Joseph HYVERT et Marie BAGRAIN au cœur des guerres de Vendée

1793-1794. De l’insurrection à la guerre

1793. L’insurrection

Revenons à La Chapelle-basse-mer en ce début d’année 93.  Joseph, même s’il se montre prudent,  reste fidèle à l’abbé Robin et participe de temps en temps avec ses enfants aux messes qu’il organise clandestinement dans les fermes ou dans la cave voûtée du château de La Vrillère, dont la porte est masquée par un tas de fagots et auquel les fidèles y accèdent par un puits[1].

A la Chapelle, comme dans beaucoup de communes du sud de la Loire[2], les persécutions antireligieuses et les demandes de levée en masse ordonnée par la Convention et les révolutionnaires ne passent pas.

Le dimanche 10 mars 1793, un grand nombre de conscrits sont convoqués[3] au Loroux et refusent cette conscription.  Ceux-ci se présentent en groupe, bâton à la main et apostrophent les commissaires du département : « Comment allons nous nous battre pour un gouvernement pareil qui fait monter le roi à l’échafaud, qui veut nous imposer nos prêtres, qui met en vente les biens d’église !» Ils insultent la garde nationale, envahissent la mairie, mettent l’administration à la porte et font un feu de joie des papiers et des listes qui leur tombent sous la main…[4]

Les enfants de Joseph, en particulier Joseph et Noël n’ont pas 18 ans et ne sont pas convoqués. Heureusement ensuite, ils ne seront pas tirés au sort…  

A la Chapelle sur les 24 convoqués, les  12 hommes qui répondent à l’appel sortent de la vallée, plus sensible aux idées révolutionnaires, et s’embarquent sur les bateaux de la République. Aucun conscrit concellois par contre ne répond présent.

Archives départementales  L 516 : Intitulé de l’unité documentaire : Recrutement des armées. – Listes de recensement des jeunes gens de 18 à 25 ans dressées par les municipalités

En mars 1793, beaucoup d’hommes de la commune, rejoignent alors  la Vendée militaire qui se dessine peu à peu pour combattre les orientations voulues par la révolution.

Par l’intermédiaire de Pierre BOUYER, de la Tronière du Guineau, capitaine de cette « armée de paysans, la famille HYVERT est bien sûr sollicitée pour rejoindre cette armée. Celui-ci leur dit que Julien PRUD’HOMME, maître d’école au Loroux-Bottereau est devenu l’un des chefs locaux de l’insurrection et forme une division de 3500 hommes environ. Prud’homme va demander à LYROT de la PATOUILLERE, ancien militaire habitant Basse-Goulaine de prendre leur commandement[5] .  

Prudent, Joseph n’incite pas ses enfants, René 24 ans, Joseph 18 ans et Noël 16 à s’enrôler dans cette armée vendéenne …   

Après la levée en masse des hommes, par le décret du 8 octobre 1793, le pouvoir central organise dans tout le pays une levée extraordinaire des chevaux pour les besoins militaires. A la Chapelle le citoyen Giraud est désigné pour s’occuper de cette mission.  Il rencontre peu de succès, aucun laboureur possèdant un cheval ne souhaitant s’en séparer et Joseph est de ceux-là. Seul Claude François GOGUET, de la Tannerie cédera le sien pour 500 livres.

Archives  départementales 44  L1005 : Levée des chevaux par les municipalités

Les tensions locales se durcissent et les représentants de la municipalité de La Chapelle complice, du pouvoir central, s’enfuient avec leurs familles, d’autant que le maire du Loroux vient d’être tué par les « brigands ». 

Archives départementales  L 1005 : Extrait municipalité de la Chapelle Basse Mer en 1794

Le maire Rivière des Héros fuit à Orléans et les autres à Nantes ou dans le nord Loire. Il est vrai que celui-ci devient la cible lui aussi des opposants car il dénonce, par plusieurs courriers aux autorités, les mouvements des rebelles…

Archives départementales  L 1005 : Lettre du maire de la Chapelle le 11 décembre 1793 au citoyen administrateur du district de Clisson.

Très vite cette armée de rebelles ou révoltés, formés de « paysans vendéens» encadré par quelques chefs militaires issus de la noblesse et de la bourgeoisie locale, s’organise pour combattre « l’ armée d’occupation ». Toutes les armes de la paroisse sont réquisitionnées. Joseph apprend même que son voisin, THEBAULT DE LA MONDERIE,  le propriétaire du château de Barbechat et de quelques terres qu’il exploite en métayage, s’est fait voler tous ses fusils[6].

