Jean Marie PETARD et la société musicale de Saint- Julien-de-Concelles

1894. Les 10 ans de la société musicale

Le 2 décembre 1894, la société musicale de Saint-Julien-de-Concelles fête ses 10 ans. Jean-Marie est de ceux- là, tous rassemblés autour de l’abbé BEILLEVAIRE, le vicaire. Les plus âgés constituent l’ossature de cette fanfare avec Alexandre BRELET,  Félix PRAUD, Félix REDUREAU, Auguste et Guillaume BRAUD, Eugène MERCERON, Jean-Marie MENARD, Toussaint BARTEAU, Francis et Henri LUZET,  Auguste PETARD, Léon JOUBERT, Jean-Marie BOUANCHAUD. Des plus jeunes se joints à eux plus récemment comme Jules PATOUILLERE, Auguste DAVID, Hippolyte THURY, Clément MENARD, Aimé BRAUD et Alexandre PETARD …

Société musicale en 1894 avec Jean-Marie à  droite de l’abbé BEILLEVAIRE[1]. En haut le 3ème à partir de la gauche c’est Alexandre Pétard, son cousin, fils d’Antoine qui habite lui aussi à la Guilbaudière

Arrivé à St Julien en 1884, ce jeune prêtre de 30 ans succède à l’abbé LEHUEDE. Auparavant professeur au collège d’Ancenis, il a souhaité animer la cité et mobiliser certains concellois sur un projet culturel.

L’Union Bretonne du 2 août 1884

En 1894, ils sont deux vicaires à Saint-Julien : Edouard BEILLEVAIRE et François COTTINEAU avec les deux anciens curés, DESSERVANT et TORELLE

Annuaire départemental 1894. clergé St Julien – Archives départementales 44

La société musicale obtient son autorisation préfectorale en 29 mai 1886 mais Jean-Marie s’y implique seulement à son retour du service militaire l’année suivante.

Autorisation préfectorale de Loire-inférieure du 29 mai 1886 « St Julien de Concelles autrefois » page 184

Jean-Marie, passionné de la littérature et de la musique

Depuis sa jeunesse Jean-Marie aime la littérature et la culture. Il a d’ailleurs gardé précieusement vers lui son premier livret d’écolier en souvenir de ses années passées dans la classe de Monsieur MORICE devenu ensuite son ami et son témoin de mariage.

Livre de JM Pétard – Archives familiales – Choix gradué de 50 sortes d’écritures – de Théodore Henri Barrau – Hachette & Cie Librairie, Paris – 1855 Pour découvrir le document

Plus tard, lors de son service militaire, et c’est ce qui surprenait son ami et conscrit Julien Lainé, il aimait remplir ses carnets de pensées, d’extraits de romans ou de poèmes de ses auteurs préférés. Les très catholiques Eugène de Margerie, Auguste Brizeux avaient sa préférence,  mais aussi François Coppée et  Jules Michelet, pourtant auteur « sulfureux » selon l’Eglise. Parlant du « futur » à sa fiancée Gabrielle en juin 1893,  il  n’hésite pas à en extraire quelques citations comme ici celle d’Eugène de Margerie dépeignant l’idéal de vie : « assez de biens pour ne pas craindre la misère, pas assez cependant pour ne pas être obligé de gagner chaque jour son pain quotidien…»

Carnet de Jean-Marie en 1887- Archives familiales

Jean Marie, secrétaire de la société musicale

 Mais revenons à la musique. Jean-Marie a pris très vite des responsabilités au sein de l’association locale comme il le fait savoir dans son courrier à Gabrielle le 14 Septembre 1893 : « Dimanche prochain recommenceront sérieusement les travaux de la musique. J’en remplis les fonctions de secrétaire de la société depuis plusieurs années maintenant. Je dois faire 28 convocations par écrit, je suis presque effrayé devant tout ce papier à noircir et comme pour m’inspirer je commence par vous écrire ».

