L’installation et le mariage de Julien Lainé, l’ami de Jean-Marie PETARD

1894.

Jean Marie en lisant la lettre de son ami Julien LAINE ce 24 février 1894 ne peut s’empêcher de sourire : « Je vous écris aujourd’hui de Connerré dans la Sarthe et vous allez à coup sûr vous demander pourquoi. J’aurais dû le faire depuis longtemps déjà mais si vous saviez quelle vie est la mienne je suis sûr que vous me pardonneriez. Connerré est un gros bourg de 3000 habitants, point de bifurcation de la ligne de Paris au Mans qui dessert Saint-Calais, coquette sous-préfecture de la Sarthe, où j’étais à passer la journée pour la grande affaire.

Voilà comment mon cher ami, c’est par cette lettre datée de cette bourgade jusqu’ici inconnue de vous que vous allez apprendre une nouvelle certainement attendue mais aujourd’hui officielle. Vous l’avez deviné mon cher Pétard, la grande nouvelle c’est celle de mon mariage… »


Parlant de son futur mariage de la Chapelle-Basse-Mer, lors d’un échange de courrier de juin 1993, Jean Marie avait bien senti le désir de son ami de trouver également l’âme sœur : « Vous m’avez tracé vous-même dans votre dernière lettre un si beau plan d’avenir que j’ai la naïveté d’y penser quelques fois »

A la demande de Jean Marie, il y racontait également le 23 juin 1893 par le détail son installation comme pharmacien, rue montoise au Mans : « Mon cher ami, je suis désormais manceau. Je paie patente et je suis inscrit sur les listes électorales. Je fais partie des sociétés chorales, musicales, scientifiques et de bienfaisance… Je reçois les manifestes politiques et les visites des candidats. Je suis de plus en plus notable-commerçant.

L’hiver a été bon en affaire et nous entrons dans la morte saison. J’espère bien quand je vais faire le  bilan de mon année avoir réalisé environ 28000 Francs de chiffre d’affaires. Ma clientèle est facile, un peu exigeante mais sans façon, composée de ⅓ de petits bourgeois et d’ouvriers d’usine (de métallurgie et de fonderie) et ⅔ de petits commerçants.

Mon personnel se compose d’une vieille bonne recueillie chez des sœurs chargées du placement, d’un garçon de laboratoire qui à l’occasion se promène en ville avec sa casquette de livrée à lettres d’argent sur fond bleu et d’un élève en pharmacie très au courant du service, ce qui me donne un peu de repos de temps en temps.

J’ai pris la maison en grand désordre et j’ai beaucoup à faire ces premiers temps je vous en donne les plans ci-joint pour que vous puissiez vous y transporter par la pensée… »

Lettre de Julien LAINE du 23 juin 1893 et plans de la maison et de l’officine

Poursuivant la lecture de la missive de Julien LAINE de février 1894, Jean Marie reconnu les accents lyriques et enflammés de son conscrit militaire : « J’ai choisi, celle qui sera bientôt mon épouse, tout en haut d’un coteau fertile dans une bourgade brillante exposée au soleil levant, où elle a reçu d’un père dont le nom a sa place dans l’histoire des sciences le culte de ce qui vaut la peine de vivre: le dévouement à ceux qu’on aime et l’amour de tout ce qui est beau !

Conflans, c’est le nom du pays où se cache la perle que j’ai dénichée, mon cher ami, dans une bourgade fort pittoresque située au flanc d’un coteau qui domine une coquette petite rivière l’Anille… Conflans  emprunte un peu de gaieté à Saint-Calais dont il n’est distant que  de 3 km, grâce à sa situation vraiment pittoresque et un caractère tout particulier de poésie !

J’y suis allé pour la première fois il y a 15 jours environ, présenté par le frère de ma fiancée et je vais continuer jusqu’au grand jour le pèlerinage obligatoire avec des gerbes de fleurs les cadeaux,  l’anneau de fiançailles.

J’y reçois toujours une franche et large hospitalité. La maison est dirigée par la mère, veuve depuis 12 ans, aidée par ma future et l’une de ses sœurs. C’est un intérieur bourgeois où domine surtout le souvenir du père dont l’image est accrochée à tous les murs et dont les œuvres illustrent toutes les pièces de ce logis large et spacieux comme la vie que menaient les grands bourgeois au lendemain de la révolution…»

Dépliant une vieille carte d’état major, Jean-Marie repère cette bourgade du sud de la Sarthe décrite par Julien.

