1918.
D’abord exempté en 1915 du service national, Jean Marie est finalement incorporé à compter du mois de septembre 1916 au 66ème Régiment d’infanterie. Mais il est parti au front le 12 mai 1917 seulement avec le 2ème régiment de tirailleurs indigènes, puis le 10ème régiment d’Algérie l’année suivante.
Son régiment est composé, comme son nom l’indique, essentiellement d’appelés originaires du Maghreb dont la tenue militaire diffère quelque peu des autres régiments.
On repère facilement les « tirailleurs indigènes » grâce à leur tête surmontée d’une chéchia sur laquelle est incrusté le croissant avec souvent le numéro du régiment. Seuls les officiers portent le képi. Au revers de leur col, on distingue l’insigne du régiment. Certains portent au bras l’insigne de leur grade. Comme tous les autres engagés ils portent autour de leur cou ou au bras la plaque mentionnant leur nom avec le numéro de matricule et de régiment.
Jean Marie fait partie de l’équipe d’infirmiers et de brancardiers au sein des tirailleurs. Après La Marne, son régiment se trouve en Lorraine à la fin de l’année 1917. Transporté dans l’Oise à partir du 11 avril 1918, puis dans la Somme, il est engagé du 8 mai au 24 mai 1918 vers le bois Hangard et Villers-Bretonneux. Du 8 au 12 août 1918, il participe à la 3e bataille de Picardie (attaque du plateau de Moreuil vers Hailles et le bois de Sénécat).
Ses actes de bravoure du 8 août 1918 lui valent la croix de guerre.
1919.
Le processus de démobilisation par classe débute par les plus anciens engagés dès novembre 1918. Il s’interrompt en avril 1919, puis reprend en juillet 1919 après la signature du traité de Versailles et ne se termine qu’en septembre 1919… au printemps 1920 pour la classe 1918 et en mars 1921 pour la classe 1919.
Jean-Marie qui est de la classe 17, nous raconte sa vie à la fin de la guerre à travers les lettres envoyées à son ami Clément HIVERT, ainsi qu’à sa mère et sa sœur Gabrielle.
Le mercredi 26 février 1919, il envoie cette lettre à son ami du port Egaud :
Mon cher Clément,
… « Tu me demandes quand est-ce que mon tour viendra de rentrer définitivement. Je ne suis pas bien fixé sur mon sort encore. J’espère, comme soutien de famille, gagner quatre classes ce qui me mettrait au niveau de la classe 13 si je peux bénéficier de cette majoration. J’ai bien l’intention d’être à la Guilbaudière pour les vendanges mais dans ce métier-là on n’est pas sûr de son droit !
Quant aux classes 16 à 19 je crois bien qu’elles feront encore un long stage et ce n’est pas pour demain qu’il y aura le désarmement général. On occupera longtemps les têtes de pont sur le Rhin pour obliger l’Allemagne à se tenir sage désormais, l’acquittant de sa dette qui est formidable. C’est malheureux de passer plusieurs années de sa jeunesse dans cet idiot de métier…
Je suis toujours en Lorraine. Mon poste d’infirmier me laisse de vastes loisirs que j’emploie à la lecture. L’instituteur de la commune chez qui nous avons installé l’infirmerie est d’une grande amabilité et grâce à sa large hospitalité je me trouve le plus heureux des hommes. Je lis des romans de Loti et de Bazin.
C’est entre deux chapitres racontant « le mariage de Loti » et les mœurs tahitiennes que je te griffonne ces quatre 4 pages »…
Ton ami fidèle Jean-Marie Pétard
Les échanges entre les deux hommes se poursuivent au printemps 1919.
« … et embarqué à Marseille.
Depuis trois semaines je suis toujours en instance de départ avec 200 gradés, caporaux et sous-officiers venus des chasseurs à pied et de l’infanterie pour encadrer les tirailleurs. Ils étaient tous en permission de six jours quand les bataillons sont partis. J’espère que les ordres qu’on attend ne viendront pas et que je serai exempté de ce voyage en Palestine.
On mène une vie ici bien tranquille depuis deux jours on a quitté le petit village où j’étais depuis février pour venir caserner dans la petite ville de Sarrebourg. C’est plus intéressant d’être en ville mais d’un autre côté il faut coucher à la caserne et ne plus être choyé comme dans les familles de Lorraine où je cantonais depuis le mois de janvier…
J’ai appris que ton oncle du « Château » était mort d’une embolie au cœur. Déjà pendant ma permission il a eu une forte crise et cette fois il a été emporté pour de bon… ».
Je termine mon bavardage en t’assurant de ma sincère amitié ».