La mission de secrétaire de la société musicale ne se résume pas aux tâches administratives. Il faut y faire le rapport annuel d’activité et Jean-Marie s’y emploie avec brio comme ici en 1891 : « Tout à l’heure, le bon public, les personnes qui  daignent encore nous honorer d’un regard disaient: c’est la musique qui passe. En nous voyant alignés par rangs et par files on serait porté à croire, en effet à un accord parfait, à une vraie confraternité et vous savez messieurs si ce sont là des qualités qui nous distinguent… En apparence l’année a été très bonne et nous avons fait  plusieurs promenades bien intéressantes ; celle des Sables-d’Olonne a été acceptée avec un grand enthousiasme. En résumé tout s’est bien passé, trop bien peut-être, parce que nous avons attiré les regards, nous avons eu des succès et des ennemis…Il paraît qu’on n’a pas l’un sans l’autre ! » 

Médaille d’argent des Sables-d’Olonne- Concours-musical-1891

La société musicale se doit bien-sûr d’être présente à l’ensemble des fêtes religieuses comme le souligne Jean-Marie dans sa lettre à Gabrielle du 11 juin 1893 : « Dimanche dernier, répondant à une invitation qui nous avait été adressée, la musique de St Julien fêtait le dernier dimanche du mois de Marie. Je devrais dire que nous l’avons fêtée  bruyamment, ce qui nous a valu les félicitations de l’abbé COTTINEAU. Notre chef est rentré hier de son voyage à Jérusalem, il a chanté aujourd’hui la messe avec toute sa barbe « de deux mois ».

Le nouvelliste de l’Ouest du 26 janvier 1893

Les paroissiens de St Julien étaient à la fois fiers et impressionnés qu’Edouard BEILLEVAIRE, l’un de leurs prélats, puisse faire un pèlerinage en Terre Sainte. Certains étaient tout de même un peu dubitatifs parlant d’un voyage au coût prohibitif…

Lors de la venue pour la cérémonie de confirmation ce même mois de juin 1893 de l’évêque de Nantes, Auguste-Léopold LAROCHE, la prestation de la musique a été également vivement saluée…

Livre de la paroisse de Saint- Julien de Concelles – Archives diocésaines de Loire-Atlantique -Extrait du 9 juin 1893 : Confirmation en présence de l’évêque et de la société musicale.

Chaque année, il est aussi de tradition que les musiciens se réunissent le dimanche avoisinant le jour de la saint Edouard pour rendre hommage à leur chef. Là encore, c’est Jean-Marie, devenu au fil des ans l’ami du prêtre qui se plie à l’exercice du discours devant ses 30 collègues le 13 octobre 1892 :     « Nous ne pouvions laisser passer la fête du directeur de notre société sans venir lui présenter nos hommages. Comme toujours nous venons les mains vides et il n’est pas dans nos habitudes d’être généreux. Nous espérons cependant que cette démarche sera prise en haute considération comme une récompense aux nombreuses difficultés qui se sont présentées dans le courant de l’année et qui ont été combattues victorieusement et aussi comme un encouragement à continuer les efforts inhérents au plus haut poste de cette société : conserver les musiciens déjà avancés en âge, stimuler l’ardeur des jeunes gens, recruter de nouveaux adhérents, régler les questions financières, copier les morceaux de musique… »  

Extrait du discours de Jean-Marie devant la société musicale le 9 octobre 1891

« L’art de grouper 30 individus sur le même terrain, en vue d’une cause n’ayant pas pour but l’intérêt particulier est une chose bien difficile, à Saint-Julien comme ailleurs » ajoute Jean Marie qui s’en fait également l’écho dans un courrier transmis à Gabrielle le vendredi 18 août 1893 : « J’espère que vous viendrez à notre pèlerinage de St Barthélemy. Je compte bien m’y transporter mais la musique n’y sera pas. Je vous expliquerai lorsque j’irai vous voir dans 15 jours, par suite de quelles circonstances la musique n’a pas joué à la mi-août et au pèlerinage. Nous ne sommes point préparés assez pour jouer et il y a bien des choses en désordre ! ».

Pas facile de faire jouer de concert, derrière le porte-drapeau, 25 personnes avec des instruments aussi variés que le bugle, l’alto, le baryton, le trombone, le piston, la clarinette, la petite et la grosse caisse, les cymbales et la contrebasse…

Au fil des années ce rendez vous est l’occasion pour Jean-Marie d’être le relais du directeur de la société musicale et d’évoquer les principes qui guident la société musicale : « La partie administrative est la plus difficile et la plus délicate car il ne s’agit pas là des instruments mais des hommes… Accorder de fréquentes et longues vacances serait nous amener à notre ruine définitive. Quand on dépose son instrument en rentrant chez soi et on ne voit pas quand on devra le reprendre,  l’indifférence gagne peu à peu, les jeunes gens contractent d’autres habitudes, il est plus alors difficile de se déplacer,  les instruments sont en mauvais état, et au moment des exécutions le programme jamais parfaitement su,  il y a toujours des hésitations. Par conséquent il est nécessaire qu’il y ait des répétitions ! »