Carte d’état-major 19ème siècle – Géoportail – Conflans et Saint Calais

Deux mois plus tard, Jean-Marie reçoit le mercredi 25 avril 1894 des mains du facteur une lettre envoyée du Mans cinq jours plus tôt : « Excusez-moi mon bien cher ami mais les choses se sont précipitées plus vite que je ne le pensais… J’épouse mardi prochain 24 avril à 11h du matin avec toutes les pompes de la religion catholique en l’église de Conflans près de Saint-Calais dans la Sarthe Mademoiselle Marie Poitevin forte et robuste jeune fille au moral comme au physique formée elle-même à l’école du travail et de la vie active avec des occupations masculines de gérante de propriété rurale… »

« Elle a grandi là au sein d’une famille patriarcale, au milieu du culte du souvenir d’un père enlevé trop tôt à leur affection et à la science, en dirigeant la maison et les intérêts d’un frère et de deux sœurs dans l’une est encore une enfant. Le père a laissé un nom célèbre et bientôt ce sera avec orgueil que je signerai Lainé-Poitevin ça sera notre noblesse celle de la Science et du travail, la noblesse de l’avenir ».

Photo famille Poitevin par Alphonse Poitevin en 1870, avec sa femme et ses 4 enfants (Marie au fond) – Mairie de Conflans-sur-Anille

Et Julien conclut : « Faut-il vous rappeler que dans une pareille circonstance quoique soient mes occupations je n’ai pas hésité à faire mon devoir qu’il m’a été doux de remplir. Faut-il dire à mardi je l’espère ! » 

Jean-Marie prend la plume le jour même pour lui signifier « qu’avec Gabrielle nous aurions été ravis d’être à vos côtés lors de cette cérémonie, religieuse surtout, compte-tenu de votre affection pour l’église, mais ayant eu l’invitation le lendemain des noces, il nous était difficile d’être présents… Nous vous souhaitons à votre épouse et vous-même tous nos vœux de bonheur… J’attends pour vous faire pardonner dans les prochaines semaines le roman de votre mariage… ».

Acte de mariage de Marie POITEVIN et Julien LAINE le 23 avril 1894 Conflans-sur-Anille – Archives départementales de la Sarthe

Julien lui transmettra bien un petit message en mai mais Jean-Marie attendra début septembre pour en savoir plus sur ce mariage.

Lettre de julien Lainé du 30 mai 1894

« Mon bien cher ami, vous m’avez demandé le roman de mon mariage le voilà,  c’est un roman bien simple qui tranche guère sur  la banalité ordinaire des trois quarts de romans.

J’ai épousé le 23 avril dernier Mademoiselle Marie Françoise Flavie Poitevin, fille aînée de feu Adolphe Poitevin ingénieur civil, ancien élève de l’École Centrale, chevalier de la Légion d’honneur dans le nom restera immortel dans l’histoire des  sciences chimiques.  Il avait au fond de l’âme le culte désintéressé du beau et du  grand. À cet idéal il a consacré sa vie, il la lui a donné tout entière comme tous les grands amants de la science… 

Alphonse Poitevin auquel on a élevé une statue sur l’une des places publiques de Saint-Calais, a été le collaborateur et l’ami des maîtres chimistes Wurtz, Dumas, Becquerel et le confident de notre grand maître Berthelot. Il est l’inventeur d’un procédé photographique moderne qui place son nom à côté de celui de Niépce et de Daguerre et lui assure, au même titre, l’immortalité… »

Alphonse Poitevin auto portrait – 1864 ; Traité de l’impression photographique sans sels d’argent – Alphonse Poitevin – Éditions LEIBER 1862 ; Photos négative et positive de Conflans en 1844. Quelques photos de son œuvre

Julien poursuit : « Ce ne sont pas là des traditions bourgeoises. Par contre le grand-père l’était plus dans cette tradition. Figure est bizarre que celle de François Poitevin, maître d’armes à la Grande armée, qui a su être ensuite un industriel rusé et un administrateur avisé. Retiré dans son pays natal après la grande débâcle napoléonienne, il y fabriquait de la toile, la vendait aux  environs en exportait surtout en Touraine et en Normandie pour la confection des robes de moines… et avec  le pécule il achetait de la terre, encore de la terre, toujours de la terre… 

Succession d’Alphonse POITEVIN acte d’inventaire du patrimoine et attribution des lots, 1895 – Mairie de Conflans-sur-Anille. Un patrimoine conséquent de presque 150000 F ; Marie et Julien hériteront du lot 3.

