Auguste HIVERT et Alexandre PETARD à l’école de greffage de Saint-Julien-de-Concelles au temps du phylloxéra

1896.

Ce 3 novembre 1896, ils sont plus de cent-cinquante hommes à se presser dans l’école communale  de Saint-Julien. Tous sont curieux de savoir si de nouvelles méthodes vont permettre de mettre fin au phylloxera, la maladie qui décime la vigne sur leur territoire communal. 

Le phare de la Loire du 15 novembre 1896

 Cette crise persistante du phylloxera a amené la municipalité à demander aux services préfectoraux du département d’ouvrir une école de greffage sur la commune.

Décision du Conseil Municipal du 31 mai 1896 de st Julien de Concelles –  Commune  phylloxérée et demande de création d’une école de greffage- Archives départementales de Loire-Atlantique.

Devant la catastrophe économique annoncée, l’autorité préfectorale a répondu positivement à cette demande, Saint-Julien-de-Concelles étant la 22ème école de greffage à ouvrir sur le département.

Actes du 17 octobre  1896 de la préfecture de Loire-inférieure-  Création de l’école de greffage de St-Julien-de-Concelles- Archives départementales de Loire-Atlantique.

Le maire Léon BINET-DELAUNAY, époux de Juliette BONRAISIN,  introduit la réunion et évoque tout d’abord le drame vécu par les laboureurs : « nous souhaitons, avec cette école, passer de la seule défense à celle de la reconstitution de notre vignoble et je ne peux penser que vous vous trouviez en présence d’un cellier vide sans un sou pour acheter des plants greffés… ».  

M. MORICE, ancien directeur de l’école présente ensuite Alexis FONTAINE,  agent-voyer, délégué départemental du service phylloxérique chargé d’animer les débats et de mettre en place cette école de greffage. 

Auguste HIVERT comme d’autres, est heureux de se retrouver là sur les bancs de sa classe qu’il a laissée il a plus de 18 ans. « Même odeur, même matériel scolaire rangé dans l’armoire,  elle n’a réellement changé » pense Auguste « ça fait vraiment drôle aussi de nous retrouver en face de notre vieil instituteur, Jean-Marie Morice » souffle-t-il à son jeune beau-frère Alexandre PETARD assis à côté de lui à proximité de son père Antoine et de son cousin Jean-Marie PETARD de la Guilbaudière.


Auguste  HIVERT et Alexandre PETARD

En épousant il y a 5 ans Marie Pétard, la fille d’Antoine et de Jeanne HARROUET, Auguste est entré dans la famille PETARD. Son beau-frère Alexandre n’avait à l’époque que 13 ans et venait de terminer ses « études primaires ».  

Lors de leur mariage le 14 juin 1891, Auguste a 26 ans et Marie 24 ans.

Acte de mariage d’Auguste HIVERT et Marie Pétard le 14 juin 1891 – Archives départementales de Loire-Atlantique
Les témoins du mariage : Pierre HIVERT le frère d’Auguste, fabriquant de fromages,  frère de l’époux, Clément Ménard, cultivateur  au Château, beau-frère ; François PETARD et François HARROUET, oncles de l’épouse. Alexandre, le frère de Marie signe également en bas à droite.

Quelque temps après, deux garçons naissent au Port-Egaud dans la famille HIVERT : Auguste il y a 4 ans et Pierre qui vient d’avoir deux ans. Alexandre, le frère de Marie était très satisfait d’avoir été choisi comme parrain du premier.

Acte de naissance  d’Auguste HIVERT- fils le 4 août 1892 à Saint-Julien-de-Concelles –Archives départementales de Loire-Atlantique

Auguste HIVERT du Port-Egaud exploite quelques parcelles de vigne

En cette année 1896, Auguste et Marie, sa femme, exploitent ensemble quelques parcelles de vignes qu’ils ont vu dépérir peu à peu du fait du phylloxera… 

A la suite du décès son père, Pierre, fin 1892, Auguste a en effet hérité avec sa mère Jeanne RICHARD de quelques parcelles de vigne, celle du clos du Gautron à St Julien mais surtout les 10 ares de vignes, hérités de son grand-père Noël, à proximité de la cour du Chêne en montant sur le Loroux-Bottereau. De plus le couple possède 25 ares de vigne à complant.

