mission de s’emparer du fort de Brimont en le contournant par le nord. Son objectif final est la grande route de Reims à Neufchâtel, à 7 kilomètres du point de départ. Il est défendu par une première position étayée de points d’appui solides, par trois positions intermédiaires et des bois organisés ; plus de deux ans d’immobilité ont permis à l’ennemi de pousser jusqu’à la perfection ses lignes de défense, qu’une artillerie nombreuse a encore récemment renforcées.
Le 16 avril, à 6 heures, le régiment, d’un seul bond, sort des places d’armes et monte à l’assaut.
Le lieutenant-colonel NIÉGER est, peu après, grièvement blessé sur la deuxième ligne allemande. Le commandant DE PÉLACOT prend alors le commandement. A peine le bataillon de tête a-t-il enlevé la première position du Bois-en-Potence où son chef, le commandant VERGNE, trouve la mort, que les deux autres bataillons le dépassent. Le bataillon DUBIN, à gauche, s’empare d’une partie du Bois-Séchamp, mais il est obligé de stopper, le mont Spin restant toujours aux mains de l’ennemi. Il résiste là, toute la journée, à de furieuses contre-attaques et, sous le martèlement de l’artillerie ennemie, s’accroche au terrain dont il ne cède pas un pouce.
Le 2e bataillon progresse vigoureusement à droite, constamment en avance sur l’horaire prévu. Sous les ordres du capitaine ARLABOSSE, il enlève successivement la partie sud du Champ-du-Seigneur, une ligne de tranchées intermédiaires, la voie ferrée de Reims à Laon et, avec quelques éléments du bataillon DUBIN qui opèrent en liaison avec lui, il aborde les bois de la Grande-Tournière et de la Grande-Navière ; il s’en empare en même temps que des batteries allemandes encore en action.
Mais la situation est critique. Cette progression rapide de 4 kilomètres laisse le flanc gauche découvert. Pendant que le bataillon ARLABOSSE s’organise hâtivement, le bataillon VERGNE qui, malgré de lourdes pertes, a formé quelques groupes de combat, tente, avec des effectifs valeureux mais bien faibles, de boucher ce trou de 4 kilomètres et de se relier avec le bataillon DUBIN. Une forte contre-attaque ennemie se déclenche, un léger mouvement de repli est prescrit pour permettre à la division de se rallier et d’offrir une meilleure résistance. Sur cette nouvelle position, le régiment éprouvé s’installe, soutient vigoureusement le combat pendant plusieurs jours, et enraye la poussée de l’ennemi.
La journée du 16 avril donne au régiment 550 prisonniers, dont 1 chef de bataillon et 8 officiers, plus de 30 mitrailleuses, un grand nombre d’engins de tranchées et 5 batteries d’artillerie de divers calibres.
Cette bataille vaut au 44e sa deuxième citation à l’ordre de l’armée, qui lui confère le droit au port de la fourragère aux couleurs de la Croix de Guerre : « Régiment d’élite, merveilleux instrument de combat, s’est toujours montré égal à sa tâche dans toutes les circonstances où le commandement a fait appel à sa vaillance. Le 16 avril 1917, sous le commandement du lieutenant-colonel NIÉGER, a conquis de nouveaux titres de gloire en pénétrant dans les puissantes organisations allemandes avec un enthousiasme et une impétuosité qui lui permirent d’enlever les positions sur une profondeur de quatre kilomètres. S’est maintenu sur le terrain conquis bien que privé de son chef grièvement blessé et d’une grande partie de ses cadres, et a repoussé victorieusement toutes les contre-attaques de l’ennemi ».
Historique du 44e Régiment d’Infanterie, anonyme, 1920, CHARLES-LAVAUZELLE, Éditeur militaire, Paris-Limoges. Transcrit par Pascale LEDUC & Jean-Luc DRON, 2011.
Outre le commandant VERGNE, le lieutenant du 1er peloton du 44ème RI, Gustave MAITREHENRY, né le 30 juin 1892 à Bugeat, décèdera également le 16 avril 1917 à la Ferme du Godat à Hermonville dans la Marne, à 24 ans, le même âge qu’Auguste.
A l’occasion des préparatifs de notre voyage mémoriel « dans les pas d’Auguste », nous avions noté qu’Auguste a été considéré comme « disparu » lors des affrontements à la « Ferme du Godat » le 16 avril 1917, ainsi qu’en atteste aussitôt « le Journal des marches et opérations » de son régiment. Il est alors répertorié sous son matricule du 77ème régiment d’infanterie soit le N° 4609…
… puis « tué à l’ennemi » ainsi qu’il est noté sur le document originel établi par son corps d’armée attestant qu’il est « Mort pour la France ». Mais cette fois avec le matricule N° 13 266 du 44 ème régiment d’infanterie dans lequel il a été transféré en octobre 1915. Sur ce document, en marge, est ajoutée la mention « disparu »… à la Ferme du Godat, puis décédé au camp de Parchim, la date du décès étant bien notée au 25 juillet 1917. La mention « tué à l’ennemi » est ensuite rayée à l’item « genre de mort » et remplacée par « maladie contractée en captivité ».