« Il n’avait pas vu d’un très bon œil la voie dans laquelle se lançait son fils qu’il eût mieux aimé notaire ou médecin tout en continuant à arrondir  le patrimoine terrien. Il n’a pas vu le couronnement de l’œuvre  la consécration de l’Académie des sciences, le prix de Luynes, la Croix de la Légion d’honneur… Il y aurait d’ailleurs été peu sensible. Il est décédé à Conflans trois jours après sa femme en 1869. Son fils l’a suivi 13 ans après, le 8 mars 1882 ». 

Portrait de son père François par Alphonse-Louis Poitevin environ 1842 avec extraits de la lettre de julien LAINE du 30 mai 1894

« La maman est alors restée seule avec ses trois filles dont la plus jeune n’avait que deux ans environ et devait gérer scrupuleusement leurs avoirs. Une partie de cette gérance me revient aujourd’hui me voilà donc obligé mon cher ami de faire émonder les arbres, de visiter les bois, de faire réparer les bâtiments, de curer les ruisseaux et de m’assurer que les clauses du bail sont intégralement rempli par le fermier… Pour cette besogne, je l’avoue, j’ai peu de disposition… »

« Je suis d’ailleurs vaillamment et surtout avantageusement secondé par mon épouse qui depuis 6 ou 7 ans était déjà “l’homme d’affaires” de la maison… Je n’aime pas trop voir dans la femme ce que j’appellerai “le côté commercial”. C’est une fleur de délicatesse que trop de mercantilisme pourrait déflorer mais après tout cher ami on ne vit pas que de sentiments et si la femme doit être une épouse il faut aussi qu’elle soit maîtresse de maison, et “homme d’affaires” à sa façon. N’est-ce pas un point aussi important dans la vie que le rôti cuit à point, le potage bien fait, la nappe bien blanche et les bonnes senteurs de la lavande dans la garde-robe de “Monsieur” ? Je vous ai dit, mon cher ami, que mon épouse savait orner mon cerveau et meubler mon cœur; elle ne néglige pas non plus mon estomac… » 

En retour Jean- Marie lui fait part dès le 11 septembre 1894 de la naissance de sa fille Gabrielle, née la veille, à la Guilbaudière à six heures du soir.

Acte de naissance de Gabrielle Pétard le 10 septembre 1894 – Saint-Julien-de-ConcellesArchives départementales de Loire-Atlantique

Pendant plus de 6 mois, Jean-Marie lui fera parvenir quatre lettres sans réponse de la part de Julien Lainé. Un jour de mars enfin, un faire-part arrive annonçant la naissance de Marie, fille du couple LAINE-POITEVIN.

Faire-part recto verso de la naissance de Marie LAINE le 8 mars 95

Jean-Marie prend la plume aussitôt pour le féliciter, sa femme et lui, de l’heureux évènement en s’étonnant tout de même « que l’annonce de la venue de sa fille Marie ait été faite avec fort peu d’enthousiasme».

Julien lui avouera à Jean-Marie plus tard, en effet, une petite déception : « Aux heures d’attente et de douce causerie nous rêvions avec ma femme à ce que serait l’attendu ; nous l’appelions « le petit Julien». Il nous est venu un beau matin de mars et quand nous avons reconnu une grosse fille nous avons été quittes pour changer nos rêves. Pour l’orgueil intellectuel du père le garçon est l’être préféré, le fils de son cerveau, mais pour le cœur vous le savez combien sont douces les caresses d’une fille… »     

Le 6 novembre 1895 Jean-Marie annonce à Julien, «la disparition de ma chère maman». Déjà, à propos de sa mère Mathurine, Jean-Marie, peu avant son mariage, faisait les recommandations suivantes à Gabrielle « Recevez la bien, ma chère amie, qu’elle s’en revienne contente, elle a tant eu de misères dans sa vie, elle a tant souffert de toutes façons ! Et la seule raison pour laquelle j’ai consenti autrefois à rester à St Julien a été l’affection que je lui portais. Sa vieillesse est languissante plutôt que maladive, elle n’aura que nous, ma chère Gabrielle, pour jeter un peu de chaleur et d’intérêt dans ces jours qui la séparent de l’éternel sommeil…. »

Acte de décès de Mathurine VINET, épouse de Jean Pétard puis de François Charon,  le 5 septembre 1895 – Saint-Julien-de-Concelles – Archives départementales de Loire-Atlantique

Jean Marie fut très meurtri de n’avoir eu ensuite aucune nouvelle de Julien pendant plus d’un an et demi…

A suivre


Merci à Yves Lecomte, historien et élu de la commune de Conflans-sur-Anille pour la transmission des documents sur la famille POITEVIN. Merci à Agathe DUTHIER, élue de Conflans pour son accueil et la visite de la commune sur les traces d’Alphonse Poitevin le 21 juin 2020.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s