Acte de liquidation de la succession de Pierre HIVERT du 11 octobre 1893 –  Etude de Maitre LE SANT, notaire à St Julien de Concelles

Avec la gelée tardive du 26 mai 1893,  il y a  3 ans, qui n’a pas permis de vendanger cette année là,  les attaques de mildiou qui se développent au fil des ans, avec le phylloxera qui détruit progressivement la vigne progresse, Auguste se dit  découragé. Seul signe d’espoir, celui de replanter progressivement des cépages plus vigoureux. C’est pour cela qu’il a répondu présent à cette réunion de la nouvelle école de greffage.


Auguste et Alexandre à l’école de greffage

Lors de cette soirée d’introduction à cette formation Alexis FONTAINE, le délégué départemental du service phylloxérique après avoir salué l’assistance nombreuse indique que: « cette maladie est arrivée dans le vignoble nantais en 1885.  Lors d’un passage à St Julien, dès l’année 1887 j’ai observé des tâches de contamination du phylloxera, au village de la Sablère. De quelques ares il y a presque 10 ans aujourd’hui on compte plus de 45 ha de vignes malades sur les 376 ha de vigne de  votre territoire communal[1] ».

« Mais cette année 1896 sera je le crains l’une des périodes les plus néfastes que la vigne ait eu à traverser depuis l’invasion du phylloxéra dans la Loire-Inférieure. Cet hiver s’est passé sans accompagnement de pluie il a été suivi d’une série de chaleur et sécheresse persistantes et très prolongées, ce qui a permis aux colonies d’insectes de se dépouiller de très bonne heure de leur enveloppe hivernale et de commencer les ravages plutôt que de coutume ».

Mais M. FONTAINE se veut avant tout pédagogue. Il déplie alors une planche présentant la maladie pour expliquer son développement : « Le phylloxéra est un tout petit insecte venu d’Amérique. Il mesure 1,2 mm. Il a traversé l’océan Atlantique par bateau. Il se trouvait sur des plants de vigne américains que les viticulteurs importaient en France. Il a débarqué à Bordeaux en 1865 puis petit à petit s’est propagé dans tous les vignobles de France ».

Planche de Jules-Emile Planchon, botaniste français, membre de la commission d’études du phylloxera en 1868,

Puis en s’appuyant sur les éléments dessinés sur la planche il explique que « Le phylloxéra a plusieurs phases de croissance : adulte c’est un puceron de la taille d’un moucheron; il pond des œufs et lorsque les œufs éclosent, naissent alors de minuscules pucerons invisibles à l’œil nu qui s’attaquent aux racines des vignes. Ils les piquent, les racines pourrissent et le cep meurt ».

« Nous avons essayé plusieurs remèdes pour tuer cet insecte… Certains d’entre vous ont adopté le procédé préconisé par l’abbé Verdun qui consiste à entourer la souche d’un collier de camphre… Malheureusement il n’a pas apporté, aux viticulteurs qui en ont fait l’expérience, les résultats qu’ils espéraient » ajoute M. Fontaine l’œil rieur.

Croix de Phylloxera – Musée de Preuilly

Il ajoute : « Plus sérieusement, le Conseil Général m’a demandé de faire des traitements d’essai à l’insecticide « sulfure de carbone » chez plusieurs propriétaires du département. S’il a produit, dans certains terrains souples, des effets positifs il n’a pas toujours donné satisfaction dans un sol profond et rocailleux… Outre son coût, ce traitement est d’une application délicate et souvent dangereuse… Et de conclure : « Attention le sulfure de carbone c’est un rasoir dans les mains d’un enfant »

Alexis Fontaine poursuit ensuite son exposé avec la passion et le talent oratoire qu’on lui connaît : « Aujourd’hui la  seule méthode permettant d’avoir des pieds de vigne sains, c’est le greffage. Des chercheurs se sont aperçus que les vignes américaines, bien qu’elles portaient les larves de cet insecte, n’étaient pas malades, leurs racines étant protégées par une sorte de double écorce… Aussi nous avons des essais de nouveaux portes greffes américains dans notre pépinière expérimentale d’Oudon » .

