Clément HIVERT et la famille Wollenweber

1922.

Le 27 décembre 1922, Clément s’empresse de décacheter le courrier qu’il vient de recevoir d’Allemagne. Sur l’enveloppe il reconnait le tampon de la ville d’Inden et en la décachetant, il distingue  tout de suite l’écriture de Petronella, l’aînée des enfants WOLLENWEBER qui étudie le français. Elle répond à sa carte postale envoyée quelques jours auparavant pour les fêtes de Noël et les vœux de bonne année.

« Inden le 22 décembre 1922 
Cher ami
Nous avons bien reçu aujourd’hui votre carte. C’est toujours une grande joie dès que vous nous écrivez même pour les plus petits qui disent joyeusement : “C’est une lettre de Clément qui était ici dans l’école ! ”.
Nous vous souhaitons également une très bonne année. Ici en Allemagne tout est trop cher. Avant la guerre, un pain de 7 livres coûtait  un mark, maintenant 1000 Marks, une paire de souliers 10 marks, maintenant 20 000 marks. 
Ça faisait longtemps que nous n’avions pas  reçu de vos nouvelles mais je crois que vous n’avez pas beaucoup de temps pour écrire, comme nous aussi !
Malgré tout, nous tenons à vous redire toute notre amitié.
J’ai encore beaucoup de choses à vous dire mais je ne peux pas m’exprimer… Je vous demande pardon pour mes fautes.
Nos amitiés de toute la famille Wollenweber ».
 

Clément garde un souvenir ému de son passage dans cette famille avec laquelle il a lié des liens d’amitié. En effet, au printemps 1919 avec quelques camarades du 103ème Régiment d’artillerie lourde, il est logé dans l’école privée d’Inden dont Théodor WOLLENWEBER est le directeur. Cette commune de Rhénanie est située à quelques encablures d’Aachen (Aix la Chapelle).

Le phare de la Loire du 26 juillet 1921 -ADLA
Clément s’émeut de la situation difficile rencontrée par cette famille allemande au sortir de la guerre due à  cette  inflation galopante. En parcourant « Le phare de la Loire » il avait appris que le remboursement des frais de guerre décidé par les alliés avait entrainé cette crise importante dans la république de Weimar.

C’est la pensée de l’humanisme chrétien qui a rapproché les deux hommes et des liens d’amitié se sont noués entre Théodor et le soldat du 103ème. Clément rendait souvent visite à cette famille joyeuse  et ses six enfants, Petronella l’ainée âgée de 16 ans,  Johann 14 ans, Henry 11 ans, puis Matthias, Linchen, Heinrich nés respectivement en 1911, 1915 et 1916.

Clément au 103ème RAL
 

Avant son départ d’Inden en septembre 1919, Clément a promis d’envoyer régulièrement de ses nouvelles et a expédié une lettre en Allemagne dès son retour au Port-Egaud.  

Peu de temps après, il recevait à son tour un courrier d’Inden expédié le 22 septembre 1919.

"Cher ami Clément, 

C’est avec une grande joie que nous avons reçu votre aimable lettre. Oui l'amitié n'est liée ni à l'espace ni au temps et si momentanément nos nations n'ont pas retrouvé le bon chemin du rapprochement, nous espérons que plus d'un Français est lié par des liens d'amitié aux Allemands… dans le sentiment que devant Dieu nous sommes tous égaux, tous frères et amis…
Nous voulons attendre avec confiance l'avenir même si notre chemin peut s'assombrir et l'horizon se couvrir de nuages obscurs…
Nous parlons bien souvent de vous, surtout les enfants qui demandent maintes fois reviendra t-il bientôt Clément ? Que sais-je si vous reviendrez encore une fois en Allemagne. A tout temps et à toute heure vous êtes le bienvenu dans notre famille.
Malheureusement nous ne pouvons pas envoyer nos lettres par la poste allemande, il nous faut les confier un soldat français… Nous espérons que cela changera bientôt et alors nous nous écrirons plus souvent. 
Nous sommes tous bien- portants et nous l'espérons que vous l'êtes ainsi que vos chers parents. 
Recevez bien des amitiés de notre part. 