Jean-Marie Pétard
Toutes les semaines Jean Marie envoie un courrier à la Guilbaudière, tantôt à sa mère, tantôt à sa sœur, toutes deux prénommées Gabrielle.
« … et je trouve le temps affreusement long.
On ne sait pas encore quand la paix va être signée il y a des désaccords entre les Italiens et Woodrow Wilson et je crains bien que les discussions s’allongent indéfiniment…
Sachons prendre patience et demandons au bon Dieu de nous accorder cette paix définitive que nous désirons tous… Ce n’est que lorsqu’on l’aura obtenue qu’on pourra reprendre définitivement la bonne vie d’autrefois.
Bon courage dans les travaux et les tracas que vous supportez depuis si longtemps.
Je vous embrasse tendrement. »
Jean-Marie
Auprès de sa sœur il s’inquiète de leur charge de travail et des travaux de printemps.
Sarrebourg le 8 mai 1919
Ma chère Gabrielle
… “J’aimerais mieux être à travailler dans les champs de la Guilbaudière. Et si parfois je me trouve heureux ici, ce bien-être est tout de suite assombri à la pensée de la peine que vous avez toutes les deux sans moi.
Je me demande ce que vous faites ces jours-ci, si les patates sont toutes semées… Ce sont les petits pois qu’il faut chausser pour la dernière fois…
Et il finit sa lettre ainsi :
Le 12 mai 1919, Jean-Marie décrit à sa maman une page de la vie religieuse de Sarrebourg :
« Hier matin avait lieu à Sarrebourg la solennité de la première communion… Le curé doyen a fait un sermon en français. Pas de phrases pompeuses, il a parlé tout simplement avec tout son cœur puis il s’est excusé de parler un peu en allemand pour ces chers petits-enfants qui ne comprennent pas encore notre langue…
L’église était archicomble. Il y avait autant d’affluence aux vêpres de l’après-midi. Il était 4h30 quand la cérémonie s’est terminée. Les chants étaient très bien exécutés, c’est du moins l’avis de mon ami l’instituteur car vous savez que ce n’est pas moi qui peut apprécier un chant d’église. Je ne suis pas assez calé en musique pour cela.
Cette journée s’est terminée très agréablement. Nous avons été invités le soir par une famille chez qui nous allons de temps en temps, leur petite fille Marie était parmi les communiantes. Voilà pourquoi j’ai passé le reste de cette belle journée chez Madame Rollin c’est le nom de cette femme qui nous offre l’hospitalité. Son mari est employé à la gare ainsi que son fils qui a 19 ans…
C’est en prenant la garde que nous avons fait leur connaissance il faut bien croire que nous avons tous les deux des figures sympathiques parce qu’on a été invité à venir chez eux quand bon nous semble ! Ce sont des gens qui parlent très bien français et qui sont heureux d’être libérés des boches » …
Puis, le 18 juin 1919 Jean Marie relate à sa sœur le déplacement de son régiment à Mayence quelques jours avant la signature du traité de Versailles.
« Ma chère Gabrielle
Encore un voyage de plus à enregistrer sur mes annales de guerre. Hier soir un ordre est venu d’embarquer immédiatement pour Mayence. L’embarquement s’est fait de nuit à Sarrebruck et à midi aujourd’hui on débarqué à Mayence. Il y a des mouvements de troupes considérables ces jours-ci.
Les habitants ont l’air tout effrayés de voir tant de troupes et surtout des troupes noires. C’est une démonstration en même temps qu’une précaution au cas où les allemands refuseraient de signer. C’est lundi prochain qu’on saura si c’est fini ou si la guerre recommence. A mon avis ils signeront car ils ne peuvent pas faire autrement.
Mais on ne sait jamais ! Prions donc le seigneur de la paix en ces jours décisifs afin qu’il nous accorde une paix réparatrice solide et durable et ainsi faire taire le canon »…
Jean-Marie est de retour à Sarrebruck le 10 août 1919 :
« Ma chère Gabrielle,
… « J’oubliais de te dire aussi que j’ai reçu hier des nouvelles de mes anciens copains de Sarrebourg. C’est mon ami l’instituteur dont je t’ai parlé qui m’écrit de Sofia. Au moins ils ont fait un voyage long et fatiguant ils sont passés par l’Italie et ont vu Rome. Puis de là ils se sont embarqués pour Salonique avant d’aller à Constantinople où ils ont passé les fêtes du 14 juillet. Ensuite ils ont rejoint la Roumanie et Bucarest et ce n’est que le 25 juillet qu’ils sont arrivés à Sofia, leur destination.