Extrait du rapport de M. Fontaine à la session du Conseil Général de Loire-inférieure du 1 août 1893 – Archives départementales de Loire -Atlantique

« Nos essais actuels ont permis d’établir  que le Gros-Plant (cépage de la Folle blanche) trouve dans le Vialla son sujet de prédilection car il y a une union intime entre le sujet et le greffon. Par contre le Muscadet a la réputation de ne pas se souder aussi bien que le Gros-plant mais avec le porte-greffe « Rupestris du lot »  les résultats sont satisfaisants. Ce sont les deux porte-greffes sur lesquels je vous propose donc de débuter nos exercices» conclut M. FONTAINE.

L’assistance a écouté dans un silence de cathédrale l’exposé du délégué départemental du service du phylloxéra et après un brouhaha général, les questions ont commencé à fuser. Julien PATOUILLERE du « Château » est tout d’abord intervenu : « On entend dire que le greffage modifie la qualité du vin, qu’en pensez-vous ? »

« Non seulement le greffage ne modifie pas la qualité du vin mais au contraire il les exalte ! Le greffage produit sur la vigne les bons effets constatés de longue date en horticulture ; il améliore les fruits en maturité, il avance et accroît la fructification… à condition de choisir le porte-greffe le mieux adapté » lui répond FONTAINE.

Intervient ensuite  Jean Marie PETARD : « Beaucoup de viticulteurs sont découragés car ils n’arrivent pas en si peu de temps à obtenir leur diplôme de greffeur »

Regardant le directeur adjoint de l’école concelloise,  le délégué départemental, lui répond : « sans faire injure à Monsieur MORICE,  un grand nombre d’instituteurs du département ont suivi les cours ces dernières années et même s’ils montrent de la bonne volonté ils n’ont pas toujours les aptitudes suffisantes pour pouvoir enseigner sans danger à leurs élèves les pratiques du greffage…  Nos meilleurs greffeurs se sont toujours trouvés parmi les vignerons qui n’avaient jamais manié un greffoir avant de suivre nos leçons pratiques. Mais c’est vrai, l’an dernier, sur le département 62 élèves seulement ont obtenu leur diplôme sur plus de 1100 participants… ».

Extrait du rapport de M. Fontaine à la session du Conseil Général de Loire-inférieure du 1 août 1896 – Archives départementales de Loire –Atlantique

« C’est bien de savoir greffer mais après il faut savoir cultiver ces greffes dans de bonnes conditions pour qu’elles puissent bien se développer ensuite »  s’inquiète Julien MEILLERAIS de la Sablère, ce à quoi le maire lui répond : « nous avons l’intention au prochain conseil municipal de faire voter le principe d’une pépinière communale au service de tous les cultivateurs auprès du bourg ». « Mon service et ses techniciens vous apporteront tout le suivi nécessaire pour vous permettre de suivre votre production » ajoute Alexis FONTAINE.  

Décision du Conseil Municipal du 29 novembre  1896 de Saint-Julien-de-Concelles – Création d’une pépinière communale- Archives départementales de Loire-Atlantique.

Le délégué départemental du service phylloxérique détaille ensuite le programme proposé auquel adhère la majorité des hommes réunis.

Le phare de la Loire

Antoine et Auguste conviennent ensemble que c’est Alexandre, le plus jeune, âgé de 18 ans, qui suivra cette formation pour le compte de la famille. Et il lui faudra vite faire l’acquisition d’un greffoir pour la prochaine séance du 10 novembre. Jean-Marie apprécie son jeune cousin et voisin. Ensemble, ils font souvent le chemin pour se rendre aux répétitions et aux concerts de la société musicale.

 
Alexandre en 1894

En dépliant une seconde planche Alexis FONTAINE explique alors à l’auditoire « que cette formation est avant tout pratique ; elle vous apprendra à bien maîtriser les techniques de greffe en fente et à l’anglaise préconisées pour la vigne ».

Planche des différentes techniques de greffage de la vigne de Victor VERMOREL – 1890

En mai 1897, sur la centaine d’auditeurs de l’école de Saint-Julien, seulement huit concellois obtiendront leur diplôme de greffeur. Alexandre est de ceux-là. Mais seul Julien BRETECHE de la Pichaudière obtiendra la médaille de bronze récompensant son adresse et sa dextérité.

Extrait de l’état des diplômes décernés- Vignoble et École de greffage -7 M 57-58Archives départementales de Loire-Atlantique
Le phare de la Loire du 7 mai 1897

A suivre


[1] Propos tirés des rapports de M. Fontaine aux sessions du Conseil Général de Loire-inférieure de 1888 à 1898

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