« Pour nous maintenir dans la ligne directe, comme idée générale,  nous avons le règlement qui établit les droits et les devoirs de tous. Le règlement c’est la sauvegarde de toute organisation c’est le rempart contre lequel viendront se briser les caprices et les fantaisies… Nous devons veiller à l’exactitude et à la régularité dans l’application de notre règlement et les amendes pour absence doivent être enregistrées avec soin à chaque répétition… »

«  Il n’y a que peu de choses à dire du point de vue matériel nous ne sommes pas riches. Nos ressources proviennent des amendes, mais aussi de l’assemblée départementale et de la commune qui nous accorde une subvention à l’occasion de la fête des foins… Les amendes constituent une part non négligeable de notre budget et nous devons nous y tenir car le jour où elles seront supprimées la société aura vécue… Depuis une année je suis dépositaire du trésor de la société et lors de notre prochaine réunion je vous en remettrais les valeurs qui ne sont pas considérables compte-tenu de notre voyage au Croisic qui a amené une éclipse presque totale du contenu de la caisse… » 

Aide et soutien de la mairie – Décision du Conseil municipal de Saint-Julien-de-Concelles du 26 mai 90 –Archives départementales 44

Jean Marie en conflit avec l’abbé BEILLEVAIRE

En 1897 l’abbé BEILLEVAIRE quitte St Julien pour la paroisse de St Clément à Nantes. Au nom de la société musicale Jean-Marie continue la tradition en lui transmettant toutes les amitiés des membres de la société à l’occasion de sa fête. Le jour même le 13 octobre, l’abbé lui répond : « Il me sera toujours doux de savoir que la musique marche encore à Saint-Julien et que ses instruments vibrent avec une harmonie toujours plus parfaite.  Je fais toutes sortes de vœux pour que sous la présidence de votre nouveau directeur elle fasse, en effet, toujours de nouveaux progrès ».

Deux jours après, Jean Marie reçoit une lettre surprenante de l’abbé BEILLEVAIRE : »: « Mon cher Jean-Marie,  j’ai de nouveau recours à votre aimable intervention pour quelques communications que j’ai besoin de faire soit au nouveau directeur de la société musicale soit à la société elle-même… Je confie à votre sagesse, à votre prudence et à votre judicieuse discrétion, le soin de les faire à propos et de les faire valoir dans un esprit de bonne et cordiale en entente et de justice.

J’ai ouï-dire, mais je vous avoue que j’en n’en crois rien, tant cela me paraît fort, qu’on avait la prétention d’attribuer à la société la propriété de tous les instruments qui m’appartiennent en propre aux jeunes gens qui les détiennent. Ce serait, vous le savez bien, un vol manifeste à mon détriment ».

L’abbé dit posséder en propre 11 instruments: 2 barytons, 4 altos, 2 bugle, 1 basse et le piston « dont la valeur marchande totale avoisine les 210 francs « sans compter les réparations des instruments que j’ai payées de ma propre bourse » ajoute-t-ilet il émet trois hypothèses : « les faire acheter par les détenteurs, par la société musicale ou par la mairie »… Et il conclut ainsi : « J’attends une réponse faute de quoi je ferais enlever mes instruments que je  brocanterais comme je pourrais… »

Cette dernière phrase a le dont d’exaspérer Jean-Marie qui ruminera sa réponse pendant plus de cinq jours avant de lui répondre le 21 octobre 1897 d’un « Cher Monsieur : Je tiens à vous rassurer  en affirmant que personne n’a jamais eu l’intention de s’emparer de vos instruments parce que personne ne savait qu’ils étaient à vous, aucun document aucune pièce de comptabilité ne nous ayant fait connaître vos trésors… » 

Même si François COTTINEAU,  son collègue vicaire de Saint-Julien a des méthodes parfois rugueuses, selon Jean-Marie, la société musicale n’a pas à faire les frais de la mésentente entre les deux anciens collègues vicaires de la paroisse et il ajoute : «  Je veux bien ne pas approfondir le sens de votre lettre pour ne pas y trouver la confirmation des racontars des commères du bourg disant qu’il existe entre vous et celui que vous appelez le nouveau “directeur de la société” une de ces haines qui vivent encore au-delà du tombeau… Les personnes de qualité ne conçoivent pas de haines vulgaires ! »

Journal le progrès de Nantes du 1 février 1898.