Commence cette guerre larvée avec l’armée républicaine, avec des techniques particulières, comme le rapporte un des acteurs[7] : « Notre armée était composée de paysans comme moi, vêtus de blouses ou d’habits grossiers, armés de fusils de chasse, de pistolets, de mousquetons, souvent d’instruments de travail, de faux, de bâtons, de haches, de couteaux de pressoir et de broches à rôtir. Elle s’organisait par paroisses et par districts, sous les ordres d’un chef particulier. Nous marchions droit à l’ennemi et, après nous être agenouillés pour recevoir la bénédiction de nos prêtres, nous commencions jusqu’à bout portant une fusillade, irrégulière sans doute, mais bien nourrie et bien dirigée. Dès que nous voyions les canonniers républicains sur le point de faire feu, nous nous couchions aussitôt par terre. Quand la mitraille voit passé sans nous atteindre, nous nous relevions pour nous précipiter avec la rapidité de l’éclair sur les batteries dont nous nous emparions avant de laisser le temps de recharger les canons. Pour tout commandement, nos officiers se bornaient à crier: égaillez-vous, mes gars, voici les bleus. A ce signal nous nous éparpillions et nous nous tendions en éventail pour envelopper l’ennemi ».

A la Chapelle comme dans l’ensemble du canton, on vit dans l’insurrection permanente, il faut se cacher, se méfier de ses voisins… en bref le travail s’en ressent et les récoltes s’avérèrent mauvaises en cette année 1793.

A l’automne 1793, Joseph qui approche la soixantaine n’a pas souhaité comme lui pressait l’abbé Robin faire partie comme ses enfants de la «virée de Galerne» [8] comme ses lointains cousins HYVERT-HERY du village de Beauchesne.

En effet les enfants et petits enfants de Julienne HYVERT et Antoine HERY se sont presque tous enrôlés dans l’armée vendéenne. Six d’entre-deux mourront sur le champ de bataille à Savenay fin 1793, ou faits prisonniers ils seront guillotinés à Nantes en mars 1794.

De plus en cette fin d’année 1793, c’est le côté maternel qui est touché par cette guerre civile.

François BAGRAIN, jeune cousin de Marie âgé de 28 ans, engagé dans la virée de Galerne aux coté de PRUDH’OMME décède sur le champ de bataille à Dol-de-Bretagne.

Jean BAGRIN le plus jeune des oncles de Marie, la femme de Joseph, de 3 ans seulement son ainé avec lequel elle a vécu à saint Julien, marguillier, a été dénoncé comme « brigand, courrier de rebelles et auteur d’attroupements ». Emprisonné et il sera condamné à mort à Nantes le 19 décembre 1793.

Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution française. Tome 2 / Prudhomme, Louis-Marie en 1797

Ce n’est que 20 ans plus tard en 1824, que les orphelins de Jean Bagrin et Julienne Sauvêtre, par ailleurs petite fille de Jean Pétard, (l’un de nos ancêtres, mariée en 1712 avec Julienne Sébilleau) que la famille sera indemnisée de 50 francs par an. 

Archives départementales 44

1794. La guerre

La tension est vive en ce début d’année. Les chapelains reprennent les armes dès le début janvier et se regroupent autour de Prud’homme pour rejoindre Stofflet[9].

C’est alors que la convention fait partir de Nantes sous le haut commandement du Général TURREAU douze colonnes pour réduire la Vendée militaire. Leur tactique est celle de la terre brûlée et du massacre des rebelles. L’histoire les appellera les colonnes infernales. Celle qui est envoyée dans la région du Loroux est commandée par le sinistre Cordelier, un ancien moine. 

Dès le 9 mars, Hyacinthe ROCHET un des voisins de la Sangle avertit la famille HYVERT en leur disant qu’une « colonne de bleus vient de passer au Loroux et dévaste tout sur son passage ». Délaissant la ferme l’ensemble de la famille s’enfuit pour se refugier dans les forêts des environs.  Le lendemain, le 10 mars 1794, la  colonne infernale républicaine après avoir dévasté le Loroux rentre dans la Chapelle par le village de Beauchêne, un des villages fiefs de l’insurrection locale . Là, elle massacre 26 personnes qui n’ont pu fuir dont 11 femmes, 9 enfants de moins de 11 ans et trois nouveau-nés[10] dont un grand nombre de descendants des HERY-HYVERT, lointains cousins de Joseph.

La colonne infernale passe par le bourg ou elle enflamme quelques maisons des « rebelles » et l’église. De loin, caché dans les bois, Joseph et sa famille observe également les flammes qui s’échappe du Château de la Berrière[11].

Le 17 mars 1794, de retour de Saint Florent le vieil les troupes commandées par le général Étienne Cordelier massacrent au moins 118 personnes, dont Hyacinthe Rochet père qui habite Bel air à quelques mètres de la Sangle à La Chapelle-Basse-Mer. Agé de 78 ans il n’a pas pu fuir à temps. Son acte décès officieux tenu par Pierre-Marie Robin le recteur de La Chapelle-Basse-Mer souligne qu’il a été massacré par les hérétiques (Républicains) et inhumé le 17 mars 1794 au Bois Guillet.

Registre clandestin de La Chapelle-Basse-Mer – Archives Départementales de Loire-Atlantique

L’acte de décès dressé 4 ans après à l’Etat civil de la Chapelle (20 germinal an VI) déclaré par son fils Hyacinthe ROCHET (1756-1828) demeurant à La Sangle et Jean HUTEAU, son neveu, donne le décès le 10 mars 1794 (20 ventôse an II).