Monsieur et Madame Théodor Wollenweber, la grand-mère et les enfants"

Les échanges se poursuivront durant l’année 1920. Au début du mois de mai 1921 Clément envoie une carte postale à Théodor avec les mots suivants :

"Cher ami, 

J’espère que toute votre famille se porte bien malgré les privations que vous endurez. 
Je suis à nouveau appelé par mon régiment. On nous parle d’un départ imminent pour la Ruhr afin, selon le gouvernement français, de pacifier la région suite à quelques heurs liés à l’application du traité de Versailles. 
Autant dire que cette éventualité ne m’enchante guère, sauf la perspective peut-être de vous revoir vous et votre famille car notre régiment serait  stationné, d’après les dires de nos officiers, entre Trèves et Aachen. 
Je vous donnerai plus de renseignements lors d’une prochaine correspondance. 

Votre ami 
Clément Hivert" 

Clément en 1921 au 129ème RAL

Pour Clément le séjour en Allemagne sera de courte durée mais il aura l’occasion de saluer à plusieurs reprises la famille WOLLENWEBER, le temps d’envoyer également à Saint Julien des messages rassurants. 

Inden,  Barrage

Rentré au pays fin juin, Clément s’empresse d’envoyer une lettre à Inden et la réponse suivante arrive dans la foulée.

« Inden le 26 juin 1921, 
Cher ami,
La Poste vient de nous apporter hier votre lettre et nous l’avons lue avec grand plaisir. Merci encore pour votre compagnie.  
Nous pouvons comprendre la joie de vos parents lorsqu’ils vont lorsqu’ils vous ont vu revenir dans votre patrie.
Amitiés. Théodor Wollenweber »

Puis la vie reprend ses droits et la correspondance de Clément avec ses amis allemands s’espace peu à peu. Cependant à la mi-février 1922 il s’empresse de répondre au courrier écrit de la main de Petronella, la fille ainé de Magdalena et  Théodor WOLLENWEBER qui lui reproche son mutisme depuis plus de 6 mois.

« Cher ami Clément,
 
Avez-vous reçu nos deux dernières lettres ? 
Je vais essayer encore une fois de vous donner de nos nouvelles, nous espérons que vous recevrez cette lettre et que vous vous trouverez en bonne santé. La dernière fois que vous m'avez écrit, vous m'avez dit que vous êtes retourné au pays natal… et avez retrouvé la maison paternelle. 
Vos parents sont-ils encore en bonne santé ? La grippe aussi existe-t-elle en France ? Dieu merci nous nous en sommes encore épargnés.
Nous parlons souvent de vous et nous espérons que le mauvais temps est passé et que vous reviendrez nous visiter à Inden.
Toute la famille vous salue cordialement. 

Petronella »


Dans sa lettre de réponse, Clément fait la promesse d’envoyer des nouvelles et un échange régulier  durera pendant plus de 10 ans, comme cette lettre envoyée par Théodor en avril 1926.

Indian le 21 avril 1926,

Cher ami,

Vous avez bien sûr reçu notre carte et attendu la lettre promise. Beaucoup de choses ont changé depuis que vous êtes parti.	
Comme nous le voyons dans votre lettre, vos parents et vous se portent bien ce qui nous a fait grand plaisir.
Chez nous la cherté et l'inflation sont heureusement passés. Mais désormais nous n'avons plus d’argent.  Notre pays qui était riche est devenu pauvre. 