Comment et de quoi sa famille est-elle informée ? Qu’il a disparu ? Qu’il a été tué, mais que son corps n’a pas été retrouvé ?
Les seuls renseignements que nous avons pu obtenir se trouvent sur le site du Comité international de la Croix rouge. Ces 3 documents au nom d’Auguste Hivert indiquent des numéros de référence qui se recoupent mais dont on ne savait à quoi ils correspondaient: 8899, 8919, 9311, 9468, R.19606.
Après recherches, nous avons pu trouver que les 4 premiers numéros correspondent à des cotes archivées sur le site de la Croix rouge référençant des extraits de registres allemands portant mention du décès de notre ancêtre et que nous avons pu télécharger.


Le 3ème document est le plus intéressant car il répond à une demande d’enquête de la famille à la suite d’une première demande sans réponse datée du 29 juin 1917. Dans les listes de prisonniers décédés établies par les Allemands et transmises à la Croix Rouge, le nom d’Auguste Hivert et les circonstances de sa mort sont inscrits pour la première fois le 7 septembre 1917, puis le 14 septembre. La nouvelle de son décès en captivité semble avoir été communiquée à la famille entre le 13 octobre et le 1er novembre 1917, peut-être d’ailleurs accompagnée de la photo de sa sépulture dans le cimetière militaire de Parchim.


Mais Auguste est-il toujours inhumé à Parchim? Qu’est devenue sa sépulture?
Nos consultations par internet laissent à penser que ce cimetière militaire n’existe plus ou qu’il a été déplacé.
Nous décidons alors d’interroger la Ville de Parchim, mais comme nous ne maîtrisons pas la langue allemande, nous sollicitons Françoise BOUSSAUD, une amie de jeunesse, fille de Pierre et Gemma BOUSSAUD ex-concellois, pour faire l’intermédiaire. Françoise habite à Berlin et elle accepte gentiment de nous rendre ce service. Assez rapidement elle obtient une réponse précise et détaillée avec lettre et photos du site du cimetière à l’appui.
Elle nous traduit la lettre que voici:
Merci Françoise !
Aussitôt nous faisons des recherches dans la liste des 12 300 noms de la grande nécropole des prisonniers de guerre 14-18 de Sarrebourg, mais rien, étrangement rien. Etrange d’autant que plusieurs de ses compagnons d’infortune comme Amédée Sourzat ou Jean Tajan décédés aussi dans le camp de Parchim quelques jours auparavant, sont bien inhumés à Sarrebourg, nous en avons la preuve par le site « mémorialgenweb ».
Se pourrait-il que comme bien d’autres familles à l’époque, la sienne ait tenté de rapatrier sa dépouille à St Julien. La transcription de son décès ayant été faite le 8 mars 1920 dans les actes de décès de la commune, il faut aller voir dans les archives des registres d’inhumation de la commune.
Le service contacté à la mairie ne peut rien nous répondre invoquant des fichiers informatiques non disponibles actuellement et un gros retard…

Nous apprenons seulement que Marie Hivert (née Pétard) la mère d’Auguste, a fait l’acquisition d’une concession en 1929 pour y inhumer son mari Auguste à sa mort, laquelle concession est en fait celle où reposent nos parents, Auguste et Juliette, mais sans que la mention des sépultures d’Auguste et Marie Hivert y soit portée. Auraient-ils été exhumés, Grand-Père Clément ne nous en a jamais parlé…
Nous décidons d’insister auprès de la Mairie de St Julien, tout en essayant de nous procurer le Procès-verbal d’exhumation auprès de la Mairie de Parchim…
Finalement fin septembre 2021, Françoise BOUSSAUD nous envoie le procès verbal d’exhumation d’Auguste.
Reste désormais à nous rendre à Sarrebourg en début d’année prochaine afin de retrouver la sépulture d’Auguste.
[1] wikipedia.de indique que le camp de Parchim–Mecklembourg était le plus grand camp de prisonniers en Allemagne, d’une capacité de 25.000 places, où furent internés 15.000 prisonniers et dont 1.402 décédèrent sur place.