Ils ne sont pas malheureux là-bas et ceux de la classe 17 vont bientôt se préparer à rentrer en France pour la démobilisation ; ça leur fera un chic voyage de plus mais je n’en suis pas jaloux.
Il me reste encore 22 jours à faire »…
L’instituteur qu’évoque Jean-Marie dans cette lettre s’appelle Charles JUHEL, un breton du « 10ème tirailleurs » comme lui, mais de la classe 18, ce qui explique qu’il ait été envoyé sur le front d’Orient.
De retour à la Guilbaudière, Jean Marie poursuivra une correspondance régulière avec lui, comme l’atteste cette lettre du début de l’année 1920 :
Lettre de Charles JUHEL à Jean Marie
« Islahiye, le 9 février 1920
Mon cher ami,
Après un long mois sans nouvelles d’aucune sorte, j’ai enfin reçu quelques lettres parmi lesquelles la tienne du 28 décembre m’apportant tes vœux.
De tout cœur merci. Elle a croisé la mienne, écrite dans le même but.
Depuis Noël je n’ai fait pour ainsi dire que courir. Constantinople, Beyrouth, Alexandrette ont eu tour à tour ma visite et pour l’instant je me trouve dans la petite gare de la ligne entre Alep et Adana…
Mes fonctions de Sergent Major me permettent quelques faveurs contrairement à mes camarades partis en colonne pour délivrer un général encerclé par des rebelles commandés par des Turcs et soudoyés à n’en pas douter par les boches. Nous n’avons pas encore de nouvelles de cette colonne !
C’est toujours la guerre par ici. Pas bien terrible il est vrai mais quand même, il y a quelques-uns qui ont laissé leur peau. Pour ma part je l’ai échappé belle l’autre jour avec tout le bataillon. Figure-toi que les bandits avaient fait sauter la voie juste au niveau d’un pont et c’est miracle que nous n’ayons pas été précipités dans le ravin d’autant que personne ne s’y attendait.
Quitte tes illusions sur la Syrie mon cher. Ce pays ne vaut pas mieux que les autres où j’ai déjà séjourné et il me tarde autant de le quitter surtout à présent où le rabiot a déjà commencé » …
Lettre qu’il termine ainsi :
Généalogie : A la recherche de Charles JUHEL
Pour en savoir plus sur Jean-Marie dans cette période de guerre je suis allé rencontrer Jean, son fils aîné, âgé aujourd’hui de 95 ans.
Sa mémoire ne lui fait pas défaut : « Notre père ne nous a pas souvent parlé de sa période militaire. C’était avant tout un pacifiste et il avait peu d’inclination pour la chose militaire… Je me souviens seulement qu’il a évoqué avec humour qu’un soldat de sa compagnie avait un peu le mal du pays… En fait il regrettait de ne pouvoir être en Algérie car il devait sans cesse réguler les problèmes de mésentente entre ces deux co-épouses ! …
Parfois il évoquait le nom d’un instituteur lui aussi soldat de sa compagnie avec lequel il s’était lié d’amitié… un certain Juhel »…
Jean-Marie évoquait à plusieurs reprises dans ses lettres son ami instituteur sans le nommer hélas. Comment retrouver ce Juhel ? J’avais bien une lettre de 1920 signée seulement par Charles… d’où l’idée d’associer le prénom et le nom !
Le site de recherche « Grand mémorial » du ministère de la culture va rendre un grand service. En cherchant « Charles JUHEL », il me donne les renseignements suivants :
JUHEL Charles Pierre Marie
Naissance : Allaire – Morbihan
Profession : Instituteur
Niveau d’instruction : Brevet de l’enseignement primaire
Classe : 1918 (Vannes – Morbihan)
Domicile au moment du recrutement : Péaule – Morbihan
La recherche complémentaire auprès des archives du Morbihan nous apporte ce complément d’information : JUHEL Charles Pierre Marie – Classe : 1918 – Niveau d’instruction : 4 – Bureau de recrutement : Vannes Commune de naissance : Allaire – Département de naissance : Morbihan – Date de naissance : 1898-11-21 Commune de résidence : Péaule – Département de résidence : Morbihan – Profession : instituteur
Sa fiche matricule n° 1787 nous apprend qu’il est nommé Caporal en mars 1919 et qu’il est passé en mai 1919 au 10ème régiment des tirailleurs algériens, le même régiment que Jean-Marie.
Aucun doute. C’est bien l’ami de Jean-Marie.
Merci Jean !
C’est toujours aussi intéressant, même un matin à Berlin.
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Merci Bernard. Bon séjour à Berlin.
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