Je travaille encore à Juliers. Ma fille Petronella est ici à la poste et travaille à la téléphonie depuis près de 3 ans malheureusement elle n'a pas continué ses études françaises et on nous a traduit cette lettre.
Mon fils aîné Jean est devenu tailleur. Il a déjà 19 ans. Henri, lui, est désormais peintre. Mathieu a quitté l'école à Pâques et nous ne savons pas encore ce qu'il viendra. C'est si difficile de trouver une place maintenant !
Notre petite Linchen a beaucoup grandi. Le plus petit a fait sa première communion dimanche passé. Ma femme se porte bien, elle est encore toujours si petite. Notre grand-mère est morte l'année passée, elle avait atteint l'âge de 85 ans. Elle a été robuste jusqu'à la dernière semaine et nous espérons la retrouver au ciel… 

Si la distance était moins grande nous pourrions nous rendre visite l'un et l'autre. Ici à l'école il fait bien beau maintenant,  les arbres se parent de fleurs et de verdure. Les buissons poussent et les prés sont garnis de petites fleurs. Mais en France la nature est encore plus avancée qu'ici je suppose.
Espérons que la lettre vous trouvera en bonne santé. Nous espérons recevoir bientôt de vos nouvelles. Nous espérons que vous aurez l'occasion de venir nous voir. Vous serez le bienvenu 

À vos chers parents et vous, nos meilleurs vœux et salutations de toute la famille Wollenweber


A la recherche de la famille Wollenweber

Durant plusieurs mois, j’ai cherché à joindre des descendants de la famille Wollenweber d’Inden sans succès à ce jour.

La mairie d’Inden suite à mes sollicitations m’a transmis  le 9 décembre 2020 le message suivant :

Cher Monsieur Hivert,

Bonjour,
 
Vous savez peut-être qu'en Allemagne, nous produisons de l'électricité à l'aide de lignite. Le lignite est extrait dans la mine à ciel ouvert et brûlé dans la centrale électrique pour produire de l'électricité. Pour l'extraction du lignite, des villes entières sont excavées et les citoyens sont transférés dans une nouvelle ville ou dans d'autres villes. C'est ce qui est arrivé à Inden entre 1990 et 2000. Nous ne savons pas où les descendants de Theodor Wollenweber se sont déplacés au cours de la réinstallation. Par conséquent, nous ne pouvons malheureusement pas établir de contact entre vous et la famille Wollenweber.

Dans votre e-mail, vous avez mentionné des lettres de Theodor Wollenweber à votre grand-père. Pouvez nous en envoyer un exemplaire à l'Inden Congregation History Society. Nous les stockerons ensuite dans nos archives.

Nous vous souhaitons un joyeux Noël et vous adressons tous nos vœux de bonheur, de réussite et de bien-être pour la nouvelle année.
Cordialement
 
Heike Schumacher

PS: Vous pouvez trouver plus d'informations sur la mine à ciel ouvert Inden sur Internet à la mine Opencast Inden.de (www.wikipedia.de)

Voir également le site suivant velo-ravel.net

Un contact avec un généalogiste allemand,  Horst-Dieter JANSEN, ces dernières semaines, a permis seulement de retrouver la trace de Pétronella décédée en 1971. Sur son faire-part de décès, à coté de Jésus, Marie, Joseph, on trouve  curieusement le prénom de Clément…

Jésus,             Marie,            Joseph,               Clément
 
En mémoire chrétienne de
Mme Petronella HERMANNS
 Née WOLLENWEBER
Née le 18 août 1904
Décédée  le 5 mars  1971
 
Prions : Dieu, Tu as vaincu la mort par la résurrection de Ton Fils et nous as donné l’espérance de la vie éternelle. Dans la foi, nous prions pour ta servante que tu as appelée loin de notre communauté. Partage avec elle ta gloire et ta joie, que tu as promis à ceux qui te désirent. Amen.

A suivre

 
 

2 réflexions sur « Clément HIVERT et la famille Wollenweber »

  1. Bonjour Michel , bravo pour ton travail et merci de nous faire partager cette belle histoire pleine d’humanité de gens qui construisent l’Europe si près de la guerre. J’espère qu’un jour tu trouveras des descendants de la famille Wollenweber. A bientôt .Daniel

    J’aime

Répondre à mhivert Annuler la réponse.