Jean-Marie PETARD et Clément HIVERT à l’école communale de Saint-Julien

1909.

Clément HIVERT a 9 ans. Il est désormais le seul enfant de la famille du Port-Égaud à se rendre à l’école communale, puisque Pierre son frère vient de passer son certificat d’étude avec succès et travaille désormais sur la ferme avec son père et son frère Auguste.

En ce début d’année 1909 un froid sec persiste et la neige tient quelques jours rendant routes et chemins glissants. Pas facile de se rendre à l’école communale sans tomber plusieurs fois sur la chaussée avec les sabots aux semelles cloutées ; les genoux ont tendance à souffrir avec des culottes courtes à bretelles qui les couvrent à peine. Manteau sur une blouse noire boutonnée sur le côté et béret vissé sur la tête, Clément parcourt tous les jours de la semaine les deux kilomètres pour aller au bourg en passant le plus souvent par « la ligne ».

En chemin, Clément récupère son ami Jean Marie PETARD de la Guilbaudière, de deux ans son aîné. Cette année sa sœur Gabrielle, âgée de 13 ans, vient de finir sa scolarité à l’école chrétienne des filles et ne les accompagne  plus.

Le plus souvent, les deux gars font route avec les frères ARROUET, Auguste et Adrien, du village voisin de l’Artaudière. Le premier a le même âge que Jean-Marie et le second est le conscrit de  Clément.

Clément et Adrien sont dans le cours moyen 3ème année, dans la classe du directeur Théophile  HOURDEL  et Jean Marie comme Auguste HARROUET, cette année, a intégré le cours supérieur avec M. BRETONNIERE l’instituteur prénommé  lui aussi Théophile. 

Pas question d’arriver en retard si l’on ne veut pas se faire tirer l’oreille… A l’heure dite le directeur agite la cloche de l’école et les enfants se rangent aussitôt en silence en deux rangées avant d’entrer en classe, en ôtant leur béret. Tous rentrent dans une classe encore froide le poêle étant mis en route par l’un des élèves désigné pour cette tâche il y a à peine une ½ heure. De même les encriers insérés dans les pupitres en bois ont été préalablement remplis par l’élève de service de classe.

Dans la classe du directeur le silence est de mise quand M. HOURDEL lit la pensée du jour avant de passer aux exercices de la matinée. D’abord l’exercice d’écriture avec ses pleins et déliés en évitant les taches d’encre sur le cahier. 

Puis on passe à la traditionnelle dictée ; le directeur dicte à haute voix le texte du jour, passant derrière les pupitres, tirant parfois l’oreille d’un des écoliers pour lui signifier une faute. Quand Clément faisait une faute grossière Théophile HOURDEL ne manquait pas de lui dire que jamais son frère Auguste, brillant élève qu’il avait eu dans sa classe pendant deux ans, n’aurait fait une pareille erreur. Suivent ensuite les traditionnelles questions d’analyse et de compréhension du texte et de grammaire qui s’y rapportent.

Le début d’après midi est consacré d’abord aux exercices mathématiques pour lesquels Clément éprouve plus de facilité.

Souvent M. HOURDEL donne plusieurs devoirs à effectuer à la maison. En cette fin mars  1909 le directeur souhaite que les élèves puissent donner leur avis sur la disparition de la pharmacie de Saint-Julien, le vieux Eugène Renard étant parti en décembre 1908 en retraite dans sa Sarthe natale et se trouvant sans  successeur à ce jour.

Un exercice pas facile pour Clément du haut de ses 9 ans qui n’hésite pas à demander un appui à ses frères aînés pour trouver quelques idées… Il faut se presser de faire ce travail dans le temps imparti car le samedi après la classe et le dimanche il y a catéchisme et la préparation de la communion avec son copain Auguste Arrouet.

Extrait de l’almanach paroissial de 1910-1911 de St Julien de Concelles

Dans la classe des grands de M. BRETONNIERE, Jean Marie de son côté est plutôt  bon élève. Il aime particulièrement les fins d’après-midi après la récréation, consacrées aux sciences, à l’histoire à la géographie.

Jean Marie est capable sans hésiter de réciter les préfectures et sous-préfectures de chaque département.  Il a parfaitement en tête cette carte de la France affichée dans la classe qui mentionne clairement l’Alsace et la Lorraine, allemande depuis 1871. Les deux provinces sont coloriées de telle sorte que l’on retrouve l’hexagone !