Jean-Marie conclut sa lettre ainsi : « Votre réclamation est pourtant bien légitime et j’espère arriver à un résultat et vous demande de retarder vos poursuites et de ne pas faire procéder à une saisie mobilière. Ne mettez pas trop d’ardeur à rentrer en possession de votre bien. Souvenez-vous que nous sommes à Saint-Julien et pauvres,  et que vous êtes largement rétribué à Saint-Clément. Ayez pitié de notre faiblesse et laissez-nous pousser encore quelques soupirs avant le jour de la dislocation… et de prononcer l’oraison funèbre de notre société ! »

 

Même s’il trouve très exagéré les propos de son ami, Edouard BELLEVAIRE lui répond le 27 octobre 1897 en ces termes : « Mon cher Jean-Marie je peux vous assurer en mon âme et conscience que je n’ai jamais eu la moindre intention de faire de la peine à qui que ce soit, ni à vous, ni à Monsieur Cottineau, ni à la société musicale, ni à aucun musicien en particulier… Je n’avais pas d’ailleurs l’intention de vous causer tant de déboires, mon cher Jean-Marie, et je trouve bien lourde la charge que vous voulez bien accepter de vous occuper personnellement pour moi, de régler la question de chacun de ces instruments »

« Je pensais seulement que vous vous en seriez entretenu soit avec Monsieur Cottineau ou les autres membres et que tout cela serait fait à l’amiable, pacifiquement au mieux des intérêts de chacun… Les jeunes gens qui ont mes instruments, prévenus désormais, savent que je peux les reprendre ou recevoir une légère indemnité, viendront peut-être me parler de même et tout s’arrangera peu à peu tout seul… »  

Enfin par une lettre du 10 novembre 1897 Edouard BEILLEVAIRE souhaite mettre un point final à cette discorde :  « Je vous remercie affectueusement de toute la peine que vous vous êtes donné pour moi pour me tenir au courant de ce qui se passait et pour vous occuper bénévolement et si activement de ces malheureux instruments…Croyez cher ami que vous fûtes, que vous êtes et que vous serez toujours un excellent ami et que je considère comme la dernière bagatelle cet incident d’ailleurs insignifiant…« 

La Société Musicale est menacée de couler, dites-vous, mais vous le savez, ce n’est pas sur la question de ces pauvres instruments. Au milieu de la semaine dernière je suis allé voir Monsieur Binet, le maire. Tout me donne lieu d’espérer que tout n’est pas fini pour cette musique et que bientôt elle pourra de nouveau reprendre sa marche en avant !


La naissance de Jean Marie, fils

En cet automne 1897, Gabrielle et Jean-Marie ont été heureux d’accueillir leur deuxième enfant, un garçon, que le couple prénomme comme son père.  Le 10 septembre, son ami de la musique, Auguste BRAUD, sabotier, l’accompagne à la mairie voisine pour en faire la déclaration à l’état civil.


Acte de naissance de Jean-Marie Pétard le 9 septembre 1897– Saint-Julien-de-Concelles
Archives départementales de Loire-Atlantique
 

Jean Marie s’empresse de faire connaître la  venue de son fils dès le jour même à Julien LAINE qui lui répond aussitôt : « La bonne nouvelle nous est arrivée ce matin. Nous prenons part de cette joie mon cher ami. Mon épouse me charge de transmettre à la vôtre l’assurance de sa vive sympathie avec tous ses bons souhaits. Pour moi, je résume les miens à l’adresse du petit Jean-Marie en ceci. Qu’il soit digne de son père, qu’il devienne plus tard ce que fut et ce qui est encore son modèle: esprit droit, cœur aimable et surtout âme dédaigneuse du vulgaire et toujours libre au-dessus des mesquineries de la vie, dans ses affections, dans ses jugements et dans… son culte! ».

A suivre


En 1934, la société musicale de Saint-Julien-de-Concelles fêtait ses 50 ans en présence de l’abbé BEILLEVAIRE… malheureusement sans la présence de Jean Marie PETARD décédé 25 ans plus tôt.

Les 50 ans de la société musicale de Saint Julien – Ouest-Éclair du 21 juin 1934 – Gallica BNF,


[1] Difficile de reconnaitre Jean-Marie car nous n’avons pas d’autres photos de lui. Selon Jean Pétard il semblerait que Jean-Marie père et fils aient joué tous les deux de la petite et de la grosse caisse. Selon Jacques son fils, Jean-Marie se trouve forcement à la droite du « père ».

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s