Registre 1798, mairie de La Chapelle-Basse-Mer – Archives Départementales de Loire-Atlantique

1795. L’instabilité

Le bilan est lourd à La Chapelle, pas une famille n’a été épargnée par cette guerre[12].

Mais la Terreur est terminée. Robespierre et Carrier à Nantes, qui ont envoyé tant de Français à l’échafaud, y sont condamnés à leur tour et la Convention veut en finir avec la Vendée militaire en lui proposant la paix. Ses politiciens semblent exploiter les dissensions qui existent entre les chefs vendéens qui ont survécu au désastre de Savenay. Charette signe la paix à la Jaunaie en Saint- Sébastien, le 17 février 95, en présence de Prud’homme, mais sans Stofflet. Celui-ci, jaloux, fait exécuter Prud’homme, le lorousain…

Les combattants de La Chapelle et de Saint-Julien, comme ceux des autres pays, reviennent alors dans leurs villages. C’est la consternation devant  les ruines et les disparus. Certains ne retrouvent plus leurs proches, parents, épouse ou enfants. Après un moment de désespoir, ils se remettent au travail, car il faut survivre, mais on reste sous l’empire de la crainte, le fusil à la portée de la main[13]. Car malgré tout  les rancœurs sont encore tenaces et les dénonciateurs sont chassés ou tués

Même si côté Bagrain de St julien, il y a eu de nombreuses victimes, Joseph est satisfait qu’aucun de ses enfants n’ait été tué durant le conflit qui a ensanglanté la commune.  Peu à peu après l’abattement  il y a un immense désir de paix. La famine menace dans la commune après ces 3 années de disette et de pillage il faut au plus vite ensemencer les champs, tâche à laquelle s’emploient  René, Joseph, Noel et Pierre les quatre fils ainés de Marie et Joseph.


[1] Reynald Sécher, La Chapelle Basse-Mer, village vendéen, page 105  

[2] En fait, la Chapelle Basse-Mer se trouve au beau milieu de la terre insurgée de 1793 à 1796, connue sous le nom de Vendée militaire, et qui couvrait un espace qui s’étendait grosso modo du sud de Nantes au sud de la Vendée, débordant sur les Deux-Sèvres et les Mauges. La guerre de Vendée se déclencha dans les Mauges, à Cholet et Saint-Florent…

[3] En février 1793, la Convention décide la levée en masse de trois cent mille hommes, pris parmi les célibataires ou veufs de 18 à 25 ans. La Convention décrète ensuite, le 23 août 1793, la levée en masse concernant la tranche d’âge de 25 à 35 ans. Ces levées en masse renforcent considérablement les armées mais suscitent de forts mécontentements populaires régionaux, entraînant des émeutes et insurrections. La levée en masse consista à faire désigner ou à enrôler par le tirage au sort des hommes de tous les départements de France.

[4] RP Pétard Saint-Julien-de-Concelles. Histoire d’une Paroisse Bretonne Avant et Depuis 1789, page …

[5] Georges VIVANT, St Julien de Concelles et son passé p.83

[6] Archives départementales de Loire-Atlantique L 126

[7] Peigné : Histoire du Loroux-Bottereau

[8] Fin octobre 1793, les Vendéens, commandés par le général La Rochejaquelein, traversent la Loire pour aller ranimer la révolte en Bretagne et Normandie. C’est la virée de Galerne, où les Vendéens remportent une victoire retentissante, à Entrammes, mais qui se solde par un échec sur la Manche où aucun bateau anglais ne vint soutenir, comme il était promis, le siège de Granville. Les Vendéens refluent, épuisés, et sont finalement massacrés à Savenay le 23 décembre 1793.

[9] Jean-Nicolas Stofflet, né le 3 février 1753 à Bathelémont en Lorraine et mort fusillé le 25 février 1796 à Angers, est un militaire français et un général royaliste de la guerre de Vendée. Il est nommé major-général de l’armée royaliste et en 1794 succède à Henri de La Rochejaquelein comme général en chef. Ses hommes le craignaient plus qu’ils ne l’aimaient. Il était intelligent, bon militaire, mais était aussi dur, froid et ambitieux – wikipedia.org

[10] Reynald Sécher, La Vendée-Vengé : le génocide franco-français, Perrin, 2006, p. 172-173

[11] Suspect sous la Révolution, Berthrand de Coeuvres, son propriétaire  est emprisonné durant la Terreur à la prison du Sanitat à Nantes pendant près d’un an. Libéré, il prend ensuite part à quelques affaires de commerce maritime jusqu’en 1795, mais cesse ensuite toute activité d’armement. Il meurt le 22 février 1798 à Nantes.

[12] 700 à 770 personnes sur une population de 3230 chapelains, rapporte R. Sécher

[13] Georges VIVANT, St Julien de Concelles et son passé p.90


Aujourd’hui

Traces des guerres de Vendée à La Chapelle Basse Mer

le village de Beauchêne
La croix de Beauchêne

Le château de la Vrillère

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