Lorsque la classe a bien travaillé et avant que les élèves reprennent le chemin de la maison et souvent les travaux de la ferme, Théophile BRETONNIERE, féru de musique,  n’hésite pas à sortir son livret de chansons pour finir la journée de classe…

Chansons ou poèmes que Jean Marie n’hésite pas  à réécrire dans son cahier personnel.

Jean- Marie passera avec succès son certificat d’études l’année suivante.

Théophile BRETONNIÈRE lors de remise des prix du certificat d’études – Coll. P. Chevrel

L’école au début du siècle à St Julien-de-Concelles

En 1906, l’école publique de Saint-Julien-de-Concelles se compose de 4 classes de garçons. Le cours supérieur des 11 à 13 ans est tenu par Théophile BRETONNIERE et le cours moyen des 9 à 11 ans correspond à la classe du directeur Mr HOURDEL. Henri ÉNAUDEAU s’occupe lui du cours élémentaire des 7/9 ans et l’instituteur stagiaire Alexis BRETONNIERE se charge de « l’asile » des moins de 6 ans.

Mais en cette année 1906, ils sont dix à vivre dans le logement de fonction au dessus de la mairie, Théophile HOURDEL, outre sa fille Antoinette, hébergeant quatre neveux et nièce tous originaires de Guenrouët  dans le nord du département.

Recensement 1906 St Julien de Concelles- Le bourg – Archives départementales de Loire-Atlantique

Charles-Théophile HOURDEL, directeur de l’école, arrive à St Julien au début des années 1890 après avoir été instituteur à Notre Dame de Grâce puis Rougé et Plessé. Attaché à la terre de ses parents, il parle souvent à ses élèves de son village de Guenrouët où il est né et pense prendre sa retraite dans quelques années.

Sa vie, consacrée à l’éducation des jeunes, ne fut pas rose pour autant. Marié sur le tard à 47 ans à Saint-Julien avec Anne AOUSTIN, une institutrice de 37 ans, sa femme meurt  le 7 novembre 1900 en mettant au monde leur fille Antoinette.

Théophile HOURDEL est un homme  impliqué dans la vie locale à la fois secrétaire du syndicat viticole et des cultivateurs, trésorier de la caisse locale et directeur de la pépinière viticole. Ses engagements au service des Concellois sont appréciés de tous. Ils lui  vaudront de recevoir en 1904, la croix du mérite agricole.

Théophile BRETONNIERE est lui originaire de la commune de Vallet né en 1880 de l’union de son chef cantonnier avec Modeste Clavier, originaire du village de Réguyon à Saint Philbert de Grand Lieu.

Devant la maison de famille Bretonnière à Vallet – coll. Patrick CHEVREL

Après de brillantes études primaires à Vallet, il obtient son certificat d’études primaires dès l’âge de 11 ans, avant d’effectuer le cycle du Brevet de Capacité pour l’Enseignement Primaire à Rennes puis d’intégrer l’école normale d’instituteurs de Savenay.

Cahier école normale Th. Bretonnière 1895-99 – coll. Patrick CHEVREL

Là il se fait également remarquer en obtenant les places de lauréat dans toutes les matières. Nommé Instituteur stagiaire à Marsac sur Don en 1897 à 17 ans, il arrivera à St Julien de Concelles au printemps 1899 où il sera titularisé dans sa fonction d’instituteur le 1er janvier 1902.

Cahier école normale Th. Bretonnière 1895-99 – coll. Patrick CHEVREL

A cette époque Théophile BRETONNIÈRE bénéficie d’une chambre dans le logement de fonction dédié aux instituteurs. Certes l’espace y est un peu spartiate et l’équipement minimal.

En 1905, il fait la connaissance de Jeanne HOURDEL, âgée de 25 ans comme lui et venue travailler comme domestique auprès de son oncle Charles-Théophile. L’année suivante il l’épouse[1] et Jeanne donnera naissance à Yvonne en 1907.

A saint Julien on ne tarit pas d’éloges sur ce nouvel instituteur qui ne compte pas son temps au service de l’école. Il « dresse  bien les enfants et est inflexible avec les cancres …» dit-on dans le bourg. Il est de plus toujours prêt à donner un coup de main à qui le sollicite pour une démarche ou une lettre à l’administration.

Ses rapports d’inspection sont élogieux et lui-même se fait un plaisir de les ranger soigneusement  dans un classeur ouvert à cet effet.

Inspection de  Th. Bretonnière du 5 février 1908  – coll. Patrick CHEVREL

 En 1909, les deux Théophile s’entendent bien au point d’acheter ensemble une propriété à Saint Julien, située à la Crétinière  entre le Port Égaud et la Guilbaudière.

Cadastre 19ème siècle St Julien de Concelles – Archives départementales et maison de maître de la Crétinière

Pour une somme de 8000 Francs, les deux hommes font l’acquisition d’une maison de maître et ses dépendances à Georges  GUICHETEAU, juge honoraire au Tribunal de Brest domicilié à Nantes. Qu’est ce qui a poussé les deux hommes à faire cet investissement ?… L’envie d’un havre de paix loin du bourg de St Julien ?  Aquérir  un logis chargé d’histoire car  cette propriété a appartenu il y a quelques années à Mme Veuve TRÉBUCHET, tante de Victor HUGO ? Un acte notarié que Théophile BRETONNIERE a recopié consciencieusement sur un cahier d’écolier.

L’autre événement important de cette année 1909 à Saint Julien, c’est l’ouverture de l’école publique des filles. Seule existait jusqu’à présent l’école chrétienne des filles gérée par sa directrice, Melle Louise  COLAS.

Répondant à l’injonction du préfet de Loire-Inférieure d’ouvrir une école publique de filles, les débats ont été houleux en conseil municipal lors de l’année 1904. Beaucoup de ses pairs soutiennent Pierre PARIS, à la fois membre à la fois du conseil municipal et du conseil paroissial, quand il intervient à plusieurs reprises lors des séances : « pourquoi avoir une école publique des filles alors que nous n’avons pas une école catholique de garçons ? » en ajoutant : « ce n’est pas raisonnable et cela va coûter cher pour la commune alors que nous avons déjà une école pour les filles ! »  

Le maire Léon Binet lui répond « que le curé Desservant lui a opposé les mêmes arguments à plusieurs reprises mais qu’il ne pouvait pas se soustraire à la loi ».

Pour montrer sa bonne volonté vis-à-vis des services préfectoraux, le Conseil Municipal décide tout de même de se mettre en quête d’un terrain en septembre 1904.

Extrait du Conseil municipal de St Julien de Concelles du 4 sept. 1904 – Archives départementales de Loire-Atlantique.

Mais il faudra trois années au conseil municipal pour instruire le projet de construction de l’école route de Cahérault [2]  et voter un appel à l’emprunt pour un montant de 15750 Francs sur 30 ans au taux de 5,5%. Et ce n’est qu’à l’été 1909 que ce projet se finalisera avec l’achat par le conseil municipal du mobilier scolaire pour équiper les nouvelles classes.


Extrait du Conseil municipal de St Julien de Concelles du 15 aout 1909 – Archives départementales de Loire-Atlantique.

 Dans le même temps, Melle Marie Thérèse LEMARRE, une instutrice âgée de 28 ans arrive à Saint Julien de l’école de Saillé à Guérande avec ses père et mère pour prendre en charge cette nouvelle école.  Deux ans plus tard Marie Thérèse épousera Henri ÉNAUDEAU, ami et collègue de Théophile BRETONNIÈRE !

La famille ENAUDEAU LEMARRE et Yvonne, Jeanne et Théophile BRETONNIERE en 1913

Notre grand père Clément évoquait parfois avec nous Théophile BRETONNIÈRE, son instituteur du cours supérieur de l’école primaire. Il soulignait sa droiture et ses capacités pédagogiques mais aussi sa sévérité. Il ne manquait pas de nous raconter malicieusement que celui-ci parfois tirait les cheveux des élèves réfractaires ou en difficultés.. En mimant le geste il nous disait… « il tirait les cheveux ici à côté de l’oreille, là où ça fait le plus mal ».

A suivre


Merci à Patrick CHEVREL qui nous a ouvert les portes de la Crétinière qui respire encore l’âme de Théophile BRETONNIÈRE  et qui a bien voulu nous montrer de nombreux documents et photos de la famille HOURDEL- BRETONNIÈRE. 


[1] En 1906, au mariage de Théophile BRETONNIERE les témoins sont Alphonse BRETONNIERE né en 1881 à VALLET, âgé de 25 ans instituteur demeurant à PONT ROUSSEAU (commune de Nantes) frère de l’époux, Henri Alfred ENAUDEAU âgé de 25 ans, né à la Chapelle Basse Mer le 13 novembre 1880, instituteur demeurant au bourg de St Julien, ami de l’époux,  M HOURDEL Théophile, âgé de 53 ans , oncle de l’épouse et Joséphine PETARD âgée de 28 ans, amie de l’épouse.

[2] Actuellement rue de Vendée

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